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Matou se sentit très vite dépassée par la vague qu’elle avait lancée, d’autant plus qu’elle était harcelée par l’autre hurluberlu qui voulait profiter de l’aubaine et abuser sans cesse de son corps. L’argent et le beurre ! Heureusement qu’Uriel avait fusionné avec le poste de télé, la libérant d’éventuels soucis d’éducation.

Le seul moyen, décida-t-elle, était de frapper un grand coup : une apparition physique, bien orchestrée, puis un retrait immédiat, sous le prétexte de la protection de l’Ange enfant. Que Dieu ait envoyé un messager inachevé ne tiendrait pas la route, surtout face aux dignitaires religieux, dont le seul but serait de détruire l’Envoyé avant la moindre mise en cause, inévitable. Accessoirement, il ne fallait pas laisser tomber la valorisation ultérieure du phénomène. Faire du buzz, de toute façon, était une bonne chose.

Un nouveau message sur Toctoc enflamma la planète : l’Ange, dont le nom n’avait pas encore été révélé, allait descendre parmi eux. Le lieu et l’heure étaient tenus secrets. La maline s’était servie d’un VPN à couches induites pour échapper à toute identification. Pour éviter la pagaille, et financer des œuvres de charité, une modeste contribution serait sollicitée. Aussitôt, des dons colossaux furent proposés. Malgré l’allèchement, il n’était pas encore possible de les toucher sans se dévoiler. Bien sûr, l’autre imbécile, obnubilé par sa jouissance, était tenu soigneusement à l’écart des derniers déroulements de l’affaire. Matou, comme son narrateur, soit dit en passant, ne voyait pas comment se dépêtrer de l’incendie qu’elle venait d’allumer avec sa promesse intenable.

Paniquée, elle lança un nouveau message annulant tout, laissant le monde dans l’angoisse de l’abandon divin et les clercs dans un soulagement expectatif, peu certains de la clémence inattendue de leur divinité. Elle avait pensé utiliser la grande salle de l’espace ludique et polyvalent, cette immense halle délabrée qui servait aussi bien à la prière que pour l’entrainement à la boxe. Malheureusement, elle n’était pas disponible avant deux semaines et Matou ne voyait pas comment tenir la tension pendant tout ce temps. D’autant qu’il fallait tenir le lieu secret jusqu’au dernier moment. Elle n’avait pas de crainte : si la cité se déversait dans la salle, ce serait l’explosion. Le silence, source de tous les phantasmes, dura donc deux semaines. En fait, elle ne savait pas trop quand lancer l’annonce. Prévue pour 14h, elle envoya le lieu : la salle polyludique. Elle venait de relâcher la touche quand elle entendit le brouhaha. Elle regarda par la fenêtre et vit les empoignades pour pénétrer dans la salle. Normalement, à cette heure matinale, il n’y avait pas un chat, en dehors de la racaille qui tient les murs. Elle n’avait même pas mentionné l’Ange !

Il fallait agir tout de suite ! Et le phénomène qui n’était pas prêt ! Elle l’arracha de sa télé, lui sécha les larmes de deux torgnoles sous le regard ébahi de son père.

— On l’exhibe, et c’est l’émeute. Bouge-toi le fion ! Va décrasser ton gamin pendant que je lui trouve un déguisement.

Elle fonça chez elle, dégotta un immense t-shirt rose, découpa le dos et revint. Les deux mecs étaient en train de se battre, le plus jeune refusant de se laver. Elle écarta l’incapable, expliqua gentiment avec une baffe au puant qu’il pouvait négocier ce qu’il voulait, à la condition d’obéir sans rouspéter.

Le t-shirt, découpé dans le dos, fut enfilé sur le gamin. L’effet était surprenant, mais conforme aux images attendues. Ils passèrent par-derrière. Matou savait que le plus important était de garder le secret. Ils arrivèrent dans les coulisses, alors qu’on devinait la salle prête à craquer. Elle prit le chiard de front.

— Tu montes sur la scène, tu ne dis rien. Tu vas au milieu, tu étires le plus possible les bras et les ailes et tu reviens.

— J’ai pas envie.

Elle usa de sa pédagogie physique et ce fut en pleurs qu’Uriel s’exécuta.

— Arrête de chialer, ou je t’en fous une autre.

Uriel ne comprenait rien, sauf que l’obéissance stricte pouvait se révéler une voie de paix. Il fit son job. Matou observa la salle au travers du rideau déchiré. Raté ! Ils s’étaient tous précipités à genoux, la tête sur le sol. Avec la densité, il n’était pas étonnant qu’on entendît les râles de ceux qui se s’étaient fait écraser. Aucun smartphone sorti ! Ils étaient tous vraiment cons ! Aucun sens du sensationnel et de son monnayage.

Uriel revint, n’ayant rien compris au spectacle qu’il avait eu sous les yeux.

— Retournes-y, et plus lentement.

Le commandement péremptoire ne laissait pas place à la moindre tergiversation. Uriel, dompté, obéit sans pinailler. Cette fois, les éclairs fusèrent. Matou rapatria et escamota le prodige au délire de la salle en transe. Dans les cris, personne n’avait prêté attention au gamin couvert d’un blouson qui courait, suivi d’une matrone harcelant un mec qui ne comprenait rien à ce qui se passait. Elle n’avait pas eu le temps de remarquer les petits malins embusqués à la sortie avec un chapeau, demandant des dons pour les charités de l’Ange.

Uriel retourna à ses dessins animés, alors que Matou observait de la fenêtre le ballet des ambulances, des voitures de pompiers et de police bloquées dans une foule hystérique. Les réseaux sociaux explosèrent, alors que les médias officiels arrivèrent après la bataille. Le capitaine des pompiers se félicita pompeusement de n’avoir eu à évacuer qu’une trentaine de blessés et cinq morts. C’était dans la moyenne des mouvements de ce type. Il conclut son intervention par un judicieux : « Vu les circonstances, cela tient du miracle que nous n’ayons eu que si peu de personnes touchées. ». Aussitôt, le bruit courut que l’Ange venait de performer un miracle, preuve évidente de sa divinité.

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