Chapitre un : Un petit triton bien trop curieux.

9 minutes de lecture

La nuit était tombée, seule la Lune éclairait l'obscurité. L'eau était calme, se mouvant doucement au gré du courant et des petites vagues. C'est sous cette douce lumière qu'une longue chevelure rousse apparut à la surface, suivie d'un joli visage aux traits fins et androgynes sur lequel deux grands yeux verts clairs brillaient d'un éclat presque surnaturel. Sa peau était si blanche qu'elle en paraissait translucide. L'eau laissait entrevoir ses épaules carrées, ses bras et son torse aux boutons de chairs de la même couleur chaude que ses cheveux. Aucun poil ne parsemait sa peau.

Lorsque la silhouette bougea, quelque chose fit son apparition. Il s'agissait de deux grandes nageoires brillantes, car la créature qui regardait avec adoration la Lune n'était pas un de ces êtres humains qui peuplaient les terres de ce monde. Non. Il s'agissait d'un être qui vivait au creux de la mer, et son corps était ainsi différent de ceux des Hommes. Il était capable de respirer sous l'eau et se mouvait avec facilité dans ce milieu, car les flancs de son torse fin étaient recouverts de branchies et juste en dessous, des écailles d'un bleu argenté intense et étincelant recouvraient ce qui ressemblait à une grande et majestueuse queue de poisson. Cette créature était un triton et elle avait un nom, elle se nommait Amaël.

Amaël aimait la nuit. La Lune et sa lumière qui se reflétait sur l'eau laissait entrevoir toutes les beautés que recelait l'océan, mais il en avait l'habitude et ce qu'il voulait, c'était découvrir les beautés que cachaient les humains.

Dès son 20ème anniversaire, Amaël, que ses parents laissèrent plus libre puisqu’il était à présent considéré comme un adulte, s'était mis à nager plus loin, de plus en plus près des côtes. Il n'était pas idiot, il ne s'approchait pas des endroits très peuplés, non, il ne s'approchait que des îles. Et parfois, comme cette nuit, il découvrait une île minuscule et donc moins dangereuse pour lui parce qu’il était moins risqué d'y être aperçu par un humain.

Les humains ne savaient rien de l'existence des habitants des mers. Le peuple d'Amaël vivait dans les profondeurs des océans, des profondeurs inexplorées puisque bien trop profondes et dangereuses pour ces créatures attachées à la terre. Et les êtres marins préféraient que les choses restent telles qu'elles étaient, car ils se méfiaient des humains qui jetaient n'importe quoi dans leur bel habitat et prenaient leur nourriture. Ils avaient également connaissance de la violence qui hantait ce peuple, ils en avaient été témoins plus d'une fois lorsque des flottes entières comportant des armes et beaucoup d'hommes s’étaient engouffrées sur les mers pour se battre sur d'autres terres. Oui, le peuple pacifique des océans préférait garder son existence cachée. Cependant, ils ignoraient que parmi eux se trouvait un jeune triton particulièrement curieux, têtu, désobéissant et prenant un malin plaisir à enfreindre les règles dont la plus importante était de ne pas approcher les humains...

Amaël s'immobilisa dans l'eau et se concentra. Il possédait une ouïe développée, alors il écouta pour être sûr que la voie était libre. Pas de voix provenant des Hommes, pas de bruits autres que ceux de l'océan, des insectes et quelques animaux nocturnes. Il regarda partout autour de lui pour le peu qu'il pouvait voir, car sa vue était pareille à celle des humains lorsqu'il sortait la tête de l'eau, et comme eux, il ne distinguait pas grand-chose la nuit.

Il ne vit rien de particulier. La plage était déserte et la petite forêt du centre de l'île ne laissait pas apparaître de fumée qui aurait pu provenir d'un feu allumé. Alors Amaël nagea jusqu'à ce que le cours d'eau devienne si bas qu'il dût se traîner jusqu'à en sortir complètement. Allongé sur le sable, il attendit patiemment que son apparence change.

À chaque fois que cela se produisait, il savourait les délicieux picotements que la transformation lui procurait. Il avait cette impression d'être entre douleur et plaisir, et ces sensations incontrôlables qui prenaient part en lui, semblaient délicieuses. Il les sentait progresser lentement au creux de son corps, puis de plus en plus intensément le long de ses membres. Ses poumons se mettaient alors à fonctionner plus fortement que lorsqu'il sortait la tête de l'eau pour de courts moments, car ils se gorgeaient d'air. Ses branchies se lissaient et disparaissaient contre sa peau, ne laissant que de légères marques rouges. Sa queue semblait se déchirer, en commençant par les deux grandes nageoires, pour laisser apparaître deux longues jambes sans poils, accompagnées de petits pieds. Et le bruit de ses chairs qui se déchiquetaient lui sembla libérateur, un grand frisson le traversa et il en gémit. Deux jolies petites fesses rondes se montrèrent également, ainsi qu'un sexe d'homme de taille modeste, sans disproportion, ce qui paracheva sa mutation.

Amaël avait toujours l'impression que parmi ses chairs brûlantes et déchirées de part en part, il vivait une renaissance, passant d'une créature marine à une créature terrestre. Et ce qu'il ressentait était comme une drogue, il en était presque devenu dépendant. Comment son peuple pouvait-il ignorer cet état qu'ils étaient capables d'atteindre ? Amaël ne comprenait pas. Était-il si différent d'eux pour aimer voir son corps changer et partir à la découverte d'un autre monde si différent du sien ? Il ne préférait pas s'appesantir sur le sujet parce que c'était justement à cause de ses doutes qu'il s'était senti tellement coupable la toute première fois qu'il avait laissé son corps devenir humain. Et qu'au lieu de partir à la découverte de l'île sur laquelle il était venu, il était finalement reparti tout de suite dans l'océan plutôt que de visiter les terres qui s'offraient à lui. Amaël avait eu peur cette nuit-là du plaisir douloureux qu'il avait ressenti lors de la première transformation. Il n'était pas si simple d'être un rebelle, après tout. Il lui avait fallu attendre la pleine Lune suivante qu'il aimait tant observer, avant de recommencer l'expérience et cette fois-ci, il s'était obligé à essayer de marcher, à profiter de ce nouvel état qui s'offrait à lui. Peu à peu, au fur et à mesure de ses excursions, il s’était aventuré de plus en plus loin sur les îles en restant le plus discret possible et il y avait pris goût. Trop, même...

Une fois la transformation achevée, le triton devenu humain se leva doucement, le temps de trouver un équilibre. Les toutes premières fois où Amaël avait laissé apparaître ses jambes, il avait dû apprendre à se tenir dessus et à marcher, ce qui n'avait pas été simple, loin s'en faut ! Les chutes avaient été nombreuses, mais maintenant, il ne lui fallait que quelques minutes pour trouver un bon équilibre et pouvoir marcher, même si sa démarche était toujours un peu tremblotante au début.

Un pas après l'autre, il s'avança lentement sur le sable, savourant la sensation des petits grains chauds et secs contre la peau sensible de ses pieds. Il marcha jusqu'aux arbres et caressa d'un air rêveur les feuilles sur son passage. Il faisait sombre, mais Amaël se sentait bien, il ne ressentait pas de peur, seulement de la curiosité. C'est pourquoi il ne se méfia pas lorsque plus avancé dans la forêt, un amoncellement de branchages sur le sol fit son apparition. Il continua de marcher et ce fut dans un cri de surprise qu'il tomba dans le trou qui s'y cachait. Sa tête heurta violemment le sol et Amaël eut le tournis avant de sombrer dans l'inconscience. Il ne vit donc pas le visage au sourire froid de l'homme qui venait de le capturer et qui comprit rapidement qu'il venait de faire une bien jolie trouvaille...

**

De l'air chaud... Un tissu doux... Le jeune triton commençait à se réveiller et à réaliser que quelque chose clochait. Il ouvrit les yeux. Mais où est-ce qu'il se trouvait ? ! Il voulut bouger, mais il se rendit vite compte qu'il ne le pouvait pas, des sangles étaient passées autour de son torse, de ses poignets et de ses jambes. Il était attaché sur une sorte de lit qui trônait dans une pièce aux couleurs chaudes et dont la fenêtre était ouverte. Une légère brise soulevait joliment le rideau blanc. Il put voir également qu'il y avait un grand meuble en bois avec des tiroirs et des petites portes, ainsi qu'un bac qui devait contenir de l'eau, car il pouvait la sentir, Amaël était lié à cet élément. Un tissu blanc était posé à côté.

-Tu es enfin réveillé.

Amaël sursauta en entendant cette voix grave. Il se tourna alors vers la porte et vit qu'un homme se tenait dans l'encadrement. La première pensée qui le traversa fut qu’il n'avait jamais vu d'humain comme lui ! Son cœur s'accéléra et il le détailla. Il avait l'air très grand, très imposant, car il remplissait l'encadrement de la porte. Ses épaules étaient très larges, de longs cheveux noirs tombaient en partie sur son torse, sa peau était bien plus foncée que la sienne, sa mâchoire était carrée et une sorte de duvet brun recouvrait sa mâchoire ainsi que ses avant-bras et la peau sous un bout de chair rond et minuscule. Amaël pouvait voir tout cela parce que cet homme ne portait qu'un pantalon léger en tissu blanc. Il put également remarquer ses larges bras aux muscles saillants et son torse puissant. Oui, Amaël, qui avait déjà observé des humains de loin, n'avait jamais vu d'homme comme lui, qui soit aussi impressionnant...

L'homme en question s'avança jusqu'au lit sur lequel était attaché le triton et le détailla lentement des pieds à la tête. Ce regard provoqua mille frissons dans le corps d'Amaël jusqu'à son sexe qui tressauta, ce que ne manqua pas cet homme. Une fois ses yeux rivés aux siens, il reprit la parole :

-Est-ce que tu parles ma langue ?

Quelle question étrange ! Bien sûr qu'il parlait sa langue ! Le peuple des mers avait la capacité de comprendre toutes les langues et de pouvoir les parler, c'était un peu comme si une sorte de traducteur était en eux. Au sein même de l'océan, ses habitants communiquaient par ultrasons, mais également en parlant comme les humains lorsqu'ils se trouvaient dans des bulles d'air. Leurs bâtiments étaient construits d'une façon qui faisait qu'à l'intérieur, l'eau leur arrivait à la moitié du corps. Ils pouvaient ainsi communiquer de la même manière que les Hommes, et cela était plus pratique pour l'enseignement qu'ils recevaient durant leurs jeunes années. Selon l'endroit des océans où ils se trouvaient, ils recevaient leur apprentissage dans la langue parlée par les humains qui vivaient sur les terres les plus proches d'eux. Et en l'occurrence, sur cette île, Amaël n'était pas si loin de chez lui et c'était dans la langue de cet homme qu'il avait reçu une partie de son enseignement.

Devait-il lui répondre ? Il était attaché, totalement à la merci de cet humain, et effrayé autant que surpris par la tournure qu'avait prise la situation, alors peut-être valait-il mieux coopérer pour l'instant.

-Oui... murmura-t-il au bout de longues secondes.

Il vit alors le visage de cet homme s'illuminer.

-Magnifique ! Je n'étais pas sûr de pouvoir avoir des échanges avec toi, alors cela me réjouit plus que tu ne pourrais le croire. Quel est ton nom ?

-Amaël.

-Amaël... prononça-t-il lentement comme pour en goûter chaque syllabe. Très joli. Tout comme toi, d'ailleurs. Pendant que tu dormais, j'ai regardé avec attention ton corps. Ta peau est si blanche, presque transparente, je n'avais jamais vu cela. Et tu n'as aucun poil, même pas de léger duvet, rien. Tes cheveux sont d'un roux particulièrement intense et foncé. Et maintenant que je peux voir tes yeux, je ne suis pas déçu, leur éclat est si particulier, le vert est si clair qu'il en est presque jaune. Oui, tu es magnifique.

Amaël rougit bien malgré lui en entendant ces paroles. Personne n'avait jamais parlé de lui de cette manière. Non, jamais... Cet homme vit la rougeur soudaine sur les joues du jeune triton et passa son doigt doucement dessus, ce qui provoqua de légers frissons sur la créature marine.

-Et tu es à moi, désormais.

Quoi ? Ces derniers mots ramenèrent Amaël à la réalité peu réjouissante qui était la sienne. Que voulait dire cet homme ? Amaël était un être libre, pas un objet pouvant appartenir à quelqu'un ! Comprenant dans quel guêpier il s'était fourré, le jeune triton sentit son cœur s'accélérer sous la peur qui s'empara de lui. Personne ne savait où il se trouvait, personne ne viendrait à son secours. Qu'allait-il advenir de lui ?...

Annotations

Vous aimez lire Asylene ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0