Chapitre deux : Un petit triton entre des mains bien étranges.

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Un frisson traversa Amaël lorsqu'il sentit un doigt effleurer délicatement la peau de son torse.

-Tu as la peau vraiment très douce.

La voix grave qui venait de se faire entendre fit sursauter la jeune créature. Cette voix provenant de l'homme aux longs cheveux noirs paraissait détachée en prononçant ces mots, elle était froide alors que pour Amaël, ce geste avait été presque intime. Personne ne l'avait jamais touché ainsi. Il aimait être la plupart du temps seul avec les animaux peuplant les mers. Il avait bien quelques amis, mais il était avant tout un solitaire et n'avait jamais cherché à entreprendre une relation amoureuse ou physique avec qui que ce soit. Ça ne l'intéressait tout simplement pas. Il avait trouvé bien plus prenant et intéressant d'étudier et de parcourir les mers puis les îles, une fois assez âgé. S'il avait été en couple, il aurait sans doute perdu cette liberté qu'il chérissait tant.

Lorsque cet homme avait parlé, il ne s'était pas directement adressé à lui. C'était un peu comme si le triton n'était pas réellement là ou plutôt comme si son corps n'était qu'une coquille vide sous les yeux de cet homme intimidant. C'est ce que se dit Amaël, ne comprenant pas ce qui se passait et entre les mains de qui il était tombé. Il sentit le doigt sur son corps descendre plus bas, vers son ventre sur lequel il s'arrêta. Ce fut si doux qu'Amaël en ressentit de nouveau de légers frissons malgré la peur qui le tenaillait.

-Et tu n'as pas de nombril. Est-ce parce que tu es né d'une manière différente de la mienne ? Il y en a beaucoup des créatures comme toi ? J'ai tellement de questions...

L'homme brun soupira et plongea son regard dans celui d'Amaël.

-Chaque chose en son temps, n'est-ce pas ? Et nous avons tout le temps dont j'ai besoin pour t'étudier.

-M'étudier ?

-Bien sûr ! Je suis un chercheur, un passionné de tout ce que ce monde peut abriter de plus rare. Si tu te montres obéissant, je te montrerai certaines de mes possessions.

Le jeune triton ne comprenait pas. Il se sentait perdu. Que voulait dire cet homme ? Qu'il ne le voyait pas comme un être vivant, mais comme un objet, une possession ? Ou... son prisonnier ?

-Obéissant ? répéta-t-il comme pour lui-même.

-Oui. Cette île m'appartient, je suis seul à vivre ici parmi la nature et les animaux. J'ai choisi de vivre de cette manière pour pouvoir étudier à ma guise et ne pas être dérangé. Tout ce qui t'entoure sur ces terres est à moi, et puisque tu en as foulé le sol, tu m'appartiens aussi, désormais.

Quoi ? Non ! Il fallait qu'il retourne auprès des siens ! Il était un être vivant capable de penser, de réfléchir et aussi libre que cet homme qui n'avait aucun droit sur sa vie ! Il fallait qu'il lui prouve qu'il le sous-estimait s'il pensait qu'il allait accepter tout cela. Et c'est d'une voix parfaitement calme qu'il prit la parole :

-Vous vous trompez. Je ne suis pas à vous, je ne le serai jamais. J'étais seulement venu visiter cette île, car comme vous, je suis attiré par les merveilles que recèle ce monde. Vous n'avez pas à me garder prisonnier, je ne suis ni un objet ni une plante, je suis un être aussi libre que vous, et je dois retourner auprès des miens sinon ils finiront par s'inquiéter et me chercher. Et croyez-moi, vous n'avez aucune envie qu'ils viennent ici pour me sauver, termina Amaël sur un ton menaçant, essayant à tout prix d'être convaincant et de paraître sûr de lui.

Le maître des lieux parut surpris suite à ses paroles et un silence s'installa durant de longues secondes.

-Voyez-vous ça... Des menaces ? Moi qui te prenais pour un être fragile et docile...

L'homme aux cheveux noirs se pencha jusqu'à ce que son visage ne soit plus qu'à quelques centimètres de celui du jeune triton. Il était si près qu'Amaël en sentit les longs cheveux sombres caresser sa peau.

-Sache, étrange petit être, que je n'ai peur de rien et certainement pas de ton peuple.

Sur ces paroles effrayantes et prononcées d'une voix basse et glaciale, les yeux noirs de cet homme prirent soudainement une teinte dorée. Ce fut au tour d'Amaël d'être surpris, il en écarquilla les yeux sur le moment, la stupeur et la crainte s'intensifiant au creux de son être.

-Qu'est-ce... que vous êtes ? demanda-t-il d'une petite voix effrayée.

L'homme ne répondit pas, il se contenta de se redresser et de se diriger vers la porte. Une fois devant, il s'arrêta et sans le regarder, prononça des mots qui glacèrent le cœur du jeune triton :

-Tu le sauras bien assez tôt.

Et il sortit et le laissa seul avec ses questions et sa peur...

**

Depuis combien de temps Amaël était-il attaché ? Il n'aurait su le dire, mais ses membres commençaient à lui picoter. Il avait peur et se sentait abandonné. Personne ne savait où il se trouvait. Est-ce que ses compagnons et sa famille penseront qu'il ne se trouvait plus dans l'océan, mais qu'il était gardé prisonnier sur une île ? Et puis, même s'ils finissaient par y penser, il y avait d'autres îles dans les environs, d'autres terres. Au bout de combien de jours, de semaines, ou même de mois allaient- ils le retrouver ? D'ici là, est-ce qu'il aura survécu à cet homme ou sera-t-il mort ?

Complètement pris dans ses réflexions moroses et sans comprendre, le jeune triton sentit ses yeux lui picoter et s'humidifier. De l'eau coula sur ses joues. Que se passait-il ? La peur augmenta encore et Amaël se laissa submerger par sa frayeur et sa tristesse. Pour la première fois de sa vie, sans savoir ce qu'il faisait, Amaël pleura à chaudes larmes. De gros sanglots le traversèrent durant un long moment. Il faisait tellement de bruit que cela alarma l'homme aux cheveux sombres. Le jeune triton ne le remarqua pas tout de suite et sursauta lorsqu'il sentit une main lui essuyer la joue.

-Je ne pensais pas t'avoir effrayé à ce point...

-Qu'est-ce... Qu'est-ce qui m'arrive ? De l'eau sort de mes yeux... Je vais mourir ?

L'homme brun le regarda un moment, semblant étonné par ses questions.

-Tu es en train de pleurer. Veux-tu dire que tu n'avais jamais pleuré de toute ta vie ? demanda-t-il, l'air stupéfait.

-Pleurer ? Non... Je... Je ne savais pas que mes yeux pouvaient faire ça... répondit Amaël en reniflant, mais commençant tout de même à se calmer. Qu'est-ce que ça veut dire ?

-Ho, Amaël ! Tu es vraiment intéressant... Rassure-toi, tu ne vas pas mourir.

Sur ces mots, il partit durant quelques secondes puis revint avec un long morceau de tissu bleu foncé qu'il posa à côté du triton. Sans prévenir, il commença à le détacher, mais une fois fait, Amaël n'eut pas le temps de bouger que cet homme attrapa la couverture qu'il venait d’amener, la passa autour de son corps et le prit dans ses bras avant de sortir de cette pièce. Épuisé, le jeune triton n'opposa aucune résistance, ses membres étaient de plus, engourdis, alors il posa sa tête sur l'épaule de cet homme et s'endormit d'un seul coup.

**

Lorsqu'Amaël émergea d'un sommeil réparateur, il ouvrit les yeux et se rendit compte qu'il faisait nuit. Il voulut bouger mais quelque chose l'en empêchait. Il baissa les yeux pour voir ce que c'était et découvrit qu'un bras puissant au duvet brun l'encerclait. Son cœur se mit à battre la chamade. Cet homme était contre lui, Amaël sentait sa chaleur contre son dos, mais pas seulement, il pouvait sentir quelque chose de dur pressé contre ses fesses. Qu'est-ce que c'était ?

-Tu es réveillé, n'est-ce pas ?

Le triton sursauta en entendant cette voix grave. Il ne pouvait pas faire semblant de dormir, il savait que ce n'était pas la peine, que cet homme l'avait sans doute vu bouger.

-Oui... répondit-il d'une petite voix.

Soudainement, Amaël sentit un souffle chaud contre sa nuque. On aurait dit que cet homme respirait son odeur...

-J'aime ton odeur, tu sens aussi bon que l’océan.

Les joues du jeune triton rougirent en entendant ces mots. Gêné et effrayé en même temps, il ne dit rien. Dans le silence de la nuit, seuls les battements de son cœur se faisaient entendre, donnant une réponse à une question sous-entendue, et cela n'échappa pas à cet homme.

-J'entends les battements rapides de ton cœur. Tu n'as pas à être effrayé. J'apprécie effectivement de t'avoir dans mon lit, cela fait si longtemps que mes draps sont froids de solitude, mais je ne te ferai rien et si tu te tiens bien, je ne te ferai surtout aucun mal. Alors rendors-toi, maintenant, il ne fait pas encore jour.

Sur cet ordre et toujours perdu, mais également un peu rassuré, Amaël replongea dans un sommeil profond jusqu'aux premières lueurs de l'aube. Lorsqu'il ouvrit de nouveau les yeux, les doux rayons du soleil remplissaient la chambre dans laquelle il se trouvait encore avec cet homme dont le bras sur son ventre n'avait pas bougé. Était-il réveillé cette fois ? Le jeune triton se concentra et écouta sa respiration. Elle était... douce, lente et régulière.

Que devait-il faire ? Pouvait-il... Oui... Pouvait-il essayer de se sauver ? À ce nouvel espoir qui emplissait son cœur et éveillait son corps, Amaël se dit que c'était sa chance et qu'elle ne se représenterait peut-être plus !

Tout doucement, il se détacha du corps massif endormi contre lui que le sommeil avait amolli, et sortit du lit à baldaquin. Il était nu, alors aucun bruit de froissement de tissus ou de chaussures ne se fit entendre dans le silence qui régnait. Seuls les battements de son cœur affolé et la respiration de l'homme endormi étaient perceptibles et accompagnaient le doux raisonnement des vagues qui s'abattaient sur le rivage au loin. Le bruit que celles-ci produisaient l'apaisait un peu, mais surtout, l'attirait, car cela faisait trop longtemps que le triton n'avait pas été en contact avec l'eau. Jusque-là, il n'avait jamais été plus de quelques heures hors de son élément naturel et il avait l'impression de commencer à être en manque. Il avait grand besoin d'être immergé dans la mer qui l'appelait et de retrouver sa jolie queue de poisson !

Ainsi, Amaël s'avança lentement jusqu'à la porte ouverte qui menait à un couloir. Il marcha sur le sol recouvert d'un long tapis aux couleurs vives faites de pourpre, de bleu et de violet qui rappelaient l'endroit au creux de l’océan où vivait Amaël. Un lieu où pour la première fois de sa vie, il rêvait d'être à ce moment précis.

Le jeune triton marcha et marcha encore sur ce joli tapis, mais alors qu'il avançait, il finit par réaliser qu'il ne semblait pas y avoir de fin à ce couloir… Aucune sortie ne se faisait voir ! Seulement des murs blancs et encore des murs blancs qui semblaient infinis ! Comment était-ce possible ?! Amaël commença à paniquer alors qu'il continuait d'avancer. Ses espoirs de s'échapper et de regagner l'océan commençaient à s'éteindre dans la douleur. Des gémissements effrayés s'échappaient de sa bouche et les larmes se remettaient à couler sur ses joues. Au bout de ce qui lui sembla être des heures, le jeune triton, épuisé et le cœur serré, finit par se laisser tomber sur le sol. Il se recroquevilla sur lui-même, relevant ses genoux et posant sa tête contre ses jambes dans un vain réconfort.

-Amaël !

Quoi ? Le jeune triton releva la tête en entendant la voix de cet homme. Il regarda partout mais ne vit rien. Il était toujours seul dans ce couloir, il n'y avait rien d'autre que lui ! Devenait-il fou ? Cette maison était-elle ensorcelée ? La peur envahissait chaque parcelle du corps d'Amaël qui regrettait plus que jamais sa curiosité qui l'avait poussé à venir sur cette île. Je suis à présent puni… pensa-t-il alors que ses sanglots s'intensifiaient.

-Tu as essayé de me fuir. Sache que je ne te laisserai jamais faire ! Tu es à moi, Amaël, à moi ! Je t'avais prévenu. Tu m'as désobéi et tu vas en subir les conséquences...

Sur cette menace glaçante, une lueur fit soudainement son apparition au milieu du couloir, non loin de la créature marine. Cette lueur grandit et brilla de plus en plus au point de devenir aveuglante. Elle grandit si vite qu'Amaël, qui ne distinguait plus grand chose, n'eut pas le temps d'essayer de fuir. Elle finit par dévorer le couloir en entier, avant d'emporter le jeune triton terrorisé qui disparut dans un hurlement dans lequel toute sa peur, toutes ses angoisses étaient perceptibles. Il laissa derrière lui, le couloir vide et silencieux, comme si rien ne s'était jamais passé...

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