Chapitre 1 : Mon cauchemar de vie !

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Camden, une ville située dans le New Jersey, séparée de Philadelphie grâce au fleuve de Delaware, est sûrement l'une des villes où vous ne souhaiterez pas vous promener et ce, même en pleine journée.

Cette ville est connue pour un taux de chômage très élevé, sans parler de la prostitution en masse, les dealers à chaque coin de rues, des vols, des agressions en tout genre et la corruption des forces de l’ordre. Dans le secteur, nous pouvons acheter un revolver pour la modique somme de vingt dollars, pour ça, il nous suffit juste de passer le fleuve.

Aujourd’hui comme tous les jours de la semaine, je me lève peu avant sept heures du matin et commence à me préparer pour les cours, je suis en première année de lycée et déjà je n’ai qu’une envie : me barrer de cette maison et de cette ville au plus vite.

Je suis l’ainée de la famille, en même temps, sur deux enfants ce n’est pas bien compliqué, mon père est décédé au front, il y a quelques temps déjà, Elise était encore toute petite, je ne sais pas si elle a des souvenirs de lui. Moi je ne conserve qu’une chose venant de mon père, sa plaque militaire. A l’heure actuelle j’ai quinze ans, Elise en à dix.

Ma mère, ne supportant pas la solitude, s’est rapidement trouvée un homme, Etienne, pour elle, c’est le nouvel homme de sa vie, mais personne ne remplacera mon père et il le sait très bien.

Ils se sont mariés rapidement après qu’ils ont commencés à sortir ensemble, en fait, c’est dans la même année qu’ils s’échangeaient leurs alliances. Je n’avais même pas dix ans mais je savais très bien que ce mariage, tout comme le sourire d’Etienne à ce moment-là, ne me valait rien qui vaille.

Et effectivement, quelques temps après, les premiers problèmes arrivèrent, si bien qu’Etienne commençait à rabaisser ma mère qui se démenait pour nous faire vivre correctement, étant donné que lui ne travaillait pas, puis en un claquement de doigts, elle se retrouvait sur le trottoir, à faire la prostituée, parmi les nombreuses filles de la ville.

Alors pendant ses nuits de « travail » je m’occupais de ma sœur, dormait avec elle, jouait avec elle, alors que je suis âgée d’une dizaine d’année je devais faire en sorte d’avoir au minimum, cinq ans de plus. Je n’avais pas le choix, la santé et la sécurité de ma sœur reposait sur moi lors de l’absence de notre mère.

A mes douze ans et après de sacrées rébellions de ma part, je me suis mise à dealer pour son compte, je n’avais pas le choix, si au départ, il s’agissait des insultes à l’encontre de ma mère, depuis quelques jours, ce sont les coups qui pleuvaient sur son corps. Puis sur le mien quand je me mettais à vouloir la défendre.

Du coup, avec ma mère nous alternions, je dealait la journée, ma mère faisait ce qu’elle avait à faire la nuit, ainsi Elise n’était jamais seule. Bien que ce soit ma mère, je n’ai jamais eu confiance en elle, alors je faisais tout pour finir mon stock du jour rapidement et repartir à la maison, la plupart du temps en courant.

Enfin, je me reconnecte à la réalité et après m'être préparée avec un jeans noir, un t-shirt et un sweatshirt blanc dans le plus grand des silences, je vérifie mes affaires pour la journée : mon matériel de cours et les différents sachets de poudre tout au fond du sac. Eh oui, je n’ai toujours pas pu arrêter au bout de trois ans.

Une fois chose faite, je vais doucement réveiller Elise, surtout, ne faire aucun bruit, pas de pas précipité, pas de porte qui claque, il faut le plus grand des calmes pour ne pas les réveiller. Surtout lui.

Nous déjeunons dans le plus grand des silences et lorsque ma sœur monte se laver et s’habiller, je fais une rapide vaisselle puis mets mes chaussures. En une heure et demie de temps nous sommes dehors, en direction des écoles, essayant sur la route, de ne croiser aucun cadavre qui pouvait joncher les rues.

Je commence les cours dans une heure, mais j’accompagne ma sœur et juste après, je commence mon autre job, j’ai mon stock pour la journée, pour et en dehors du lycée, je dois juste faire attention à ne pas me faire choper, ce qui n’est pas vraiment compliqué dans ce lycée. Ils ne font jamais attention à rien.

Une fois que j’ai terminé les cours, à quinze heures trente, je prends mon temps pour épuiser mon stock tout en cherchant mon seul ami, Travis, que je n’ai pas vu depuis un bon moment.

Travis à cinq ans de plus que moi, c’est la première personne qui m’a tendue la main, lorsque j’ai commencé à dealer, je me suis ramassé un bon nombre de coup puis il m’a appris à me défendre, à ne plus me laisser faire. Je sais très bien que sans lui, je serais probablement morte à cause des coups des accros à la poudre.

Naturellement j’ai mis du temps à lui faire confiance, avec Etienne et ma mère, on ne peut pas dire que j’ai quelqu’un à qui me confier. Finalement, il connait toute ma situation, ma famille, mon travail, je n’ai plus aucun secret pour lui, enfin si un, il ignore qu’Etienne se défoule aussi sur moi.

Travis, ça fait bientôt un an que je ne le vois plus, lorsque je croise certains de ses contacts, personne n’est en mesure de me répondre sur où il peut être. J’espère juste qu’il est encore vivant. Tout ce que j’ai de lui est sa chevalière, accrochée autour de mon cou avec les plaques de papa.

Une heure après avoir terminée mes cours, mon stock est épuisé, tant mieux, je peux aller chercher Elise à l’école. Son école est à quelques rues de là où j’étudie, c’est une petite école primaire toute simple. Sur le retour des écoles nous parlons de ce que nous avons fait aujourd’hui en classe ainsi que de tout et de rien, après tout, il n’y a que dehors que l’on peut discuter sans crainte.

Une fois à la maison, je dis dans un chuchotement à Elise de monter dans sa chambre faire ses devoirs, si besoin, je l’aiderais mais surtout, qu’elle ne fasse aucun bruit.

Etienne est affalé sur le canapé, le ventre bedonnant dépassant du t-shirt sale, la tête penchée en arrière, la bouche grande ouverte, à sa main, une bouteille de bière vide, en fond sonore, ses ronflements et les commentaires des présentateurs sportifs sur le dernier match de soccer. Je sors silencieusement la liasse de billet récupérée aujourd’hui et la pose juste devant lui puis monte en direction de ma chambre.

Une fois arrivée, je prends des affaires qui consiste en un jogging noir, des sous-vêtements blancs et un débardeur également blanc, je préviens Elise puis direction la douche pendant qu’elle s’enferme à clef comme je lui ai demandée. Dans la salle de bain, que l’on partage tous, je bloque la porte avec le petit meuble présent à l’intérieur, la dernière fois que j’ai oubliée de le faire il a essayé de rentrer avec moi sous la douche, une fois pas deux.

La douche se fait en dix minutes maximum, lorsque j’ai coupé l’eau, j’entends la voix d’Etienne crier ainsi qu’un bruit de verre brisé. Je sors après m'être habillée, je ne prends pas la peine de me coiffer, je vois Elise dans les escaliers, elle regarde ce qui se passe. Je me pose à côté d’elle et chuchote doucement en posant une main dans son dos.

- Eli’ va dans ta chambre et enferme-toi, n’ouvre pas tant que maman ou moi ne venons pas te chercher. File

Je la regarde obéir avant que je ne descende pour voir cette scène qui se répète inlassablement : ma mère se faire battre par Etienne, la plupart du temps, c’est parce qu’elle ne ramène pas assez. D’un sens, je me dis que c’est normal, voilà maintenant cinq ans si ce n’est plus qu’elle fait ce « métier », d’autres filles sont arrivées entre temps, plus jeunes qu’elle, peut-être aussi plus mignonnes ou encore moins cher.

Lorsqu’il a levé la première fois la main sur elle, j’ai demandé à maman pour qu’on parte, que l’on profite qu’il dorme pour s’enfuir, partir loin, que je suis capable d’arrêter mes études pour me mettre à travailler et payer les factures, elle n’a jamais accepté, est-ce par peur ? Parce que, finalement, elle aime se faire battre ? Je ne sais pas, et je n’ai jamais posée la question.

Lorsque j’arrive dans l’entrée de la cuisine, je le vois en train de se redresser difficilement, face à ma mère étendue sur le sol, entre nous se trouve l’ilot central, ce qui m’empêche de voir l’étendue des dégâts. Si autrefois le meuble était blanc, à l’heure d’aujourd’hui, je penche pour du gris, enfin, ce n’est pas étonnant, je ne peux pas être partout et ma mère n’a jamais été douée pour ça, du moins dans mon souvenir.

- Tu as tout liquidée ? Me demande Etienne en essuyant ses phalanges ensanglantées avec un torchon.

- Oui, pourquoi tu as frappé maman cette fois ?

- Elle ne rapporte plus assez, il faudrait peut-être que je fasse bosser Elise comme ta mère, il se met à la regarder alors qu’elle est à moitié inconsciente par terre, qu’est-ce que tu en penses Nathalie ? Mettre ta fille de dix ans sur le trottoir ?

Je ne préfère même pas y penser, Elise est tout pour moi, il est hors de question qu’elle suive les traces de ma mère, je pourrais mourir pour elle.

- Je ne te laisserais pas faire lancer-je d’une voix froide.

Il tourne la tête dans ma direction d’un geste vif, ses yeux, de base de couleur clair se sont vite noircis par la colère, après ma mère, c’est maintenant à moi d’y passer, mais je suis capable d’encaisser. Je ferais tout pour que ma sœur ne subisse pas ça, qui t’a le tuer de mes propres mains.

- Tu oses me défier ? Commence-t-il surpris, moi, ton patron, ton propre père, tu oses répondre.

Il dit tout ça d’une voix étonnamment calme, mais malgré tout, ses poings se serrent et se desserrent, signe distinct qu’il s’énerve. Il finit par faire le tour de l’ilot central, ne me lâchant pas des yeux d’un geste lent et calculé. J’ai toujours redouté ses coups, encaissant de moins en moins, mais c’est terminé, mettre ma petite Elise dans tout ça est l’acte de trop. Tout comme lui, je ne le lâche pas des yeux, levant même la tête alors qu’il arrive toujours plus près.

- Redis-moi ça en face, juste une seule fois en me regardant droit dans les yeux. Dit-il d’une voix froide.

- Je préfère mourir que te laisser mettre ma sœur sur un trottoir, si tu as besoin d’argent, va bosser. Et tu n’es pas mon père !

Je sais que je joue avec ma vie, je le sais mieux que n’importe qui, mais que feriez-vous à ma place ? Il est hors de question que je laisse ma sœur vivre cet enfer. Rapidement, Etienne m’attrape par les cheveux et cherche à me mettre à genoux face à lui, en position de soumission. J’obtempère quelques secondes avant de lui faire une balayette, le faisant tomber au sol, le dos en premier.

Sans qu’il comprenne, je me mets à califourchon sur lui et enchaîne les coups de poings, gauche-droite, gauche-droite. Je laisse sortir toute ma haine enfouie depuis toutes ses années, les coups que je subis, ceux de ma mère, le travail forcé que l’on fait, ses remarques, ses rabaissements. Tout ce qui le concerne passe par mes poings, lui faisant cracher du sang et quelques dents aussi.

Mais je n’ai pas l’avantage rapidement, étant plus fort que moi, il inverse les positions et fait exactement comme moi, alternant entre les coups de poings et les claques, je finis par cracher du sang également, je ne sais pas combien de temps nous passons à nous battre mais je commence à fatiguer et lui aussi. Nous avons roulé de la cuisine jusque dans le salon, puis de retour dans la cuisine. Nous avons cogné contre l’ilot, faisant tomber un couteau de cuisine, non loin de nous. Ni une ni deux, je m’en empare avant de le mettre sous sa gorge, le stoppant dans ses gestes.

- Il est hors de question que tu touches une seule fois à Eli Dis-je à bout de souffle après avoir de nouveau crachée du sang.

- Alors tu devras me tuer, car si tu baisses le couteau une seule fois, je m’occuperais personnellement d’elle et après ce sera au tour des clients de ta mère. Dit-il également essoufflé

Je ne réfléchis pas une seule fois avant de lui trancher la gorge, dans un excès de rage, sa tête qui était légèrement relevée, finit par tomber lourdement sur le sol faisant apparaître une mare de sang de plus en plus grande, le couteau toujours en main, je me mets à lui planter dans le ventre, une fois, deux fois, vingt fois, l’hémoglobine tâche mon haut mais pour le coup, je n’en ai rien à faire.

Ce sont les gyrophares bleus et rouges de la police qui me font sortir de ma transe. Ça et les cris de ma mère à mon encontre :

- Mais qu’est-ce que tu as fait ?! Tu es un monstre Anastasia !

Moi qui pensais que ma mère allait être de mon côté, je suis servie, d’un coup la porte d’entrée s’ouvre avec fracas et quelques hommes en uniforme, armes à la main, se mettent à me viser.

- Police, je vous arrête ! Lâcher ce couteau immédiatement et mettez les mains lentement derrière la tête !

Je plante de nouveau le couteau en plein dans le cœur d’Etienne, je sais qu’il ne vit plus depuis un moment mais c’était juste pour m’en assurer.

Ensuite je me redresse tout en mettant mes mains derrière la tête, l’un des policiers m’attrape par le bras gauche avant de me menotter dans le dos. Je réprime une grimace tellement il a serré fort, mais il n’a pas l’air de s’en formaliser lorsqu’il me force à me lever et prendre la direction de la sortie.

Je regarde fixement ma mère, en pleur, à genoux contre Etienne, cet homme la battait comme un rien et elle pleure sa mort ? Pour moi, ce ne sera pas une grande perte, ma seule pensée est pour Elise.

J’entends comme en fond sonore un des policiers me citer mes droits, mais je m’en care totalement, mon attention est rivée à la fenêtre d’une des chambres de l’étage. Je vois ma petite sœur, les mains appuyées sur la fenêtre, probablement les larmes inondant ses joues.

Je sais très bien que mon acte est mauvais, impardonnable, mais je ne le regrette pas, à aucun moment, c’est pour ma petite sœur que je l’ai fait, pour sa sécurité.

Alors que le policier me demande si j’ai bien compris les droits qui me sont accordés, je lui murmure un « je t’aime » avant d’entrer dans la voiture, rien ne sera plus comme avant.

La porte se ferme juste derrière moi, tandis que mes yeux sont toujours rivés sur la tête de ma petite sœur, c’est probablement la dernière fois que je la vois.

Je continue de la fixer jusqu’à ce que nous tournions dans une rue, en quelques minutes, ma maison est devenue l’endroit où je ne serais plus jamais à ma place.

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