Prologue

8 minutes de lecture

Personne ne le connaissait. Depuis son départ, sa trajectoire restait inchangée. L’inconnu s’enfonçait toujours plus profondément dans le cosmos en se jouant de l’attraction d’astres ignorés. Il suivait à la lettre le plan de vol établi.

Il est parti d’une galaxie lointaine. Trop lointaine pour que les plus grands de nos radiotélescopes n’aient découvert l’existence de son système solaire. Pour éviter un cataclysme dévastateur, il s’extirpa de sa terre natale. La rencontre de son monde avec une exo-entité l’avait laissé orphelin ; seul gardien de la connaissance de ses origines ; l’unique témoin d’un Cosme qui n’existait plus.

Il entreprit un voyage de plusieurs milliers d’années-lumière. En devenant l’observateur passif de phénomènes encore inexpliqués, il attestait de ce qui fut, de ce qui était, et de ce que serait l’univers après son passage, inéluctable. Ethno-cosmologiste d’un nouveau genre, il étudiait la vérité des choses d’un œil objectif et froid, sans interagir avec son environnement. Le seul maître mot de l’expédition était de se préserver de toutes les tentations qui l’amèneraient inévitablement à changer de trajectoire. Il tournait autour de substances stellaires pour prendre vitesse et vélocité. Il était catapulté de planète en planète, emmagasinant contournement après contournement assez d’énergie pour se jouer de l’attraction mortelle des trous noirs.

Nébuleuses gazeuses et obscures ou bien encore planétaires, naines blanches, supernovas, galaxies, trous noirs, étoiles, systèmes solaires… Il avait observé, au cours de son périple, la complexité interactionnelle de ces entités. Si la possibilité lui avait été donnée d’en faire le bestiaire céleste, il aurait pu nous léguer son témoignage de la façon suivante :

« Cela fait déjà quelque temps que mon voyage a débuté et jusque-là tout va bien…… Au cours de mon voyage, j’ai été le témoin de phénomènes naturels qui défient tous raisonnements pragmatiques. Au loin, le rayonnement gamma d’une supernova qui illumine de sa pulsation rythmée l’immensité du vide. À quelques années-lumière, le spectacle de ces nébuleuses enfantant des étoiles. Être le spectateur de l’interaction de ces masses gazeuses entre elles, pour donner naissance à un des plus grands spectacles de l’élémentarité de la nature donne à réfléchir sur la raison de nos existences. Il y a un début, une continuité et une fin à tout. Jusque-là tout va bien, jusque-là tout va bien… »

C’est en 2 155 ap. J-C que des scientifiques avaient découvert l’existence de ce voyageur interstellaire. CL650 était le nom qui lui avait été donné par une équipe de chercheurs dirigée par un certain Professeur Todorov, éminent savant reconnu pour ses travaux sur les astéroïdes géocroiseurs. Inévitablement, sa découverte déclencha un compte à rebours qui figea définitivement dans l’ambre le destin de la Terre. Il ne nous restait qu’un peu moins de 60 mois pour imaginer une solution au problème qui filait à la vitesse d’une onde de choc sur le tissu gravitationnel. Fallait-il encore trouver une réponse pour sauver l’humanité tout entière d’une extermination désormais programmée.

Trente Kilomètres, voilà la taille approximative de cet astéroïde géocroiseur qui allait embrasser la trajectoire de la terre. En son centre, un noyau constitué de 60 à 70 pour cent de Fer et de Nickel recouvert par une épaisse gangue de glace. D’environ deux kilomètres, elle était composée des différents gaz et composés telluriques témoignant de ses origines lointaines. Mais malgré les efforts consentis par la communauté internationale pour modifier la trajectoire de CL650, la date de la fin du monde resta inchangée. L’humanité allait être confrontée au plus colossal cataclysme de son histoire.

L’existence de CL650 ne fut pas immédiatement dévoilée par les autorités. Dans le plus grand des secrets un programme d’enfouissement des structures sociales, économiques et politiques commença 50 mois avant CL650. Ce qui laissa aux plus optimistes de nos puissances un espoir de survie.

Il y avait bien longtemps que les hommes ne levaient plus les yeux au ciel. Continuellement cachées derrière un écran ionique qui permettait de convertir le maximum du rayonnement solaire en énergie électrique, les étoiles ne faisaient déjà plus partie de la canopée céleste depuis plus d’une cinquantaine d’années. Fait étrange, alors que les villes s’élevaient toujours un peu plus dans les airs pour gagner cette place qui manquait cruellement sur le plancher des vaches, il y avait bien longtemps que les choses de l'espace ne faisaient plus rêver les hommes. À croire que dans le souci du pragmatisme moderne qui vous faisait vivre à cent à l’heure, il valait mieux savoir où mettre les pieds que d’avoir à penser où aller. Avec le temps, le projet de rejoindre les étoiles était devenu une vieille rengaine has-been. Tout au plus, elle donnait à quelques personnes, de ceux qui avaient connu de vraies nuits scintillantes, le goût légèrement amer d’un souvenir à peine nostalgique. Le voyage dans l’espace ne faisait plus rêver les gens depuis bien longtemps. Nombre d’entre eux s’étaient rendu compte que ces promesses n’avaient été bonnes qu’à alimenter les histoires de sciences fiction, mais en aucun cas pour nourrir un quelconque espoir de se voir un jour mourir sur une autre planète. D’autres diront que le voyage dans l’espace existait bien, mais personne ne trouvait réellement d’intérêt à s'élever pour ne jamais en revenir. Comme ces colons qui, en leur temps, étaient partis conquérir le Nouveau Monde, c’était un voyage sans retour possible et alors qu’une grande partie de l’humanité était confortablement engoncée dans la facilité des grandes métropoles, tout le monde avait oublié. Les gens avaient tout bonnement perdu le sens des étoiles.

À de rares occasions, par peut-être charité scientifique, le ciel devenait une attraction pour les enfants. On le proposait aux curieux sous le spectre de planétomorphes géants qui propulsaient artificiellement dans les airs une voûte céleste dynamique. Mais jamais, au grand jamais, on ne levait les yeux au ciel intentionnellement pour regarder, s’inspirer et s’oublier.

Dès lors, ce n’était qu’à dizaines de milliers de kilomètres de la Terre que le monstre ferrugineux commença à exercer son implacable jugement à la surface de la Terre. Il ne restait plus pour la plupart d’entre nous qu’à attendre le bon moment pour fermer définitivement les yeux. Au cours de son évolution, l’Homme avait toujours démontré ses capacités d’adaptabilité en se hissant au sommet de la chaîne alimentaire, mais CL650 semblait vouloir lui donner tort. Et c’est le 28 août 2160 qu’il s’écrasa sur terre.

Dans un premier temps, l’astéroïde transperça les premières couches de notre atmosphère en sublimant son épaisse gangue protectrice. Un immense nuage de vapeurs ardentes s’exalta dans les airs. C’est avec la dramaturgie d’une pièce romantique, bien cachée derrière un masque de fumée que l’ultime dessein de ce voyageur intersidéral fut révélé. Dans une dernière lueur aveuglante, son cœur dévastateur ne montra son vrai visage qu’à l’instant même, où celui-ci embrassa la terre d’une intensité jusque-là encore jamais connue.

En baignant toute la rotondité de notre planète dans un ultime flash de lumière blanche, l’impact eut lieu à 18 h 35 GMT. C’est dans la province de Bayankhongor, située au sud-ouest de la Mongolie, sur le haut plateau du Sud de la chaîne montagneuse du Khangai que CL 650 s’écrasa. Presque instantanément à la surface de la Terre, un large panache de fumée recouvra rapidement l’intégralité de notre atmosphère. C’était fait. La terre était désormais livrée à elle-même, sans que la puissance du rayonnement transmis par notre soleil suffise à réchauffer cet éden que des circonstances uniques avaient permis de créer.

Le choc fut si terrible qu’il désorganisa définitivement l’équilibre de notre planète. Fermant définitivement ses accès océaniques à la mer Méditerranée, le Maroc et le sud de l’Espagne disparurent sous la plaque africaine. La plaque indienne se détacha du continent eurasien en laissant, comme une plaie ouverte et béante à la surface de la planète, une déchirure bouillonnante de magma le long de la chaîne montagneuse de l’Himalaya. Après le choc, le nouvel équilibre des masses à la surface de la Terre, engendra la désorganisation de la convection des fluides métalliques en fusion, en modifiant brusquement, dans son manteau supérieur, le champ magnétique terrestre. Sous l’effet des pressions constrictives, les plateaux océaniques comprimés, puis étirés, se déchirèrent entre eux. Répondant aux tremblements de terre par des raz de marée géants, les océans allaient redessiner les limites des terres encore émergées.

À la surface de la Terre, le désordre fut total. Rien ne s’était déroulé comme prévu. Par la force de l’impact qui correspondait à des milliers de fois, la puissance des plus grandes bombes à fusion jamais crées par l’homme, c’est toute la plaque eurasienne qui joua le rôle de résonateur tellurique. La terre, cherchant à laisser s’échapper toute cette énergie emmagasinée en un battement d’ailes de papillon, cracha d’énormes tremblements de terre qui se déclenchèrent un peu partout à la surface du globe.

Au passage de l’onde de choc, les plus vastes métropoles du monde contemporain s’effondrèrent toutes les unes après les autres. Alors fleuretant avec la canopée des cieux depuis plusieurs décennies, les plus grands de nos gratte-ciel, ces pyramides des temps modernes que rien ne semblait pouvoir ébranler, ne résistèrent pas très longtemps. Les quelques centrales nucléaires encore en fonctionnement autour du globe allaient, elles aussi, être touchées. Les enceintes de confinement, mal menées par la friction des plaques tectoniques entre elles, laissèrent, petit à petit, leur matériel radioactif s’échapper. En vaporisant dans l’air d’épais nuages radioactifs. En déversant dans les ruisseaux, fleuves, mers et océans une mélasse en fusion.

Les communications intercontinentales ne fonctionnaient plus. Comme emprisonné dans une immense cage de Faraday, l’épais nuage de fumée riche en particules telluriques rendit les communications satellitaires quasiment impossibles. La Terre était devenue orpheline de la plupart de ses satellites de communication sur lesquels tous les plus grands états-majors de la planète comptaient pour organiser une réponse au désastre.

Plongée dans une pénombre infranchissable aux rayons solaires, la terre allait rester en stase pour une durée qui n’était pas encore connue.

Deux heures que l’astéroïde s’était écrasé.

De l’autre côté de la planète, dans un vaporeux nuage de cendre et de poussière, l’horizon de la ville de Mexico n’était plus qu’une vue de l’esprit. Les repères topographiques que les Mexicains connaissaient n’existaient plus. Où que l’on porte le regard : à l’Est, au Sud, au Nord ou à l’Ouest, il était impossible d’entrevoir la cime de la Siéra de Guadalupe qui surplombait sur la ville depuis des milliers d’années.

Après le vacarme, le chaos laissa place rapidement à un silence assourdissant. Une déferlante de cendres et de poussières avait soufflé la ville comme vulgaire un fétu de paille en recouvrant tout sur son passage. Aussi loin que la mémoire collective ne s’en souvient, jamais la ville de Mexico n’avait eu à affronter un tremblement de terre de cette puissance. Elle s’était effondrée comme un château de cartes. Et tandis que tous les survivants, dans l’anonymat de leur statut de rescapé, sortaient des immeubles en ruine, un homme reprit conscience lentement.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Fred Opalka ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0