Spectacle

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Samedi, rue de la République, à douze heures cinquante-cinq, Ed, Marianne et Amanda marchaient d'un bon pas pour atteindre la Place Louis Pradel. Arrivés à destination, ils constatèrent qu'ils n'étaient pas les seuls à s'être déplacés pour la représentation de Sadjo Bel, beaucoup de personnes étaient au rendez-vous et du monde continuait à affluer des rues adjacentes. Impatients, ils allèrent au cœur du rassemblement pour tenter de l'apercevoir, mais en bavardant avec une dame, ils apprirent qu'il n'était pas encore là. Dans cette masse de gens, toutes les tranches d'âges étaient représentées et dans l'attente de l'illusionniste, certains scandèrent : « Sadjo ! Sadjo ! Sadjo ! ». Un mouvement de foule éclata, c'était étouffant et tout devint confus. Déboussolées, Amanda et Marianne perdirent Ed de vue.

Marianne dégaina son téléphone :

- T'es où ?

- À quelques mètres de vous ! Je vous vois, j'essaye de vous rejoindre quand je peux.

Malgré ses efforts, elle n'arrivait pas à le voir, puis des cris et hurlements retentirent, Sadjo Bel arrivait . Tout s'enchaînait trop vite, l'homme au baluchon fendit la foule, et il s'installa tranquillement comme à son habitude.

Une fois la cabine dépliée, il commença son tour en faisant apparaître des chaises et des tables. Amanda et Marianne étaient subjuguées par ce mec extraordinaire. Comment faisait-il ? Personne ne le savait. À la télévision et dans les journaux, même les grands illusionnistes restaient sans voix face à ce tour. Après avoir mis la table, par quelques gestes simples, le magicien invita des individus à venir sur scène. Les convives prirent place et le spectacle continua. La tension montait, Sadjo Bel était caché dans la cabine.

Marianne demanda à son amie :

- Quel sera le menu du jour ?

- Très bonne question , il va nous surprendre !

Le voile s'agita, le magicien ressortait chargé d'un plat, imposant. Il le déposa sur la table puis souleva doucement le couvercle. Malgré la clameur et les hurlements , éloignées, Marianne et Amanda s'interrogeaient toujours : « Qu'est-ce que ça pouvait bien être ? » .

La barrière des différences se brisa, une vague de partage et de joie traversa la foule. Tout le monde s'échangeait le nom du mets. Plus personne n'avait peur de s'adresser à son voisin. C'était un moment unique et une seule phrase résonnait dans toutes les bouches : « c'est un gratin dauphinois ».

Durant l'entracte, la panière du magicien se remplissait de pièces et de billets. Une fois le gratin dauphinois terminé, Sadjo présenta les fromages, brebis, chèvre, vache, il y en avait pour tous les goûts. Les invités se régalèrent.

En cherchant Ed, Marianne repéra plusieurs cameramans, le tour était filmé par des groupes audiovisuels et toute excitée, elle déclara à Amanda :

- On va sûrement passer à la télé !

Restaurés, les convives sortirent de table et un journaliste sauta sur l'occasion pour interviewer l'un d'entre eux.

D'une voix puissante, il demanda :

- Votre prénom Monsieur ?

- Victor !

- Victor, est-ce que c'était bon ?

- Quelle question, comme toujours c'était délicieux. Et sans lui, je crèverais la dalle. Merci Sadjo.

L'homme était heureux. Pauvre, il s'était sentit honteux, inutile et seul. Mais maintenant l'espoir revenait et il s'en sortirait. Avec sa main, il essuya ses larmes, salua le journaliste puis se fondit dans la foule.

La dernière partie du spectacle commença. Assis en tailleur, Sadjo était chargé de la marmite remplie de vaisselle sale. Deux individus sortirent du public pour le couvrir avec la nappe. Pris dans l'ambiance enivrante de ce tour de magie, Marianne et Amanda se joignirent à la foule en participant au décompte final en criant : « un, deux, trois, quatre ». Toutes ces voix unies dans un même rythme dégageaient une puissance sonore fabuleuse : « cinq, six, sept, huit, neuf, dix ». Le temps s'arrêta, tous les yeux étaient rivés sur l'illusionniste, chacun s'était déplacé pour vivre cet instant. La réalité vacilla quand la nappe s'effondra pour retomber à plat sur le sol. Sadjo Bel venait de disparaître, sans un bruit.

Des vérités partirent en éclat et un silence d'admiration s'installa.

En attente du moindre mouvement, tout le monde se focalisait sur la cabine, mais il ne se passa rien. Deux minutes s'écoulèrent et l'inquiétude gagna la foule. Sadjo Bel n'était pas du genre à se laisser désirer. Des discussions et murmures s'élevèrent, car les spectateurs s'interrogeaient. Le tour avait-il mal tourné ?

Marianne échangea un regard avec son amie et Amanda lança :

- Profites-en pour appeler Ed.

- Yes !

La jeune femme pianota sur son téléphone puis le colla contre son oreille :

- Allez va y Ed décroche ! Rhaaa ! Il est chiant, il répond jamais.

Elle leva les yeux au ciel. Soudain, sur la scène, le rideau s'agita et l'illusionniste fit son apparition. Des battements de mains retentirent, pour s'amplifier et se répandre comme une traînée de poudre. Joie intense, liesse générale, le nom du magicien résonna dans toute la place. Sous un tonnerre d'applaudissements, il salua la foule, en parfaite groupies, Marianne et Amanda participèrent l'ovation avec enthousiasme.

Sadjo Bel rangea son matériel. Puis il exécuta une dernière révérence avant de partir chargé de son baluchon. D'un pas nonchalant, il se fraya un passage parmi ses spectateurs et il s'éclipsa.

Progressivement, aspiré par la réalité, la foule se dissipa. Le quotidien et les préoccupations de chacun revenaient au galop. Ce tour de magie restera à jamais gravé dans les esprits. Une bouffée d'oxygène dans ce tourbillon financier, où le chacun pour soi règne en maître.

Amanda et Marianne retrouvèrent Ed. Il était assis sur les marches avec son téléphone à la main.

En la serrant dans ses bras, il lui demanda :

- Tu as essayé de m'appeler durant le spectacle ?

- Oui ! Pendant le moment de flottement, j'aurais aimé que l'on se retrouve.

Surpris Ed continua :

- Tu parles de quoi ?

- Ben pendant le final, le temps que l'illusionniste réapparaisse...

- Ah ! Mais ça n'a pas duré longtemps !

- Si, quelques minutes...

- Je m'en suis pas rendu compte et je n'ai pas entendu mon téléphone sonner... Je suis désolé !

Marianne remarqua qu'Ed était déjà loin dans ses pensées, parfois, ça lui arrivait. Quelque chose n'allait pas, mais qu'est-ce que ça pouvait bien être ? Pas facile de se mettre à la place d'un mec ! Il se sentait peut-être couillon d'avoir merdé ?

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