L'ordalie 5/

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Bien que dans l'impossibilité de bénir son seigneur, Ombre lui souhaita tout le bien possible pour l'avoir écoutée, le jour de leur première ordalie ensemble, quand elle avait refusé de se positionner en esclave personnelle selon les coutumes de leurs visiteurs. Elle bénéficiait du droit exclusif non seulement de se tenir auprès de l'homme qu'elle servait, mais aussi de rester droite, sans collier ni chaîne. Depuis le temps, les étrangers s'y étaient accoutumés.

Un mouvement de foule ouvrit une haie d'honneur au Comte et aux siens, des gardes déplièrent des sièges portatifs et les disposèrent pour leurs seigneurs. La haie resta ouverte, laissant libres d'arriver les deux premier combattants.

De nouveau dans un bel ensemble, tous les humains saluèrent les Ancêtres avec cérémonie, tandis que Bastian de Xévastre pénétrait dans la lice consacrée. Il portait son armure de duel, à la fois pratique et ornementée, de métal noir, de fioritures d'argent et d'éclats d'émeraudes. Une marque de fer jauni indiquait l'emplacement exact de son incision pour confier son sang aux Ancêtres. Il s'inclina bien bas, les mains ouvertes bien en vue de sa famille selon leurs coutumes. Ensuite, il pivota vers les accompagnants du Duc, son adversaire, et les salua à la mode de l'Est d'où ils venaient, un genou à terre. Et il s'agenouilla de même devant les suivants du Baron.

Bastian leur tourna le dos, et fit face au prélat qui le rejoignait au centre de l'arène. Ce dernier ouvrit son encensoir et y plongea les doigts, avant de parer le casque, le plastron puis l'épée à deux mains du duelliste de symboles religieux d'une substance jaunâtre sombre, d'où émanait une écrasante senteur que l'assemblée associait à l'église.

Tous attendirent par la suite l'arrivée du Duc. Ce dernier ne se fit pas attendre, et avança d'un pas martial dans son armure ivoirine, noire et verte. Son emblème rutilait sur le plastron, affichant un ours monumental armé d'une lance de joute. Il reçut la même onction que son adversaire, les rangs des spectateurs se refermèrent et le prélat quitta la délimitation de l'arène. Les deux hommes en armure se firent face, et jurèrent d'une même voix :

  • Que les Ancêtres fassent connaître par notre entremise lequel de nos partis respectifs détient la Vérité.

Les trois prêtres les bénirent une dernière fois, et attendirent que le silence s'instaure pour lancer l'ordalie.

Les deux guerriers se jetèrent aussitôt l'un sur l'autre. Leurs pieds soulevaient une fine pellicule gris sombre qui dissimula bien vite leurs jambes.

Bastian ne chercha pas à tester son adversaire, mais à le renverser d'un coup de pommeau au ventre. Le Duc parvint à amortir une partie du choc, et s'attira le respect du jeune homme en encaissant sans faiblir. De par ses incarnations dans le passé, Ombre connaissait la violence du choc, et le respecta elle aussi. Le Duc chercha à bénéficier d'un espace suffisant pour manier sa longue épée, reculant, se jetant sur le côté, sans que son adversaire ne le lui permette. La dragonienne spectatrice et l'accusé comprirent en même temps la stratégie de Bastian, désireux de désarmer au plus tôt son adversaire pour mieux le clouer au sol, et d'en venir aux mains. Avec leur stature équivalente, cela comportait des risques.

Les tentatives de prise de distance cessèrent, le Duc voulut l'emporter par forfait ou incapacité à poursuivre le duel, en s'acharnant sur le casque et le plastron de son opposant. En quelques minutes à peine, Bastian parvint à surprendre Descombes. Faisant mine de vouloir lui faucher les jambes, il le percuta de plein fouet, lâcha son arme et saisit le Duc par les avant-bras, avant de le renverser. Bien conscient que cela ne suffirait pas à l'emporter, il arracha l'arme des mains adverses et frappa le casque comme un forcené, encaissant la défense de plus en plus hésitante de sa cible.

D'un bond qui fit cliqueter son armure, Bastian se remit debout et attendit que son adversaire se redresse. Dès que ce dernier fut accroupi, il se rua sur lui et l'assoma d'un crochet. Bastian se battait aussi aisément avec son arme qu'avec ses poings, et se mouvait sous son armure avec une agilité rare.

Sans laisser l'occasion aux prêtres de faire de le décompte pour savoir si l'inconscience du Duc lui coûterait la victoire, le jeune homme brandit le poing et compta les secondes sur ses doigts. Bien que sous le coup de l'adrénaline, il compta assez lentement pour qu'on ne puisse l'accuser de triche.

Les dix secondes passèrent. Le Duc ne se relevait pas, ne bougeait plus, l'armure maculée de cendres, de sel et de coulures de fond d'encens. Bastian salua l'assemblée, les vivants comme les morts, et s'attarda pour retirer son casque, le temps de saluer les Vents en silence. Comme la coutume l'y obligeait, il retira également le casque de son adversaire.

Tous deux étaient tuméfiés, le souffle court. Aucun doute n'était permis : le Duc vivait. Bastian s'épongea le front, et attendit que le prélat annonce la décision des Ancêtres. L'ecclésiastique donna la sentence :

  • Le jugement des Ancêtres est rendu. Duc Descombes, vous êtes accusé devant témoins de porter atteinter à la paix du royaume, le Roi décidera de votre sort en conséquence.

Dans sa grande bonté, Bastian assista les proches du Duc à l'emmener à part, à quelques mètres de la foule puis de les laisser le débarrasser de son armure et attendre l'arrivée d'un soigneur.

Pendant ce temps, le Baron Wulik faisait son entrée. Son armure martelée rouge et cuivrée attirait le regard. Ombre apprécia la vue, tandis que la famille de Xévastre échangeait quelques messes basses bienheureuses sur le duel terminé. Ils savaient tous déjà comment se finirait celui à venir. Emportés par l'émotion, Thomas et Xavier demandèrent à Herbert s'il avait prêté attention à la technique des duellistes. Ce dernier répondit de son habituel ton rêveur :

  • Oui. Si vous le voulez bien, je me montrerais plus prolixe ce soir.
  • Reste concentré sur Hubert et notre cher Baron alors, conclut Xavier.

Il accompagna sa demande d'une bonne tape sur l'épaule de son petit frère. L'espionne embrassa furtivement la famille du regard. Dame Utiale se reposait dans sa chambre et ne souhaitait jamais souffrir ces barbaries, le Comte malgré sa retenue irradiait de fierté, pendant que Xavier échangeait des regards entendus avec Herbert. L'un de rares moments où les yeux de ce dernier ne semblaient pas s'égarer en des terrains inconnus. Enfin, comme toujours isolé de tout cela, son seigneur Gérald, profitait du plaisir simple de voir une belle armure sur un futur vaincu et savourant dans la quiétude la double victoire de sa famille.

Les proches du Baron se hissèrent sur la pointe des pieds et se dévissèrent le cou pour tenter de deviner qui serait l'opposant de leur seigneur. Le dénommé Hubert s'avança en prenant son temps. De nouveau, la foule se referma derrière le duelliste, et le prêtre consacra leurs armes et armures. Avant que quiconque ne puisse lancer les hostilités, le Baron s'écria :

  • J'exige de voir le visage de mon opposant !
  • Comme il vous plaira, messire, lui répondit le Comte. Hubert, veillez retirer votre heaume.

Avec respect, le garde obéit. Face au Baron, il ôta son casque, et attendit que cessent les cris outragés de la famille de ce dernier, stoïque.

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