Retour à Vorn 2/7

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La femme s’avança avec une prestance surnaturelle. Sa robe blanche à liserés rouges et or épousait les courbes de son corps, la rendant radieuse. Ombre plissa les yeux. La duchesse représentait l’incarnation de la beauté féminine. Le port altier, la démarche noble et fluide, la blonde aux yeux verts, aux yeux de biche et aux cils sans fin, donnait une parfaite illusion de bienveillance. Ses formes étaient élégamment mises en valeur par sa tenue. Ses épaules dénudées pour la première fois depuis des mois laissaient voir une peau de lait trancher avec le teint hâlé de la noble. Pendant une fraction de seconde, Ombre elle-même douta un instant de ce que cette horreur lui avait fait subir.

Avec un sourire heureux, la Demoiselle… la duchesse Isa s’avança jusqu’à Gérald et Xavier. Elle prit la main de son promis, et l’embrassa en le regardant droit dans les yeux, mutine. Ombre entendait le cœur de tous les hommes alentours s’emballer. Serviteurs de Vorn, mercenaires, comme les gens de Xévastre. Ils déglutissaient les uns après les autres depuis l'apparition d'Isa. La dragonienne jeta un coup d’œil à son seigneur. Empourpré, les lèvres serrées afin d’empêcher une bêtise de jaillir, il se donnait le temps de se reprendre. Xavier ne s’en sortait guère mieux.

Avec un tempo parfait, alors que les deux hommes venaient de réassembler leurs pensées et leurs souvenirs de l’étiquette, Isa se recula d’un pas et les salua d’une profonde révérence, hypnotisant de nouveau son promis. Le décolleté révélait ce qu’il fallait de peau. Ombre espéra qu’aucun des deux ne se laisserait prendre trop souvent à cette diversion. L’aîné donna un léger coup de pied à son frère, afin qu’ils s’inclinent dans un bel ensemble face à la maîtresse des lieux… et de la fortune la plus importante du royaume.

Ombre perçut avec surprise l'odeur de deux dragoniens, quelque part dans l'assemblée des serviteurs et esclaves de Vorn. Pourtant, elle ne voyait aucune personne écailleuse. Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? La garde demeura de marbre, tandis que de nombreuses interrogations s'enchaînaient dans son esprit. La magie était proscrite en ces terres, et les hybrides systématiquement éliminés. Non, les odeurs qu'elle flairait n'appartenaient pas à des hybrides. Avec une sérénité de façade, elle laissa son regard errer avec flegme sur l'assemblée humaine autour d'elle. L'odeur entrait en contradiction avec sa vision. Obtèr connaissait son secret, elle pourrait l'interroger plus tard sans craindre pour sa réputation d'imbécile. Elle tenterait sa chance la nuit même.

Les échanges silencieux de politesses achevés, la monstrueuse enchanteresse prit la parole. Sa voix, déjà splendide dix ans plus tôt, avait encore gagné en assurance et en force de suggestions. Ses mots envahissaient l’esprit et s’y incrustaient. Isa avait décidément tout pour elle. Un corps parfait, une voix à se damner, l’esprit, la fortune et des artistes à son service. Ombre se demanda comment son seigneur comptait résister à tout cela une fois marié. Ne finirait-il pas totalement soumis à cette envoûteuse ?

- Je vous souhaite la bienvenue en ces lieux, sieurs de Xévastre Xavier et Gérald.

Sa manière de prononcer le nom de son promis laissait deviner tout ce qu’elle éprouvait pour lui. De l’amour candide et inconditionnel. Toutefois, elle parvenait à donner une illusion de bienveillance. Pourquoi pas ceci ?

- Nous vous remercions de votre accueil chaleureux, répondit Xavier.

Elle inclina la tête avec douceur. Son regard rencontra celui d’Ombre, qui se sentit pétrifiée. Elle parvint à conserver un regard vide et son habituelle expression neutre, tout en fixant un point imaginaire derrière l’humaine. Le cœur d’Isa battit différemment. Jusque-là emballé par l’amour, le muscle trahit sa haine ; Ombre s'estima satisfaite de mieux contrôler le sien. Ces dragoniens qu'elle ne pouvait que sentir s'ajoutaient à ses angoisses. La respiration de la duchesse ralentit, tandis qu’elle conservait son masque de parfaite jeune femme.

- Vous désirerez peut-être vous reposer et vous sustenter, après votre long voyage ? supposa-t-elle en s’intéressant de nouveaux aux deux nobles.

- Un bref repos ne serait pas de refus, accepta Xavier.

- Une fois remis, où pourrais-je vous rejoindre, mon aimée ? demanda Gérald.

- Que diriez-vous du boudoir près de la bibliothèque, amour ?

Gérald accepta. Ombre manqua de peu de grincer des crocs. Il ne faisait pas semblant. Il succombait au charme. La créature désigna un humain du menton, et Ombre reconnut l’un des nombreux mercenaires fraîchement recrutés. Rasé de près, lavé, les cheveux teints au charbon, mais la dragonienne n’était pas dupe. Il lui fut demandé d’accompagner les invités à leurs quartiers, tous réunis à la tour sud-est, fort confortable. Comme toujours, chacun fut séparé selon son rang et sa fonction. Ombre préféra ne pas attirer l’attention, et demeura dans ses appartements alloués, à partager avec les deux gardes de maître Xavier.

Elle empêcha Clément de l’isoler pour l’incommoder de questions, et fut soulagée lorsque, deux heures plus tard son seigneur vint la chercher. Il sortait d’un bain, et fleurait la violette. Une fois seuls dans les escaliers, il lui demanda :

- L’odeur ne t’incommode pas ?

- Non. Depuis quand vous parfumez-vous ?

- Elle préfère comme ça…

- Vous sentez-vous prêt à jouer votre rôle ?

- Bien sûr.

Profitant de leur isolement, elle lui montra les crocs.

- J’en doute. Je pense plutôt qu’elle vous possède.

- Dans les meilleurs mensonges se trouvent quelques parts de vérité, se dédouana Gérald. Et je ne puis oublier ce qu’elle t’a fait…

- Je ne suis pas sa seule victime.

Seul le silence lui répondit. Elle ajouta à mi-voix :

- J'ai flairé deux dragoniens sans pouvoir les voir, lors de notre accueil.

- Peut-être cachaient-ils leur visage ? marmonna lugubrement Gérald.

- J'en doute. Rappelez-vous qu'elle paie des mercenaires. Je n'ai pas eu le temps de tous les identifier. À moins qu'il ne s'agisse de ses mages.

Cela sonnait comme une sentence. Ils atteignirent le boudoir dans un silence tracassé, et y trouvèrent Isa lisant un livre de comptes. La noble s’illumina d’un sourire tendre lorsqu’ils pénétrèrent dans le boudoir. Un autre mercenaire travesti en serviteur partit ranger le livre et veiller à ce que nul ne vienne les déranger.

- Votre voyage fut-il agréable, mon promis ? S’enquit-elle en se levant.

- Il le fut, douce Isa.

Cette dernière jeta un regard en biais vers Ombre.

- Me sauriez-vous grès de lui faire porter une tenue différente ? Vous savez comme j’aime m’entourer de la beauté de la vie. Son armure fantaisiste et ses armes m’indisposent, et heurtent mon sens de l’esthétique…

- Veuillez me pardonner, ma mie, mais Ombre est ma garde personnelle. Elle se doit de pouvoir me protéger en toute occasion. Il s’agit de ses outils de travail.

Isa répondit par une moue blessée.

- Craindriez-vous pour votre vie entre ces murs ?

- En aucun cas, je vous l’assure…

- Prouvez-le moi. J’ai fait préparer ceci à son attention.

Elle montra d’un geste un paquet ciré posé sur l’un des nombreux fauteuils. Gérald céda devant le regard décidé d’Isa, et demanda à Ombre de changer de tenue. Toutefois, il insista pour qu’elle conserve son épée. Tandis qu’elle partait se changer dans la bibliothèque déserte, Ombre écouta la suite de l’échange.

- Comment vous a-t-elle convaincu de la laisser porter une armure intégralement peinte ?

Ombre retint son souffle, tandis qu’elle déballait la robe à dos nu. Ses cheveux seraient trop courts pour dissimuler ce que la robe laisserait visible. Notamment les trois lettres gravées dans sa chair et dans ses os.

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