Prix à payer 8/9

4 minutes de lecture

 C’est dans une forêt du sud qu’il apparut. Nauséeux à cause des changements de températures brutaux, Obtèr se changea en dragon avec difficulté, et rugit un appel à l’aide tonitruant. Il s’égosilla plusieurs minutes, avant qu’un dragonien vêtu de peaux mal écorchées ne vienne à sa rencontre, soupçonneux. On ne devait le quérir que pour deux raisons. Une personne importante allait mourir, ou leur révolte débutait, et il tenait à se battre pour la liberté de leur race.

- T’es qui, toi ? demanda le guérisseur avec humeur.

 Le soldat reprit forme humaine.

-Un envoyé de Kassia, ma fille se meurt, suis-moi tout de suite !

-Va chier ! s’outra le dragonien sauvage. En quoi elle sert notre cause ta bâtarde ?

-T’occupe et va la sauver, tu as tout à y gagner en venant, tout de suite, le temps presse bordel !

 Le sauvage voulut le ralentir encore. Obtèr le souleva d’une main en le tenant par le col, le vêtement gémit et menaça de céder. Le soldat ne trouva rien contre lequel plaquer cette enflure qui, à force de traîner des pieds risquait de tuer sa fille, et lui mit tout de même une griffe sous l’œil. Malgré toute leur magie et leurs connaissances, les guérisseurs ne savaient pas restaurer les yeux. Et un borgne ne pouvait servir leur cause en prenant part aux combats à venir.

- Maintenant au choix, siffla Obtèr, soit tu viens, et tu obtiens la garantie de demeurer un dragonien libre en toutes circonstances, de la main même d’un humain de la noblesse. Soit je t’arrache l’œil et tu deviens impotent. Alors ?

 Son compatriote tenta de se défaire de sa poigne, mais le guerrier lui griffa la paupière pour l'aider à se décider plus vite. Cela convainquit le mage de se soumettre pour cette fois, et il activa lui-même le portail jusqu’à Vorn. Obtèr priait tout ce qui pouvait exister pour qu’ils arrivent à temps. Personne ne s’étonna qu’il revienne accompagné d’un ermite puant et vêtu de peaux malodorantes. La besace de guérisseur se reconnaissait entre mille, dragoniens comme humains présents laissèrent l’inconnu traverser les quelques lignes de Gué-des-Âtres grâce à ce symbole et la présence de Hubert.

 De retour sous la tente où Ombre recevait les premiers secours, le guérisseur dragonien bouscula l’humain sans mot dire, et ausculta le corps. Xavier et ses deux gardes observèrent avec attention la suite, Obtèr se positionna près d’eux. Le soigneur resta en retrait. L’écailleux retira les cataplasmes, tout en maugréant divers commentaires sur l’état de la mourante. De nouveau mise à nue, Ombre ne réagissait pas.

 Le dragonien demanda à rester seul avec sa patiente, ce qui fut refusé. Xavier voulait voir la magie à l’œuvre, et Obtèr ne faisait pas confiance. Les deux gardes personnels du sieur ne pouvaient quitter leur poste. Enfin, hors de la tente deux soldats de plus devaient s’assurer que Gérald, si émotif, ne vît sa confidente dans cet état. À tout ce monde s’ajoutaient de plus en plus de membres de l’escorte seigneuriale, au cas où les gens de Vorn souhaiteraient les voir partir.

 Que la Demoiselle Isa ait fait torturer Ombre commençait déjà à se savoir parmi les envoyés du comté.

 Tandis que le guérisseur posait la main sur le bas-ventre de la martyre, tous entendirent Gérald se débattre entre les mains des soldats, beuglant qu’il devait la voir. Sans y prêter attention, l’écailleux grommela :

- Je sais pas qui l’a torturée, mais ce gars devrait être éliminé.
- Pourquoi pensez-vous à un homme ? s’enquit Xavier, curieux et d’une voix douce.
- Aucune femme ne pourrait penser à un tel traitement.
- Si vous le dites.

 L’héritier du comté et Obtèr se lancèrent un regard entendu. Le guérisseur donnait l’impression de maîtriser pour les soins, mais cela ne le préservait pas de stupidités. Du moment qu’il sauvait sa comparse.

 Tandis que Gérald insistait toujours pour voir son amie, Bastian et Herbert s’invitèrent auprès de leur aîné. L’état de l’espionne de la famille les rendait muets. Ils savaient bien qu’il y avait quelque chose de pourri au duché de Vorn, mais le constater de leurs propres yeux… Mus par une curiosité morbide, et découvrant une dragonienne nue pour la première fois, ils observèrent le guérisseur achever son auscultation, puis poser les deux mains sur le ventre de la moribonde. Cette dernière avait le regard vide, l’air éteint.

 Une légère lueur illuminait les mains du guérisseur et le ventre d’Ombre. La seule autre preuve que la magie entrait en jeu était la vitesse stupéfiante à laquelle les chairs se régénéraient. Les os se remettaient en place dans des craquements sinistres. Obtèr surveilla les lèvres, la seule partie du corps dépourvue d’écailles et permettant de se faire une idée de la quantité de sang présente. Pour le moment, le guérisseur se contentait de restaurer le corps, sans se soucier encore de l’anémie et de l’arythmie cardiaque.

- Faudra lui donner de la viande rouge, grogna le guérisseur. J’pourrais pas agir sur son sang. Lui faudra des mois de rations supplémentaires de viande rouge.

- Selon vous, quand pourra-t-elle reprendre du service en tant que garde ?

- Avec son manque de sang, laissez-lui au moins six semaines.

 Les trois frères se concertèrent du regard. Un minimum de six semaines. Une chance que leur famille ne se reposait pas sur ses compétences guerrières. Obtèr surprit cet échange muet, et se demanda à quoi ils pensaient. Bien sûr, il savait que sa fille servait de confidente à l’humain refoulé à l’entrée de la tente, et malgré sa déficience mentale bénéficiait d’un droit de port d’armes, qu’elle savait par ailleurs maîtriser. Il grinça des crocs en pensant à ce que Kassia comptait faire de leur fille.

 Maintenant qu’elle ne saignait presque plus, il repensa à ses découvertes sur les dragoniens de Vorn. Tous leurs comparses les pensaient irrécupérables, une fois leur liberté proclamée et imposée, et par conséquent à éliminer, avant que leur sang n’affaiblisse leur peuple. Et voilà que non contents de montrer des airs de population hiérarchisée, l’un d’entre eux au moins maîtrisait la magie d'une manière digne des premiers dragoniens arrivés en ce monde. Cela pouvait tout changer.

 Peut-être qu’au lieu de les annihiler, il pourraient trouver un moyen de communiquer et de s'allier à eux. Kassia devait être mise au courant. Et ils devaient connaître les retombées diplomatiques entre Vorn et Gué-des-Âtres.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Hilaze ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0