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 Lorsque toutes les plaques de peau arrachées eurent fini de repousser, le guérisseur retourna Ombre avec brusquerie. Le piaillement de douleur qu’elle poussa en réaction projeta son père adoptif sur le guérisseur, il le saisit par l’épaule, le retourna et lui brisa la mâchoire d’un coup de poing. Le craquement des os glaça les trois humains présents. Toutefois, ils approuvaient. Les yeux vitreux de leur espionne les inquiétait pour ses performances futures. Et Bastian l’appréciait en tant qu’adversaire de duels.

- Fais-lui mal une seule fois encore et je t’arrache l’oeil, sans-terre, compris ? siffla le père malade d’inquiétude.

- C’est pas de ma faute si ta bâtarde est une faible, rétorqua l’autre d’un ton glacial.

- Termine ça et va vivre la même chose qu’elle, on verra si tu la trouves toujours faible…

- Hubert, même si je vous comprend, reprenez-vous, intervint Xavier avec sa douceur habituelle. Quant à vous, guérisseur, veuillez respecter votre consœur. Nous ne savons pas encore avec certitude ce qui lui est arrivé, mais nous apprécierions qu’elle puisse reprendre son rôle au plus tôt. Et nous doutons qu’ajouter à son calvaire y contribue. Reprenez, je vous prie. Et sachez que vous serez récompensé à la hauteur des efforts que vous fournirez.

 Le guérisseur les regarda de haut, ces soumis aux humains et ces inférieurs. Puis il reprit la régénération de ce corps brisé. Arracher l’aile détruite le tentait. Cette hybride, car une telle faiblesse, cette absence de réaction, l’absence de magie et surtout le fait de finir dans cet état ne pouvaient être dus qu’à une corruption de sang humain dans les veines, n’en avait pas besoin.

 Il saisit un long scalpel dans sa besace, et de nouveau le dragonien à la botte des humains l’empêcha d’agir à sa guise. Kassia devait être mise au courant de tout ceci. Résigné, le guérisseur restaura aussi ce membre inutile, qui une fois réparé réintégra spontanément l’intérieur du dos. Une sans-instinct, en plus. Pourquoi perdre du temps avec cette sang-mêlée ?

 Obtèr sentait la façon dont sa fille agaçait le guérisseur, et bouillonnait intérieurement. N’y tenant plus, il fit face au sauvage et, quand il pressentait une maltraitance venir, sortait discrètement les griffes, rappelant ce qui attendait le dévot. Cela fonctionna. Après la peau et les muscles, le guérisseur s’intéressa à l’entrejambe détruite à l’arme blanche. C’était d’un classique désolant. Il apposa sa main sur la région mutilée, et restaura aussi cela, au cas où ce père fou s’amuserait à vérifier. Quand même, l’absence d’infection tenait du miracle.

- Fini, annonça le guérisseur.

- Pensez-vous que sa psyché a été atteinte ? demanda Xavier.

- Vous avez vu son regard ? Bien sûr !

 Bastian intervint, avant que son frère ne perde patience et n’oublie de récompenser ce dragonien sauvage, qui malgré ses défauts venait de sauver une espionne et bretteuse d’exception.

- Selon vous, comment lui rendre ses facultés mentales ?

 Obtèr tendit l’oreille. Qu’une personne autre que Gérald s’intéresse à l’esprit d’Ombre était étrange. Lui-même n’essayait plus de mener des conversations avec elle. Le guérisseur fronça les sourcils, se demandant si cette demi-portion en détenait avant de subir ce que méritaient les faibles et les demi-sangs.

 L’intérêt du père adoptif d’Ombre n’échappa pas à Herbert, et il invita celui-ci à sortir, puis à s’éloigner assez pour que son ouïe fine ne perçoive plus la suite. Il en profita pour emmener Gérald dans leur sillage. Ce dernier pleurait, exigeant toujours de voir celle à qui il devait sa réputation de zoophile. Voilà qui allait aggraver son cas.

 Sous la tente, Xavier interrogeait le guérisseur au sujet des répercussions sur l’esprit.

- Nul ne peut rien faire, alors ?

- Exactement.

- Pas même la magie ?

 Le dragonien se hérissa, ce qui rendit ses frères nerveux. Ils portèrent la main à leurs armes, tout en lui faisant signe qu’il devait parler. Dans un soupir, il développa, tout en pensant à tout ce qu’il devrait raconter à la tête pensante de la révolte.

- La magie a ses limites, elle peut détruire les esprits mais pas les restaurer. C'est aussi à cause de ces limites que les cicatrices sur son dos vont revenir. La volonté qui les a gravées dépasse mes compétences.

 Xavier devinait qu’ils ne pourraient rien obtenir de plus de ce dragonien buté. Il ouvrit sa veste, laissant voir les très nombreuses poches intérieures. Il y chercha un papier accompagné d’un médaillon. Sentant peser sur lui un regard curieux, il sourit au guérisseur.

- Tout travail mérite salaire, je vous propose celui-ci : un acte d’affranchissement, interdisant à quiconque de vous priver de liberté. Et comme un parchemin se détruit ou s’égare aisément, nous avons pour coutume à Gué-des-Âtres d’accompagner l’acte d’un symbole. En cas de besoin, présentez-les aux représentants de l’autorité, et vous recouvrirez votre liberté. Cela vous convient-il ?

 Il savait que certains dragoniens préféraient vivre reclus, plutôt que de côtoyer les humains, et crachaient sur l’argent. Et il devait lui faire comprendre qu’il n’avait rien à voir avec les hommes de Vorn. Un tel guérisseur pouvait s’avérer utile. Il devait aussi, par la suite, demander à Hubert comment il l’avait déniché, et ce qu’il pensait de ce sauvage.

 L’héritier trouva ce qu’il cherchait parmi ses rangées de poches intérieures. L’un de ses gardes personnels devança son ordre, et demanda à l’extérieur un écritoire, une plume, de l’encre et du buvard. Tout leur fut acheminé rapidement, et Xavier put signer l’acte. Le guérisseur partit, se demandant ce qu’il pourrait bien faire de ces objets.

- Quelles réparations pourrions-nous demander ? s’interrogea Bastian.

- Rien pour le moment, répondit Xavier.

 Son frère se tourna d’un bloc vers lui, surpris. Avant qu’il n’ajoute quelque chose, Xavier poursuivit :

- Gardons cela pour plus tard. Je pense que cela motivera Gérald pour son mariage, et qu’il s’impliquera davantage. Surtout pour rendre la monnaie de sa pièce à sa femme. Imagine, leur premier enfant naît, et il découvre que celle qui brisa sa confidente est la mère de son enfant. Par droit de filiation, il aura été élevé au rang de duc, et pourra répudier Isa, il pourra aussi la déposséder de bien des domaines, dont les plus riches. Non seulement cela nous laisse du temps pour préparer un conflit que nous ne pouvons mener dans l’immédiat, mais en plus cela légitime ce que nous avons déjà prévu. Nous pourrons détourner les biens de Vorn en toute légalité. Cet événement nous arrange, quand on y réfléchit.

- Tu viens d’improviser tout cela ? s’ébahit Bastian.

- Oui. Le plus dur sera de convaincre Gérald de patienter quelques années, avant d’exiger réparation. Et de savoir si Ombre saura mentir comme avant...

Note pour plus tard : sphère de souvenir

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