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  Peu à peu, Ombre perçut de nouvelles odeurs, écrasées par les senteurs chimiques. Celle de charognes en décomposition. Celle du vieux sang. Des fragrances de sueur et de stupre. Le tout accompagné d’émanations de terreur, d'urines et d'excréments en des lieux jamais aérés. Sa peur devint telle que les larmes lui montaient aux yeux. Son estomac se noua. Une sueur glacée lui parcourait le dos. Elle ignorait ce qui allait lui arriver, et cela l'angoissait comme jamais.

 Alors, au détour d'un couloir illuminé par des puits de soleil, des miroirs et des torches, elle vit. Dans une cuve incrustée dans la roche, baignant dans un liquide légèrement jaune, était suspendue par un crochet de boucher une carcasse. Celle d'une dragonienne, dont il ne restait que le tronc. La tête et les membres oscillaient derrière en une ignoble procession rapprochée, rendus troubles par le fluide dans lequel ils flottaient.

- Admire ce que tu vas devenir, créature... souffla alors Isa d'un ton rêveur.

 La Demoiselle indiqua le tronc du menton, et l'un de leurs suiveurs plongea la main dans un trou qui, avec l’obscurité ambiante était indiscernable des pierres du mur. Il empoigna une chaîne à deux mains, puis tira. Le tronc bougea, et remonta. Un système de poulies cliqueta, et amena la carcasse dégoulinante. L'odeur devint infecte. Celle d'une sorte de vinaigre agressif et concentré à l'excès, mêlée à une odeur de pied laissé à mariner un temps excessif dans ses sudations.

Dégoûtée, Ombre ne prêtait plus attention au comportement d'Isa. Elle détaillait la carcasse suppliciée avec une répulsion mêlée de sentiments indistincts. La vue des os brisés réveillait quelque chose en elle qu'elle ne sut identifier. Les chairs à vif et la peau lacérée ne la laissaient pas indifférente. Pourtant, Ombre ne voyait pas son premier cadavre, après ses errances dans le passé et les parties de chasse avec Gérald. À moins que son esprit ne dissocie ses visions du passé de celles du présent, et ne différencie strictement les carcasses animales des cadavres humanoïdes.

  La Demoiselle Isa posa la main sur la hanche de ce reste de dragonienne. Caressa les écailles, comme s'il s'agissait d'une amante. L'humaine laissa son regard glisser avec plaisir sur la croupe, jusqu'au pubis aux écailles arrachées de façon irrégulière. Sa main suivit le même parcours, puis se glissa dans l'entrejambe. Ombre ne put y croire. L'horreur la heurta de plein fouet. Pétrifiée, elle ne put s'empêcher d'observer le va-et-vient des doigts de la Demoiselle dans l'intimité du corps. Les soupirs de plaisir de la femme, tandis qu'elle se lovait contre le tronc démembré et suspendu à sa hauteur.

  D'un claquement de langue, la femme donna un ordre aux deux dragoniens. Celui resté inactif jusque-là approcha d'Isa, et la dévêtit avec une douceur craintive. Tandis que son corps était caressé et dénudé, Isa s'emparait du tronc huileux et s'y frottait avec volupté. Une fois nue, elle se détourna de la carcasse, pour s'intéresser à Ombre et lui sourire, pour la première fois avec tendresse.

- Ceci est de ta faute. Il fallait bien que je te fasse payer l'affection que tu me voles. Et je savais que je n'aurais pas de seconde chance, chose... alors, j'ai expérimenté. Tout est prêt pour toi.

 La bouche sèche, Ombre ne put réagir. Elle entendait toujours les succussions des chairs mortes autour des doigts bien vivants d'Isa. Les va-et-viens obnubilaient son esprit. Isa repoussa le cadavre avec douceur, et le dragonien resté près de la chaîne le ramena à sa place initiale.

 Le groupe reprit sa marche. La dragonienne surprit des horreurs supplémentaires. La Demoiselle Isa ne s'était pas contentée de dragoniennes. Des corps de femmes, d'hommes et de dragoniens de tout âges flottaient dans des cuves. Elle en compta seize. Tous démembrés et décapités. Elle s'étonna de plusieurs détails récurrents. Outre les lacérations situées au niveau des côtes, souvent jusqu'à entailler les os, et les membres démis, toutes les têtes coupées tiraient la langue. Comme pour lécher quelque chose. Les ailes du nez avaient été coupées aux ciseaux. Les extrémités des articulations défaites de leur chair.

 Ombre peinait à conserver une respiration calme. L'air lui manquait, la fétidité ambiante achevait de l'étouffer. La Demoiselle lui promettait de finir dans le même état. Mais en combien de temps ? Oserait-elle détruire une possession de son promis ? La dragonienne s'efforçait de dissimuler sa crainte. Les battements affolés de son cœur lui valaient de réguliers regards impatients de la part des esclaves.

 Enfin, ils parvinrent à une salle. De nombreuses torches éclairaient l'endroit plutôt vaste. Un coussin géant se trouvait au centre, et à mi-chemin,  plusieurs chaînes et poteaux éclaboussés de sang caillé représentaient le seul mobilier. Quelques portes closes parsemaient le mur opposé.

 Ombre reconnut, écrasées par les odeurs déjà présentes, quelques fragrances propres aux dragoniens de Vorn. Des senteurs d'existences misérables, de terreur et de bestialité.

L'humaine s'installa directement sur le coussin, y prenant ses aises tandis que la dragonienne fut amenée aux poteaux, dos à la Demoiselle.

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