Les négociations 13/

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En trois enjambées, il la rejoignit alors qu'elle tentait de préserver une certaine distance. Sans qu'elle ne s'y attende, un cliquetis métallique s'entendit à la base de son cou. Avant même qu'elle ne baisse le regard, l'homme l'amena à lui en tirant sur la laisse qu'il venait d'accrocher, la mettant sur la pointe des pieds d'une seule main.

  • Me r'garde pas comme ça, j'vais juste t'apprendre un nouveau jeu... lui susurra-t-il.

Il actionna un mécanisme, qui bloqua les ressorts de la muselière de la dragonienne. Tout en touchant de nouveau le sol, Ombre ne put s'empêcher de mettre à l'épreuve ses nouvelles entraves. Angoissée, elle leva les yeux à la fenêtre où dormaient les siens. Le rideau venait d'être relâché devant. Quelqu'un avait observé. Aucun son n'indiquait la moindre assistance à venir.

Dans son esprit s'entrechoquèrent plusieurs pensées simultanées : quelqu'un savait et l'abandonnait à son sort, son père allait la sauver, elle n'avait pas le droit de montrer quoi que ce soit d'inhumain, cet homme la traînait et allait la violer, les siens l'abandonnaient, on la préférait disparue...

De nouveau tirée par la laisse, Ombre réintégra brutalement le présent, et voulut résister. Au fond, elle en connaissait la futilité. Mais son corps agissait seul. Tous ses efforts conscients consistèrent à pincer les lèvres pour ne pas montrer les crocs, réprimer les grondements sourds, retenir les feulements.

Toute à son contrôle, elle ne se rendit compte que tardivement de l'endroit où le palefrenier l'emmenait. Au centre de la réserve à foin trônait un solide siège en bois, griffé aux accoudoirs par des ongles humains et dragoniens.

  • Continue d'être une gentille fille, lui glissa son bourreau au creux du cou.

Il tendit la laisse à un second homme. Son portrait craché, en moins bedonnant. Ombre ne put contenir un frisson d'horreur, son propre coeur l'assourdit, tandis qu'elle découvrait les effets de la peur panique. Les membres liquéfiés, toujours debout par miracle, elle détailla le témoin des évènements qui suivraient.

Ce dernier lui posa la main sur la tête, et la fit pivoter avec fermeté.

  • J'la sens pas celle-là. J'aime pas son regard.
  • Fous-lui l'truc dans la gueule, elle va comprendre comme les autres ! rétorqua le bourreau.
  • 'l'a un truc dans l'regard qui m'plaît pas.

Il s'excécuta tout de même. À peine libéra-t-il la mâchoire d'Ombre, que cette dernière se fit fourrer un ouvre-bouche pour poulain entre les crocs. La laisse l'empêcha de reculer, l'objet en fer de secouer la tête. Le jumeau ajusta l'instrument à la tête de la dragonienne avec une adresse trahissant l'habitude, avant de le retirer de le lui présenter en bonnes et dues formes :

  • Si tu n'es pas sage, on te mets ça. Maintenant, tu rejoins Benjamin et tu fais ce qu'il te dit.

Nauséeuse, Ombre lutta contre les soubressauts de son estomac. Non seulemement dus à ce qui l'attendait, mais aussi à cet instrument de torture qui servait aussi pour les poulains, sans jamais le moindre nettoyage entre deux usages.

Le dénommé Benjamin s'était installé au fond de son siège, le pantalon sur les chevilles, son anatomie exhibée. Ombre eut un mouvement de recul. C'était donc de cette laideur que tant d'hommes s'enorgueillissaient ? Il lui fit signe de venir.

Comme la dragonienne tardait à réagir, le jumeau la fit avancer d'une violente bourrade. Saisie par les cheveux, elle fut avancée de force par l'homme, puis mise à genoux, le nez à quelques centimètres de ce qu'elle devrait bientôt prendre en bouche.

  • Tu vas voir, le jeu est simple...

Ombre n'entendit presque rien de la suite, les oreilles bourdonnantes. Elle ne comptait ni donner satisfaction, ni faire les frais d'une résistance quelconque. Toujours les lèvres pincées, elle sentit ses propres ongles s'insérer dans les encoches de celles qui l'avaient précédées à cette place.

Le temps manquait. L'odeur de la virilité la révulsait. Levant les yeux, elle croisa le regard satisfait et victorieux de son bourreau. Qu'elle cède ou résiste, il serait satisfait. Les crocs serrés, elle contint un grondement primal.

Un cliquetis métallique la fit tressaillir. Sans réfléchir, dans un geste fluide, Ombre pencha la tête en ouvrant grand la bouche, d'instinct prit une inspiration imprégnée d'une puanteur fétide, et mordit de toutes ses forces dans la chair dure et gorgée de sang.

Le temps suspendit son vol.

Avant même de réellement comprendre son propre geste, la dragonienne contracta chacun de ses musles, et arracha le lambeau de chair qui lui occupait toute la bouche. La terreur acheva de la faire déguerpir, la gueule plein de sang.

Si elle ne comprit pas de suite son propre geste, la stupeur paralysa les jumeaux durant de précieuses secondes. Le mugissement de Benjamin lui donna la force de détaler sans choir, rendit tangible et bien réel son geste. Elle lui avait arraché la base du pénis.

À l'air libre, elle marqua une infime hésitation. La nuit lui rappela quels étaient les maîtres actuels de Vorn, et elle tourna le dos à la tour où se trouvait Obtèr. Dans son dos résonnaient les pas de Fabien, la respiration sifflante de haine. Et derrière, les râles de Benjamin. Qu'ils crèvent.

Ombre ouvrit à la volée la porte qui lui donnait accès à l'aile principale du château de Vorn et la claqua dans son dos. Filant comme le vent, elle se précipita vers les escaliers ascendants.

Quelque chose de poisseux lui colla à la jambe. La laisse la fouettait dans sa course, imbibée de sang frais. N'ayant pas le temps de s'en occuper pour la détacher, Ombre l'enroula autour d'une main sans ralentir.

Si la peur lui donnait des ailes, cela ne compensait pas la vitesse de son poursuivant. Ses quelques secondes d'avance ne tarderaient pas à être rattrapées par les enjambées de l'humain. Elle devait atteindre le territoire de Soif au plus vite.

  • Salope ! Tu vas payer !

C'était son jumeau qui lui avait imposé la situation, et elle la salope ? La colère prit peu à peu le relais de la peur qui perdait déjà de son effet. Ils traversèrent un premier étage sans rencontrer âme qui vive. Se souvenant du vide coutumier de ce niveau, Ombre en profita pour tenter d'interposer des portes entre elle et la menace.

Espoir vain, des gardes se tenaient devant la plupart des ouvertures. Aucun d'entre eux ne prit la peine de la stopper.

La colère soufflée par l'approche du danger, Ombre atteignit le second étage en trombes. Enfin, elle pourrait atteindre l'entrée du territoire de Soif. Quelque chose lui arracha quelques mèches. La double porte salvatrice approchait, au milieu du couloir. Derrière la fuyarde, elle entendait le souffle du danger, sentit de nouveau une main lui saisir les cheveux, plus près de la tête.

En forçant, elle parvint à s'arracher à l'étreinte, au prix d'une touffe et de quelques écailles. La prochaine fois risquait d'être létale. Son esprit trouva une solution. Courir dans les escaliers la condamnerait à coup sûr. S'y laisser tomber, en revanche...

Ombre fut bien en peine d'estimer en combien de temps elle dévala les marches en rouler-bouler, il lui sembla être apparue directement sur le seuil du domaine de son troisième père, le nez en sang. Sonnée, toujours tenaillée par l'angoisse, elle s'avança en titubant, la main prise dans la laisse.

Son arrivée inattendue attira tous les dragoniens présents, les plus jeunes les premiers. L'odeur de sangs mêlés et de peur les incita à encercler l'intruse. La respiration sifflante, la petite rousse laissa faire. L'assemblée qui se réunissait autour d'elle leva d'un seul mouvement les yeux vers son poursuivant. Indécis, ils refluèrent vers leur antre, toujours tournés vers le visiteur.

Ce dernier traversait les escaliers sans fin comme une flèche. Le temps qu'il arrive, un petit dragonien en profita pour mordre Ombre à la main. Surprise, elle le frappa. En un instant, elle fut couverte de jeunes prédateurs qui la mordirent, la griffèrent, avant d'être pétrifiés par un rugissement impérieux. Penauds, ils la libérèrent, s'imposèrent de l'ignorer, et obéirent à un second grondement en se tournant vers le nouveau visiteur.

Ombre voulut profiter de l'autorité de Soif pour le rejoindre.

  • Toi t'es morte !

Fabien passait outre la présence de l'assemblée de dragoniens, les mains tendues vers sa proie. Ombre eut un mouvement de recul, pétrifiée par les pulsions mortifères de l'humain. Dès l'instant où il allait la saisir, un nouveau cri annonça une curée.

Dans un état second, Ombre vit l'homme être plaqué au sol par une dragonienne, qui arracha le visage de l'agresseur d'un coup de crocs. Un second dragonien entreprit d'arracher la main de l'humain, une marée vivante le mit en pièces.

Les oreilles sifflantes, la dragonienne s'apperçut qu'elle ne respirait plus. S'y forçant, elle sentit enfin le goût et l'odeur du sang, qui enfin lui firent rendre le contenu de son estomac. Incapable de détourner le regard, elle ne put que fixer le massacre sanglant.

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