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Ils s’aventurèrent tous dans ces bois aux plantes étranges, démentant sa sensation de séparation de cette partie vivante du monde. Aucune sensation particulière ne la traversa lorsqu’elle posa le pied sur le sol de terre humide et d’humus. Le premier groupe de chasseurs s’égaya au loin, chacun dans une direction aléatoire du point de vue d’Ombre. Elle s’inquiétait que nul ne veille à la sécurité de son seigneur. Si Gérald souhaitait se soulager, ne risquait-il pas de se faire assassiner par l’un de leurs voisins ? Le campement ne risquait-il pas d’être détruit en leur absence ? Ou bien la terreur qu’Isséri semblait inspirer suffisait à tout préserver ? Quelques remembrances la traversèrent. Isséri savait inspirer la terreur. Combien avait-elle fait pendre, écorcher vif, désarticuler… Pourquoi de telles actions ? Cela, Ombre ne l’avait pas encore vu. Des inquiétudes pour la nuit à venir lui arrivèrent, insidieusement, tandis qu’elle suivait la cheffe.

Quel prix payait la cheffe de clan en aidant la nouvelle arrivante à se rassembler ? Des souvenirs épars et flous lui hérissèrent les écailles. Cela lui inspirait quelque chose de collectif, terrifiant les témoins. Ombre se demandait si, au moment de s’enfoncer de nouveau dans le passé elle débuterait de nouveau la nuit dans les souvenirs du pendu. Si elle pourrait se pencher sur les Aniogar, ou si elle s’éparpillerait de nouveau. Les manières dont elle pourrait lutter contre ces fragmentations. Rien ne lui venait. Aucune solution.

Ils s’enfonçaient dans les bois toujours plus humides. L’étrangère ne repéra rien pouvant ressembler à du lierre. À la place prospéraient champignons et moisissures sur les écorces. Aucun chant d’oiseau ou d’insecte ne lui était familier, de même que les odeurs des plantes.

Un dragonien dont elle ignorait encore le nom leur fit signe de s’arrêter. Le groupe se déploya, Ombre suivit Ssdvenna’êk de près. Ce dernier prit le temps de lui montrer par gestes où le groupe souhaitait qu’elle se positionne, et ils attendirent. D’énormes moustiques leur bourdonnèrent dans les oreille, sans perdre de temps à tenter de percer leurs écailles. En revanche, Ombre découvrit des tiques à ses chevilles, et les éclata impitoyablement. Le Doyen l’empêcha de continuer.

- Le sssang vâ attirrrrer lâ maîtrrres de cccces lieux.

- Comment les empêchez-vous de vous sucer le sang ?

- Ssssans lâ empâcher. Ecailles dourcisssss. Et plous de môrssssurrr.

Ombre grimaça. Elle détestait l’idée de servir de dîner à des parasites. L’attente se prolongea, sans que quiconque ne trouble le calme ambiant. D’un claquement de langue, leur meneur attira leur attention sur lui, et il dégaina lentement, avant de se mettre en position pour recevoir la proie qui approchait. Tous le suivirent. La plupart tenaient des lances ou des javelines. Ombre se mit en garde avec son épée, tous les sens aux aguets.

Trois animaux se rapprochaient au galop. Certainement des ongris. Ils hennissaient presque comme des chevaux, avec un timbre plus rauque. Ils avançaient à la même vitesse. Ombre scruta son environnement. Le groupe formait une nasse sur le chemin qu’emprunteraient assurément les proies, les côtés étant fermés d’une part d’une flaque de lentilles vertes immonde, de l’autre des restes d’arbres abattus par la foudre et entassés depuis assez longtemps pour former une tapisserie verte et suintante d’humidité. Les ongris jailliraient d’un vaste bouquet de fougères pâles de tailles variées. Jaillissant des tapis de mousse, des arbres monumentaux ombrageaient les lieux de leurs feuilles placées en bouquets larges et élevés de plus d’une dizaine de mètres pour les plus bas. Étrangement, leurs feuillages ne se superposaient pas, mais dessinaient des contours de lumière dont les rais, splendides, illuminaient et embellissaient les lieux.

Deux ongris, d’une couleur uniforme, jaillirent d’un même bond dans la minuscule clairière herbeuse. Dès qu’ils comprirent le piège, Ombre s’attendit à ce qu’ils réagissent comme des chevaux, paniquent et s’enfuient. Eux chargèrent, les dents en avant, sans montrer la moindre crainte. Seulement une colère noire.

Le troisième, plus gros, plus foncé et rayé de traces plus claires, parut les encourager d’un hennissement lorsqu’il déboula dans la clairière, et il chargea comme un taureau.

Les trois voulurent forcer le passage au centre de la nasse, guettant sensiblement que les prédateurs sur leurs flancs quittent leur poste. Le plus massif des chevaux à plumes se cabra lorsqu’un premier chasseur jeta sa lance sur l’un des deux premiers arrivés. Aussitôt, l’animal visé s’écroula à terre. La lance s’enfonça dans un bruit de succion dans le parterre herbeux et moussu. Ombre n’avait jamais vu cela. Les deux autres ongris le protégèrent le temps qu’il se relève, et bondisse directement sur le Doyen, armé d’une lourde hache. Le dragonien resta en position défensive, laissant le soin à ses coéquipiers de divertir son assaillant.

Les lanciers coordonnèrent en quelques échanges de regards et de grognements à peine leurs tirs, et la première cible subit le choc de deux traits lancés à bout portant. Ombre profita de la rage des trois proies dirigée vers l’un des lanciers, pour piquer la croupe de l’un des ongulés. L’estafilade attira une foule de moustiques, tandis que la bête ruait dans le vide. Comme les chevaux, il se servait de sa tête comme d’un balancier, et cela suffit au Doyen pour y enfoncer sa hache. L’ongri s’avachit, mort sur le coup. Ses deux compagnons hennirent d’effroi, et s’acharnèrent à venger leur compagnon.

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