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L’ongri s’avachit, mort sur le coup. Ses deux compagnons hennirent d’effroi, et s’acharnèrent à venger leur compagnon.

Ombre attendit une ouverture pour écorcher encore. Ces animaux l’étonnaient. Leur intelligence dépassait de loin l’instinct seul. Ils réfléchissaient comme des prédateurs, cherchant et exploitant des failles. Le Doyen manqua de peu de se prendre un violent coup de sabot sur le crâne, en calculant mal son avancée pour porter un coup de hache. Les deux proies ne cherchaient plus à défendre leur mort, uniquement à percer la nasse où ils recevaient de réguliers coups de lances.

Le rayé rua d’un coup, écrasant le torse de l’imprudent derrière lui. Cela suffit à ce que le plus petit des deux s’enfuie, poursuivi par la moitié des embusqués. Par des bonds monumentaux, ils le rattrapèrent, et le refoulèrent dans la clairière moite.

Des grognements ventraux résonnèrent, indiquant la position proche de nouveaux dragoniens. Ce son fit sourire l’entourage d’Ombre. Leurs chasseurs approchaient à grands pas. Bien vite, Hênn-fia s’occupa de traîner le blessé crachant du sang à l’abri, avant de s’occuper de lui. Ombre ne put en voir plus les concernant, les deux ongris s’alliant alors contre elle. Un enfer de sabots la menaçait, elle parvint cependant à les tenir en respect à l’aide de sa lame, leur zébrant les membres de leur sang.

Ces estafilades ne généraient aucune réaction de la part des deux enragés. Un grondement monta du fond de la gorge de la petite rousse, qu’elle réprima à grand peine.

Puis l’un des animaux s’effondra sur le flanc. Deux chasseurs s’écartèrent à temps, un troisième mugit de douleur tandis que ses os cédaient sous le poids de la bête. Cette dernière se releva avec prestance et s’enfuit, hennissant pour attirer l’attention de son compagnon. Ce dernier profita à son tour de la faille, mordant Ssdvenna’êk au passage. Ce dernier lança sa hache de dépit. L’arme tournoya en l’air, pour s’enfoncer dans une souche rongée par la pourriture. Un nuage d’insectes bourdonnants s’en échappa, tandis que les ongris fuyaient.

Ombre crut que cela sonnait la fin de la chasse. Erreur. Le groupe de chasseurs les avaient rejoints, et refoulèrent les ongris à leur place initiale. Un déchaînement de sauvagerie s’enclencha. S’abandonnant à leurs bas instincts, les dragoniens cherchèrent à monter sur le dos des ongris pour les mordre et les déchiqueter à mort. Le plus petit des deux subit le plus d’assauts. Tandis que l’un atterrissait à pieds joints sur sa croupe, toutes griffes dehors, les ailes déployées pour bondit plus haut, deux autres lui saisissaient les naseaux et l’arrière des joues, lui arrachant des lambeaux de chair. Son cri de douleur et de terreur témoignait aussi de sa résignation. Vite couvert de dragoniens sauvages, il s’effondra, dévoré agonisant.

Le zébré mit à profit cette curée sanguinaire pour détaler. Kaïros, certainement poussé par l’excitation de la chasse, le rattrapa en trois enjambées. D’un bond, il le saisit par l’encolure et l’enfourcha. Sans attendre, en équilibre précaire, il glissa jusqu’à placer ses crocs à la base de la gorge de la bête. Il le mordit de toutes ses forces, plongea ses griffes dans le poitrail de l’animal, puis banda ses muscles.

Ombre n’en crut pas ses yeux.

L’ongri fut à demi décapité. Par la seule force de la mâchoire, du bras, du dos et du cou de Kaïros. Plongé sous un geyser de sang, le brun se roula sur la plaie comme un dragonnet, s’imprégnant du fluide vermeil, gloussant comme un enfant. Ronronnant, il acheva de décapiter le cadavre et entreprit de ronger son trophée, fier comme un coq.

Il croisa le regard d’Ombre, et lui sourit de tous ses crocs. Elle le trouva… il représentait tout ce qu’elle avait réprimé toute sa vie durant. La puissance, la sauvagerie, la simplicité et l’impulsivité. Son geste trouvait un très fort écho en elle. Elle venait de voir l’incarnation de ce qu’être dragonien signifiait. Un prédateur, tout-puissant et libre.

Le doux fumet du sang lui parvint, et lui monta aussitôt à la tête. Elle aussi, désirait se rouler dans une carcasse. L’ignominie de sa volonté la tétanisa. C’était mal, sale, immonde, infâme, indigne même. À quoi bon son éducation, si à son âge encore elle souhaitait tuer pour se rouler dans des carcasses fraîches ? Elle se souvint des hommes tués à Vorn. L’envie devint un besoin. Elle devait déchirer quelque chose de vivant, tuer, détruire, et fêter sa suprématie dans le sang.

Pendant qu’elle prenait sur elle pour résister à la tentation, les Aniogar applaudissaient Kaïros, vinrent lui donner des tapes dans le dos pour le féliciter de ce joli coup de crocs. Il profita de son moment de gloire, tout en reluquant la nouvelle. Il ne pouvait ignorer la manière dont elle le détaillait, avec admiration. Ombre comprit qu’elle avait attiré l’attention de ce chasseur quand il s’avéra qu’il la suivait du regard. Son sourire fier, son corps couvert de sang lui rugissaient qu’elle pourrait agir aussi librement que lui si elle le souhaitait. Mais elle entendait Kassia lui ressasser qu’il était mal de déchirer les rats en deux pour s’enivrer de leur odeur de mort.

Alors qu’elle se secouait enfin, s’arrachant à l’admiration de Kaïros, elle remarqua plusieurs autres chasseurs se frotter aux arbres, tandis que ceux avec encore la tête froide s’occupaient de préparer des sortes de brancards pour transporter leurs prises. Ombre se figea. Interdit. On le lui avait toujours interdit, cela abîmait les meubles, gênait les voyageurs. L’étrangère se tourna vers la représentante de l’autorité en ces lieux. Isséri les laissait faire, tout en gardant un œil sur les alentours. Tout comme Kassia, elle renvoyait une image de garde toute maternelle.

Ombre prit une grande inspiration. L’odeur du sang la confusa plus encore. Cela affermit son besoin de se rouler dans les tripes, de se frotter au sol comme aux arbres, quitte à couvrir ses vêtements de sang, de mousse et de moisissures.

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