Évènement nocturne 1/

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À son premier réveil, comme à l’accoutumée elle partit en quête de nourriture. Ombre trouva sans peine du pain noir presque sec et un fond de pâté de sanglier, tout en esquivant les mercenaires qui patrouillaient sans entrain dans les corridors. Elle se demanda où se trouvaient les véritables gardes.

Sur le chemin du retour, elle dut dévier de son itinéraire. Engagée dans un long couloir, elle vit la lueur d’une torche près de s’éteindre se refléter dans la pierre blanche à l’autre extrémité, et les pas de trois personnes approcher. Elle s’engouffra sans un bruit dans la pièce la plus proche. Une bibliothèque privative. Il lui restait un étage à monter, et une aile à traverser. Le claquement d’une porte attira son attention.

Elle estima que le son venait d’une salle attenante, et cela n’attira pas l’attention des humains. Avaient-ils seulement entendu ? Ombre tendit l’oreille pour en savoir plus. Mais rien. Seul le trio avançait dans le couloir.

Inquiète, elle assura sa prise sur son épée. Maintenant qu’elle le pouvait, elle ne s’en séparait plus, et décida que dès le lendemain, son armure l’accompagnerait durant ses escapades nocturnes.

Quelqu’un posa la main sur la poignée de la porte en face. La dragonienne frémit. Aucun coeur ne battait derrière. Elle n’entendait que le mécanisme de la poignée jouer lentement. Par précaution, elle se glissa derrière un meuble, et modula sa respiration afin de ralentir son cœur.

La porte s’ouvrit sur du vide. L’espionne cilla. Comment était-ce possible ? Elle guetta la suite, certaine qu’il ne s’agissait pas d’un courant d’air.

Plusieurs minutes s’écoulèrent. La patrouille l’avait dépassée sans rien remarquer. Pourtant, Ombre jugeait trop risqué de quitter sa cachette. Son instinct lui soufflait qu’il s’agissait d’un jeu de patience.

Cette qualité lui permit de l’emporter. Dans le silence ambiant, Ombre reconnut sans peine le bruit de griffes se prenant dans le cuir de chausses inadaptées. Le pas léger d’un dragonien en chasse. Une articulation craqua, sonnant comme le tonnerre dans le calme nocturne. Enfin, une respiration nerveuse. Un cœur battant. Rien ne brûlait, rien n’illuminait l’approche du prédateur.

Ombre s’assura une dernière fois que rien ne trahissait sa présence. Le fauteuil derrière lequel elle se dissimulait, arrondit, au dossier large tout comme les accoudoirs, la dissimulait à merveille. Sa respiration ne risquait pas de la trahir. Seuls son cœur et son odeur pouvaient témoigner de sa présence. Hélas, elle ne pouvait agir dessus.

Le dragonien prit son temps pour scruter la pièce. Il demeura immobile plusieurs minutes, soupçonneux. À pas de loup, l’inconnu s’avança, humant l’air. L’espionne se savait découverte. Pour le moment, seul l’immédiat importait.

- Qui es-tu, sœur ?

Il possédait une voix étrange. Enrouée, comme s’il ne parlait que rarement et manquait d’entraînement. Aussi, son accent appartenait à un autre temps, à deux générations antérieures à la sienne, autrement dit deux siècles. L’espionne se garda de répondre. Il s’aventura jusqu’au milieu de la bibliothèque privative, elle se contenta de conserver le fauteuil entre eux deux, sans se montrer pour autant.

- Je sais que tu te caches. Pourquoi ?

À l’entendre, il s’agissait d’une vraie question. Seuls les bruits nocturnes lui répondirent. Le dragonien insista :

- Si tu es celle que je crois, nous devons parler. Ailleurs. Les murs ont des oreilles.

Pensait-il que cela suffirait ? Il attendit. Longtemps. Sans s’impatienter, il ajouta :

- Ne perdons pas plus de temps. J’aimerais te parler d’Isa, à toi qui la connaît. Mon maître m’a demandé de tout savoir de ses agissements passés. Il me faut de l’aide, et de la discrétion.

Et par conséquent, songea Ombre, il en parlait à la première venue. Il la sous-estimait. Et attendit encore. Cette fois, il la rejoignit derrière le fauteuil, elle se dressa pour lui faire face.

L’écailleux était frêle pour un dragonien, et de la taille d’un humain. Plus grand qu’Ombre, et de largeur similaire. Décoiffé, les vêtements usés jusqu’à la trame, il ne payait pas de mine. Pourtant, la garde rapprochée sentait qu’il représentait un danger. Était-ce lui, qui avait ouvert la porte sans la toucher ?

- Que veux-tu savoir ? répondit-elle enfin d’une voix atone.

- Qu’as-tu vécu avec cette humaine ?

- Rien qui ne te concerne.

Pourtant, cela suffit à lui faire frémir les écailles.

- Allons en un lieu plus propice aux confidences ; offrit l’inconnu.

- Non. Nous allons tous deux partir de notre côté, sans jamais chercher à nous côtoyer.

- Tu erres la nuit. Comme moi. Nous suivons certainement des ordres similaires.

- Tu devrais sentir à mon haleine que je viens de manger.

- En effet. Sans te faire surprendre par les humains. Tu es une espionne.

Son intelligence inquiéta Ombre. Elle se recula, en direction de la porte ouverte. Le dragonien devina sans peine la finalité de son déplacement, et fixa la porte, qui se referma d’un coup.

Ombre trembla. Un mage. Par les Ancêtres, que savait-il faire ? La voir aussi inquiète le fit sourire. Son expression, dans la pénombre était difficile à discerner. Ombre recula encore, jusqu’à faire face à la porte donnant sur le couloir d’où elle venait, sans quitter l’inquiétant personnage du regard.

Sans prévenir, elle se rua vers cette dernière, bondit par-dessus une table basse et courut dans le couloir. Dans une course silencieuse, elle se dirigea tout d’abord vers la chambre des gardes rapprochés. Derrière elle, le dragonien, après un temps pour se reprendre, lui avait emboîté le pas. Elle se trouvait à l’opposé des escaliers montants, au moins, rien ne trahissait la présence de gardes ou de mercenaires.

Leur poursuite silencieuse ne dura pas. À l’angle du corridor, Ombre changea de plan, et s’engagea sur les marches. Le mage, lent, n’avait pas encore atteint l’angle, que déjà elle se trouvait au milieu de l’escalier. Concentrée, Ombre estima la place dont elle disposait. En largeur, elle ne manquerait pas d’espace pour accomplir ce qu’elle escomptait. La hauteur du plafond risquait de lui poser problème. Ne lui restait que le mage et son propre élan pour la distance à parcourir.

Enfin, il prenait le tournant. Ombre dégaina son arme, prit appui contre une marche et se détendit comme un ressort. Son bond lui fit frôler les pierres de l’étage supérieur, dont elle sentit le froid sur le crâne. Avec souplesse, elle se retourna dans les airs, se dirigeant droit sur son confrère. Éberlué, il se stoppa net.

Le talon en avant, Ombre profita de la sensation que le temps ralentissait pour s’assurer que tout son poids, en plus de sa force de propulsion heurteraient de plein fouet son concurrent.

Ce dernier se décala pour l’éviter. Remarquant la chose à temps, Ombre parvint à se rétablir avec grâce près de lui. Profitant de son énergie cinétique restante pour se tourner d’un bloc, le pommeau de son épée en avant, elle le fracassa contre le torse de l’étranger.

Sous le choc, il s’effondra. Quelque peu essoufflée, Ombre lui marcha sur les épaules, et le menaça de son arme.

Un courant d’air tiède lui enserra les côtes. Terrifiée, elle ne put réagir lorsque la magie la souleva de terre, et la jeta contre le mur. La peur lui coupa la respiration à son tour.

- Joli mouvement, maugréa le mage en se relevant.

Il dépoussiéra ses vêtements tandis que la dragonienne glissait le long du mur comme une poupée de chiffon. Sidérée, elle le laissa la soulever par le col. Il la regarda droit dans les yeux.

- Nous luttons tous les deux contre Isa. Nous sommes payés pour ça. Et j’aimerais que nous échangions des informations. Ton odeur t’a trahie tout à l’heure, tu as vécu quelque chose avec la duchesse. Je dois savoir quoi. Et je connais un lieu où échanger.

Il avait déjà affirmé vouloir des informations, sans même être certain de ce qui avait conduit Ombre hors de sa chambre.

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