Égarements

4 minutes de lecture

 L'eau monta, grossit, tremblota. Le rose canyon – sous nasal – s'emplit avant de déborder, frémissant de ses centaines de longues tiges pâles.

Éther passa une main lasse au-dessus de sa lèvre supérieure, pour la énième fois en cette brûlante journée. À transpirer ainsi, son corps serait sec dès la fin du jour, si elle tenait jusque-là. Combien de temps ? Elle n'avait pas même jeté un œil à son smartphone depuis l'atterrissage. Le sable avait dû envahir sa cervelle, elle n'arrivait plus à réfléchir ; douleur, douleur, douleur. Son crâne allait imploser sous la chaleur, et ses longs cheveux noirs, redressés à la hâte en un chignon sauvage, n'aidaient absolument pas. Heureusement qu'elle portait des vêtements d'été, la tenue de rigueur à Fortaleza au mois de juillet, saison sèche, mais elle avait rapidement compris qu'il lui fallait marcher pieds nus si elle ne voulait pas provoquer une surchauffe suivie d'une mort lente et cruelle. Sauf qu'elle avait l'impression de marcher sur des braises. Elle se mit donc à alterner, ce qui s'avéra fort pénible, bien qu'essentiel.

 Palais sec, peau humide. Goût de sel à chaque coup de langue sur les lèvres qui commençaient à friper. La grosse boule jaune toutefois descendait à l'horizon, emportant avec elle l'ardeur de ses rayons. Elle la vit décliner, un vrombissement désagréable emplissant ses tympans.

 Finalement, Éther lâcha prise. Assise dans le sable, elle ne bougeait plus, apathique. Son rond visage aux yeux de pluie (bridés comme ceux de sa mère coréenne) paraissait s'être hâlé de malvenues rougeurs et elle eut envie de pleurer. Frelons dévastateurs, les interrogations assaillirent les remparts de son esprit, ne lui laissant pas même la chance de s'en prémunir ; trop de fatigue et de peurs.

 « Eeeh ben ma vieille... » Le désert avait laissé sa place au reg, bossu de petites crêtes et craquant de cailloux ; des rais de sable soufflés par un indolent zéphyr venaient lécher le sol, polissant et polissant encore, éternellement.

 « Bon sang ! La jeune femme sursauta. Pourquoi n'ai-je pas aussitôt appelé les secours ? Parce que j'avais peur ? Peur de m'arrêter, de réfléchir ? Parce que tout ça c'est... absurde ? »

Son smartphone indiquait trois heures du matin, l'heure de Fortaleza. Si elle partait du fait que l'accident était arrivé vers minuit, deux heures après avoir pris l'envol, le temps clochait. Il n'aurait pas tant dû changer ! S'était-elle assoupie dans l'avion au point d'en oublier le voyage ? Ou bien, une fois larguée, avait-elle perdu conscience, ratant la véritable longueur du trajet de son parachute, pris en des courants chauds et ascendants ?

 « Je serais donc dans le Sahara ? L'avion allait y passer. C'est dingue, pour me retrouver dehors, il a dû se briser en deux ! Mais qu'en est-il des débris ? Je ne vois aucune fumée, aucun feu... En plus, je ne me souviens pas m'être endormie aussi longtemps, c'est n'importe quoi, je m'étais réveillée après mon rêve. Et si tout ça n'était qu'un cauchemar ? »

Elle se frappa violemment la joue, criant sous la souffrance. Coups de soleil. Les pulsations l'affaiblirent, elle s'allongea, laissant la nuit venir.

 « Oui c'est sûr, je rêve pas, malheureusement. Alors, où ? Sainte-Hélène ? Mais non, trop loin et puis les Alizées tournent pas dans ce sens, pareil pour Georgetown et puis c'est civilisé là-bas. Et puis y a pas de désert ! Ce que j'ai vu est sans fin, si grand ! Je peux pas être retourné en Amérique non plus, c'est trop vert... En plus, réfléchis : au Sahara, il serait environ... quatorze heures. Mon tél indiquerait dix heures du matin, sauf s'il s'est déréglé. Si j'oublie que la nuit tombe ici. Wow, ou je perds les pédales, ou j'ai loupé quelque chose... quelque chose de très gros. De toute façon, pas la peine de m'angoisser pour les secours, zéro réseau. Non, non, calme. Calme-toi. Est-ce que je suis folle ? »

Elle se releva, secouée de frissons. Seuls soutiens à son regard, les monts au loin, grisant de plus en plus.

 « Merde, faut pas que je les perde de vue ! »

À l'opposé du soleil en goutte d'or, une lune, énorme et éclatante, à la robe cuivrée.

 « Mais... c'est pas... »

La jeune femme se sentit opprimée. Comme un étau à sa gorge, l'empêchant de respirer.

 « Attends de la voir arriver, c'est peut-être une pleine lune. Tu parles, c'était un croissant hier ! Oh merde c'était un croissant. Ok. Ok, c'est pas grave. Change l'heure sur ton tél. À Fortaleza, il doit être dans les dix-sept heures trente, le soleil se couche. Voilà, au moins, j'ai un repère. » Elle se sentait fébrile, les mains tremblantes.

Tournant le dos à l'astre nocturne, Éther sortit la voile du sac à parachute pour former une tente de fortune soutenue par des cailloux en tas. Rudimentaire mais elle ne pouvait faire mieux.

 Une étoile apparut, puis deux. Elle cligna des yeux, à genoux sur la terre, frappée d'horreur.

 « M-mes étoiles ? Et la ceinture d'Orion ? Vénus ? La Grande Ourse ?! »

Silence dans la nuit du désert.

 Éther s'était endormie, terrassée de fatigue et de crainte. Son cœur, douloureux de tant d'inquiétudes, lui mangeait les côtes. Une pierre mal logée dans son dos ne cessait de la faire remuer, incessamment, empêchant son esprit de prendre un repos mérité. Puis vint le froid, mordant, impitoyable. La jeune femme s'éveilla presque en sursaut, transie. Sans un mot, les extrémités gelées, elle attrapa la voile pour s'en entourer avant de remarquer son humidité glaciale.

 - De l'eau ? De l'eau... mais oui, la rosée se dépose !

Sa voix, rauque, parut mourir sous l'atavique lueur lunaire. Toutefois, un dilemme s'imposa : soit elle étalait sa voile au maximum et gelait sur place, soit elle se couvrait et risquait bien de se trouver sans eau... Un coup d’œil au reste de la bouteille la laissa dubitative. Un quart, tout au plus, et elle s'était privée !

 Le choix fut pris, elle dormirait sous la toile étendue, tout en bordure, laissant l'humidité se déposer des deux côtés. Peut-être ne mourrait-elle pas, avec un peu de chance, songeait-elle cyniquement. Sportive ou pas, quelques degrés à peine au-dessus de zéro, si ce n'était moins, suffiraient à casser ses murailles ; fièvre et autres délires s'ensuivraient.

 « Bon bah on verra bien, suis crevée. Bonne nuit. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Ruby Neige ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0