Chapitre 5 - En terre ennemie

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- Valentina ? appelle une voix lointaine.

Je sors du demi-sommeil dans lequel j’étais enveloppé. J’entends les talons de ma mère claquer dans les escaliers et les pas se rapprocher de ma chambre. Lorsqu’elle ouvre la porte, je suis toujours allongée sur les draps de mon lit.

- Ne me dit pas que tu as passé la journée ici, s’exaspère-t-elle.

- Tu préfères que je sois en train de boire sur les rives de Saint-Pierre ? je rétorque en m’étirant les bras.

Ma mère lève les yeux au ciel avant de taper dans ses mains.

- Il est l’heure de manger, je t’attends pour le repas, annonce-t-elle.

- Papa n’est pas là ?

- Il est retenu au travail, il ne mange pas avec nous.

Elle tourne les talons et je la suis jusqu’à la table.

- Tu aurais pu mettre quelque chose de plus présentable, me fait-elle remarquer.

Ma mère déteste quand je me présente avec une allure négligée. Même à la maison il faut que je sois parfaite. Je n’aime pas le côté trop perfectionniste de ma famille. Mon père ne tolère pas l’erreur et ça me pesait quand je ne gagnais pas le concours de math au primaire. Les concours, c’était le seul moment où il me donnait un peu d’attention.

- Je viens de me lever, je ne veux pas que le repas refroidisse le temps que je me prépare pour le meilleur moment de la journée, j’ironise.

Ma mère me lance un regard glacial. Je sais qu’elle ne supporte pas quand je fais de l’ironie.

- Voilà la salade de tomates, annonce Maria en apportant le plat.

Bien évidemment, ici on ne mange que des produits bio et diététique. Avec mes parents, je ne déguste jamais de pizza ni de burger. Ils préfèrent les légumes et le poisson hors de prix. J’aime beaucoup ça aussi mais des fois, j’aimerais avaler autre chose. Heureusement que nous avons une cuisinière géniale.

- Je ne sais pas si tu es au courant mais Matéo Di Angelo est revenu au foyer, commence ma mère avec son air de femme qui ragote.

Je laisse ma fourchette en suspension. Je ne pensais absolument pas qu’elle allait engager la conversation sur ce sujet. La famille Di Angelo s’est toujours montrée discrète alors je me suis dit que personne ne serait au courant de son retour. Sauf que si ma mère est au courant, tout le quartier ainsi que la jet set toulousaine doit savoir.

- Depuis que le fils est parti, enchaîne ma mère, peu de gens ont vu madame Di Angelo. C’est un déshonneur pour elle de perdre son enfant de la sorte. De plus, il a surement tourné dans la drogue. C’est ce que racontent les dames du club en tout cas.

Je ne lui laisse pas le temps de continuer et je bondis de ma chaise.

- Tu n’as pas le droit de dire ça ! je m’écris. Personne ne vit chez eux et par conséquent, personne ne sait rien. Alors arrête de déblatérer des bêtises.

Ma mère me regarde avec des yeux ronds avant de reprendre contenance.

- Ne me parle pas comme ça ! me reproche-t-elle. Je ne sais pas ce qu’il t’arrive en ce moment mais il va falloir te calmer. Je sais très bien que vous étiez très proches avant mais c’est du passé n’est-ce pas ?

Nos parents étaient très amis dans le passé. Nous souffrions tous les deux de leur manque d’affection alors nous nous comportions comme deux frères et sœurs qui s’aiment. Pour combler le manque, nous nous donnions beaucoup d’amour. Je sais que le départ de Matéo a beaucoup affecté madame Di Angelo.

- C’est du passé, il ne compte plus pour moi, je parviens à dire avec sang-froid.

- Alors ne défend pas ce voyou ! tonne ma mère. Tout le monde sait qu’il a mal finit.

Maria vient servir le plat en me regardant avec un air désolé. Je sais qu’elle se montre compatissante quand mes parents se montrent durs. Ma mère est agréable avec notre domestique. Malgré ses défauts, elle pense qu’il faut être respectueux avec les personnes que nous employons.

Je prends mon assiette pour y mettre des pommes de terre et du poulet. Je ne veux pas manger avec ma mère une seconde de plus. Je n’aime pas les disputes mais je trouve qu’elle va trop loin cette fois-ci. Je grimpe les marches en vitesse en espérant ne plus entendre ma mère.

- Ne t’enfuie pas comme ça Valentina ! crie-t-elle.

Mon short et mon débardeur me donnent des frissons alors je revêts une légère veste en vieux tissu blanc. Je termine le repas seule dans ma chambre.

J’attends que ma mère finisse de manger et monte dans sa chambre pour descendre dans le salon. Je rejoins Maria en cuisine pour prendre des biscuits dans le placard.

- Je suis sûre que ta maman ne veux pas te faire de la peine, commence-t-elle avec son fidèle accent italien. Coraggio figlia mia, sei forte (Courage mon enfant, tu es forte).

- Non abbandono mai la mia famiglia (Je n’abandonne jamais ma famille), je lui réponds avant de m’éclipser. Même si c’est dur, je ne partirais pas comme lui.

Je déguste mes biscuits lorsque je suis attirée par un miaulement. J’avance vers le son et je me rapproche des plantes qui séparent ma maison de celle des Di Angelo. En écartant, les branches je parviens à percevoir un chat dans l’arbre du jardin d’à côté.

Le soleil se couche à l’horizon et je peux voir que c’est Paprika, la chatte rousse des voisins d’en face. Elle vient souvent dans notre jardin depuis des années et j’adore la câliner. Elle aussi m’apprécie beaucoup et ça me fend le cœur de la voir miauler comme une folle dans cet arbre.

D’après ce que je vois, elle est bloquée et ne parvient pas à descendre. Il n’y a personne chez les Di Angelo, tous les volets sont fermés. Je prends l’initiative d’escalader la palissade en bois pour aider Paprika. Je fais attention à ne pas me prendre les brindilles et je suis contente d’avoir mis des baskets pour ne pas m’écorcher les pieds.

Une fois de l’autre côté, je grimpe dans l’arbre avec agilité. Le chat est perché très haut et même debout dans l’arbre j’ai beaucoup de mal à l’atteindre. Son miaulement déchire le silence du quartier, il est donc impossible que les Di Angelo n’attendent pas s’ils avaient été chez eux.

Je me concentre sur le chat et l’équilibre que je dois maintenir pour ne pas tomber. Je ne prête pas attention au moteur de voiture que j’entends approcher.

- Paprika, viens sur mon bras, je la prie même si je sais qu’elle ne comprend pas.

Elle continue de miauler en me regardant avec de grands yeux verts ouverts par la peur. Je ne parviens pas à la faire descendre en lui tendant mon bras. J’appuie mon genou sur une branche un peu bancale pour prendre un peu de hauteur.

Je parviens à saisir le chat avec ma main gauche et le poser contre ma poitrine. Le poids supplémentaire me fait perdre l’équilibre et je tombe de l’arbre en me rappant le genou droit. Je ferme les yeux en serrant l’animal contre moi.

Je me prépare à tomber lourdement sur l’herbe mais ma chute s’arrête brusquement. J’ouvre doucement les yeux puis je lève la tête. Je croise le regard vert de Matéo.

Le chat se libère violemment de mon étreinte et disparait dans les buissons. Matéo me dépose mais je ne parviens pas à détourner le regard. Ses yeux se posent sur mes jambes et je recule contre le tronc.

- Tu n’aurais pas dû aider ce chat, tu t’es blessé et tu aurais pu te faire très mal en tombant, dit-il d’une voix bien plus grave et virile que dans mon souvenir.

Je ne sais pas quoi dire car j’ai perdu tous mes moyens. Moi qui essayais de l’éviter, je viens de me jeter sur le territoire du loup.

- Il faut soigner ça, il y a un peu de sang qui coule, dit-il en me faisant signe.

Je le suis jusqu’à l’intérieur en passant par la porte d’entrée. Les pièces de la maison n’ont pas changé, elles sont comme dans mon souvenir dans un style épuré comme chez moi.

Je grimpe à l’étage jusqu’à la salle de bain familiale. Matéo sort d’un placard une boite de soin puis saisi du désinfectant ainsi que des compresses. Je m’assois sur le tabouret dans un silence gênant.

Il ne me regarde pas et se concentre sur ma plaie. Il nettoie le sang et désinfecte la coupure. Lorsqu’il a terminé, il range la boite puis se poste contre le lavabo en croisant les bras sur son torse. Il m’observe avant attention des pieds à la tête.

Moi aussi je le contemple. Depuis la dernière fois, il a pris quelques centimètres et beaucoup de muscles. Ses cheveux sont courts et il n’a plus la coupe à la Justin Bieber. Sa peau a bronzé et une barbe naissante parcours ses joues et son menton.

- Je suis désolé, dit-il en soupirant.

Quoi ? Il est désolé. Mais de quoi ? D’être parti sans rien dire il y a dix ans ? Ou parce que je me suis blessée ? À ce moment-là, je veux plus que tout avoir des réponses. Ces mots ont débloqué quelques choses en moi.

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