Geôle

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Depuis la terrasse, Vida observe les mines fatiguées des uns et des autres tandis que Ken est sous la douche. Aucune trace de ses amies. Chacune profite encore des quelques bribes amoureuses sous la chaleur d’une couette, s’amuse-t-elle. Et elle ? Pourrait-elle elle aussi se laisser aller sans limite à ses envies les plus folles ? La douceur d’une nuit calme et son réveil sucré pourraient-ils concourir avec une après-midi charnelle ? Qu'à cela ne tienne. L’eau coule toujours. Vida ferme la baie, ôte son pyjama et ose. La porte n’est pas verrouillée. Parfait. Sous le halo de brume dégagée par la chaleur de l’eau, le corps sculpté de Ken, la tête en arrière sous le jet, paupières fermées, n’est rien de plus qu’une invitation à l’extase. La prédatrice ouvre en toute discrétion la porte. Vida, sans toucher Ken, s’approche et frôle ainsi sa bouche contre la sienne. Aucune surprise n’émane du baiser qu’il lui offre alors. Comme s’il l’attendait depuis tout ce temps, l’homme emprisonne son visage et invite sa langue contre la sienne. Une rudesse si tentante caresse rapidement le pubis de Vida. Baiser interrompu, la lionne s’agenouille et le goûte alors à pleine bouche. Le corps garde en mémoire ce qui lui fait tant de bien et ici, c’est comme si elle connaissait par cœur les irrégularités qui dansent autour de sa langue. Le soupir qu’elle perçoit plus haut lui indique que lui aussi, n’a rien oublié de leurs plaisirs passés. Elle sait. Elle sait quand ralentir, quand accélérer, et, surtout quand s’arrêter. Allongée, jambes écartées dans une pudeur toute oubliée, les gouttes ruisselant depuis son torse jusqu’à son entrejambe ne sont que de doux prémices face à ce que Ken débute maintenant. Mains contre ses cuisses, l’ordre de s’ouvrir toute entière est donné lorsque sa langue trouve dès les premières secondes, l’arc précis de son plaisir. L’un pour l’autre. L’un avec l’autre. Au bord de l’implosion, tremblante, la bouche quitte son corps et des mains l’aident à se relever. 

— Continue, pourquoi tu t’arrêtes ? 

— Moi aussi j’aurai aimé que tu continues, ma douce, s’amuse-t-il. 

L’homme l’attire vers la chambre mais Vida en décide autrement. Elle s’installe sur le meuble de la salle de bain et empoigne le membre de sa proie jusqu’au bord de son antre. Le regard de la jeune femme le supplie et leur désir, lui, les domine. D’un geste explosif, il la pénètre. Sa peau douce et brulante se présente à elle dans un tourbillon incandescent. Le vertige est rude. Relevant les jambes, son bassin s'érige. La force de cette ascension les fait gémir. Ken pose une main sur la chute de ses reins et fait naviguer la pulpe de ses doigts entre ses fesses. Ce pèlerinage attise des flammes qui jaillissent de ses soupirs. La prédatrice perd pied, laissant tout le loisir à sa proie de prendre le contrôle. 

— Va dans le lit, maintenant. 

La voix est aussi brutale que son bassin. L’animal qui sommeille en lui a faim mais Vida veut jouer, aussi, elle ouvre la marche jusqu’à la chambre pour s’arrêter net sur le seuil de la porte. Elle place avec délicatesse le sexe de son partenaire dans la commissure de ses fesses et débute ainsi un mouvement qu’elle sait divin. L’homme la plaque contre le montant de porte et gère à présent sa propre vitesse, son propre plaisir, n’oubliant pas celui de sa douce, dont la cuisse est caressée. La voilà à nouveau en feu. Bien sûr qu’elle n’a aucun pouvoir. Comment fait-il d’ailleurs pour tout maîtriser à la perfection ? À cet instant, la seule chose que Vida espère, c’est qu’il tienne encore car elle en veut encore plus. 

Sur le lit, Ken se glisse contre le dos de sa dulcinée et embrasse sa nuque frémissante. Son souffle l’achève. Suppliante, Vida est prête à s'abandonner. Les mouvements deviennent plus profonds et surtout, plus lents lui faisant profiter de chaque relief de la beauté de son membre. La raison est tourmentée, le corps, torturé et le plaisir, lui, est redoutable. La garde se baisse et des mots s’envolent dans la pièce lorsque le magma puissant l’envahit. 

— Merci, putain, merci Ken, si tu savais comme je t'aime.

Le couple demeure blotti quelques courtes secondes, essoufflé, moite, et cette fois-ci, vraisemblablement pas apaisé... Ken se retire et bondit hors du lit. 

— On n'a pas mis de capote…

Vida le rassure. Elle a une contraception et s’il le faut, ils feront l’un et l’autre un test de dépistage au retour. Le visage verrouillé de Ken qui, sans un mot, s’enfonce nu sur le fauteuil de la terrasse en dit long. Le problème n'est pas le préservatif oublié. Vida a fauté. Les mots sortis de sa bouche ont brusqué son partenaire. Le plaisir, trop intense, a fait céder des barrières. Elle-même est toujours sur le coup de cette déclaration mais le choc sincère et la violence des pupilles de Ken la mettent mal à l’aise. 

— Pardon, Ken. 

Enroulée autour d’une serviette, elle s’installe à son tour sur la terrasse.

— Pourquoi tu m'as dit ça ? demande-t-il sans un regard. 

Sa voix est tranchante. La virulence de sa réaction vexe et agace Vida. Pense-t-il qu'avouer ses sentiments est si facile ? Peut-il se mettre à sa place un court moment ? La dernière fois qu’elle a ouvert son cœur et son corps à ce point, c’était à son mari perdu pour toujours, alors un minimum de respect est-il trop demandé ?

— Tu ne peux pas me dire ça. Pas comme ça. Pas à moi. C’est pas possible, Vida.

— C’est pour ça que je m’excuse. J’étais bien, trop bien, je vivais l'instant et c'est sorti comme ça. Je suis vraiment désolée, je ne voulais pas t'embarrasser. Écoute Ken, je ne veux pas te mettre de pression pour quoi que ce soit. J'ai perdu le contrôle de la situation. Je te prie de m'excuser. Je n'attends rien en retour. Absolument rien. Ce que je viens de te crier en plein orgasme ne doit pas gâcher notre relation actuelle. J'aime notre complicité, je veux qu'elle persiste une fois chacun de retour chez soi. Tu es important pour moi et je suis prête à accepter cette complexité qui nous lie, tant que j’ai encore le bonheur de te compter à mes côtés. Trouver quelqu’un avec qui je peux autant vibrer sera difficile, c’est certain, mais ça, ce qu'on vient de faire, c'est au final parfait pour un adieu.

La jeune femme se lève et pose une main sur le visage de Ken. Elle exige qu'il la regarde pour ce qu'elle s'apprête à lui confier.

— Je t'aime, Ken. Vraiment. Mes mots n'ont pas dépassé ma pensée. Ils se sont évadés de leur geôle. Si c’est trop pour toi, je comprends mais si ça peut te rassurer, je suis aussi surprise que toi de ce que je ressens.

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