À Vida !

6 minutes de lecture

Seule dans le hall, Vida se rend à la piscine. Ses amies ne devraient plus tarder. Sallie doit probablement prendre tout son temps pour se faire une beauté, accompagnée d'une Lucie encore survoltée de sa rencontre fortuite à l'accueil. Elle les imagine joyeuses, toutes ensembles réunies dans la chambre de Maria. Pourquoi n'a-t-elle pas souhaité les rejoindre ? Difficile à dire. La déception de l'imprévu est encore palpable et elle a besoin de temps. De temps pour se préparer à une semaine qu'elle n'avait pas envisagée.

Installée sur le rebord, les jambes dans l'eau, ses pensées coulent au rythme des remous. La pénombre inonde le décor d'une douce lueur apaisante où les ombres jouent avec l'imaginaire. Au loin, le chant délicat des oiseaux évapore petit à petit le poids écrasant sa cage thoracique. Quel était le but de ce séjour ? De laisser ici tout ce qui l'empêche de vivre à nouveau. La vie est belle et beaucoup trop précieuse pour perdre du temps avec ce sentiment d'abandon qu'elle traîne depuis sa mort. Paupières closes, les feuilles fredonnent au rythme du chergui et emmène Vida aux abords du Sahara non loin, qui se réorganise, s'adapte, danse avec les salves du vent. Toujours près d'elle, quelque part dans les tréfonds de son coeur émietté, David lui souffle au rythme de la brise une unique chose : vivre ! Il est parti. Elle non. Vida doit s'adapter. La jeune femme repense aux sourires ébahis de ces amies face à la découverte de l'hôtel à la chaleur de leurs éclats de rire, qui avaient fait fondre la glace de son coeur. Il n'y a plus qu'avec elles que l'ancienne Vida émerge de derrière son bouclier... Faïza et son accueil chaleureux n'avaient pas droit à la Vida odieuse et renfrognée et des excuses vont devoir être faites.

Des éclaboussures l'extirpent de cette douce rêverie. À ses pieds, un ballon. Retour à la réalité. Qui diable ose la déranger ainsi ?

Un groupe d'hommes lui fait signe. Quatre trentenaires séduisants et souriants. Catastrophe ! Son esprit s'était dégivré et envisageait la possibilité de la poursuite de leur séjour dans ce paradis sur terre. Quatre hommes, cinq femmes. Mêmes âges, nul doute que les filles apprécieront davantage l'hôtel, Lucie et Sallie les premières, quoi qu'elle en dise. L'Apollon approche. La pitié s'est évaporée. Devant elle se trouve un gamin amusé aux traits souriants qui récupère sans un mot, la balle des mains d'une Vida consternée. Préférait-elle son apitoiement ? Déteste-t-elle plus encore cette attitude si légère que l'inconnu semble ne pas prendre en compte son histoire ? Son instinct lui crie de partir, de prendre la fuite. Ridicule et idiot ! Où aller en pleine nuit, au beau milieu du désert ? Au loin, sa sauveuse.

— Tu viens Vida ? On t'attend au restaurant, annonce Lucie, non sans saluer chaleureusement l'Apollon apprenti volleyeur.

Toujours là pour veiller sur elle, que ferait-elle sans ses amies ? La jeune femme fait demi-tour sans un mot pour le groupe d'hommes. Ses pensées s'entrechoquent et son amie le sait.

— Tout ira bien. On veillera à ce qu'ils te laissent en paix ma chérie. Je te le promets. Tu dois avouer que pour une fois, tu n'as pas eu droit bien longtemps à cette compassion pitoyable qui t'agace tant... Regarde-le sourire ce bel inconnu ! Tu vois, avec un peu de chance, il n'en a rien à faire de ton passé, de ton histoire ni-même de ta présence ici.

Elle repense à Faïza. Vida n'a pas le monopole de la souffrance au sein de cet hôtel. L'un d'entre eux n'est probablement pas plus ravi qu'elle de leur présence. Serait-il possible d'envisager un terrain d'entente à ces deux groupes ?

Le repas est délicieux et gargantuesque, l'alcool est généreux. Cependant, Maria en veut davantage et réclame une bouteille de champagne à Rauf, le serveur prévenant, d'une gentillesse à l'égal de celle de sa mère. Une fois les coupes pleines : un toast !

— À Vida !

En écho, les hommes, installés à la table voisine depuis quelques minutes, clament également son prénom. Cet envahissement agresse la femme endeuillée. Impuissantes, aucune de ses amies ne sait quoi dire et toutes reposent en douceur les coupes sur la table. L'embarras est palpable. Un bruit de chaise derrière elle. Un homme se lève. Les pas se pressent. Quelqu'un approche.

— Pardon. On ne voulait pas vous brusquer. On pensait amuser la galerie. C'est complètement con je dois l'avouer. Seydou, se présente-il.

À genoux devant Vida, l'inconnu de l'accueil tend une main en sa direction. Pour la jeune femme, c'en est trop. Il sait. Il connaît son histoire. Il connaît sa souffrance. Ne peut-il pas respecter sa distance ? Son deuil ? Doit-il fanfaronner ? Faire le malin ? Le sourire est sincère, les excuses viennent du coeur, seulement, elle n'est pas prête à s'ouvrir si vite. Sa gentillesse la pousse dans ses retranchements. Silencieuse, elle se lève et s'engouffre dans l'escalier. Son clan, c'est son dernier rempart face à l'inconnu et depuis leur arrivée, cet homme le piétine. L'imprévu lui a volé son avenir. Désormais, tout planifier, tout organiser, tout contrôler la rassure. Facile, millimétrée, sa vie est insipide, mais a le mérite d'être maîtrisée. Impossible pour elle de faire confiance à la surprise d'une rencontre alors que le destin a déjà été si cruel et terrible à son égard. S'ouvrir, au risque de perdre à nouveau est l'objectif du reste de sa vie. Son existence ne peut pas se résumer à un fantôme et à son clan. Elle est trop jeune pour s'enfermer dans cette boucle de rancoeur. Y parviendra-t-elle seulement ?

Quelques grattements doux à sa porte de chambre la font sursauter.

— Vida, s'il te plaît, ne sois pas comme ça, ils ne font rien de mal. Ils sont en vacances comme nous. Rappelle-toi que tu souhaites passer une semaine agréable. Tu ne veux pas leur parler ? Pas de problème. Mais ne te renferme pas ma chérie. On veut te voir bien. Pas comme ça, froide, distante, agressive. Ce n'est plus toi ça, tu nous l'as promis. On pensait que tu avais dépassé tout ça. Laisse-les s'amuser. Un mec à leur table fait la même tête que toi, voire pire, tu devrais le voir... Si tu veux nous rejoindre, on est à la piscine.

Mérite-t-elle d'offrir cette attitude à celles qui l'ont tant aidée ? Elle fera des efforts, mais ce soir elle souhaite s'isoler. Pourquoi ne pas ouvrir la porte ? Parce qu'alors Malia verrait les yeux bouffis de son amie qui pleure encore trop souvent l'absence de son mari. Elle insisterait pour rester avec elle, lui offrirait son épaule contre laquelle elle a déjà trop pleuré. Seulement ce soir, elle veut être seule. Seule avec sa détresse, seule avec sa tristesse.

Depuis la baie vitrée, Vida, perçoit les rires explosifs de ses amies qui s'amusent dans un bain de minuit improvisé. Ce soir, elles n'ont pas trente ans, non, elles en ont treize et rient, chantent, hurlent, jouent. Sa raison lui crie de les rejoindre à toute hâte, de plonger, de profiter de cet endroit qui lui a procuré tant d'apaisement à la minute où ses pieds ont foulé son sol. Qu'est-ce qui la retient ? Ce coeur laminé, vide de toute énergie. Comment parvient-il encore à s'opposer à la fougue de sa raison ? Qu'il aille au diable ! Qu'ils aillent tous au diable ! Elle mérite d'être heureuse et ce soir, cette piscine et son clan représentent le parfait appel à la vie qu'elle attend pour s'éjecter de ce bouclier devenu presque étouffant. Debout, prête à courir toute habillée jusqu'aux abords de l'eau, des rires gras ruinent son élan. Les hommes ont rejoint son clan. Alors, son bouclier non loin l'agrippe à nouveau. Près de la baie, elle les observe. Souriants, presque enfantins, la vie ne les a pas abîmés comme elle. Comment leur en vouloir ? Fenêtre verrouillée. Parenthèse refermée. Non, pas ce soir. Pas encore. Trop tôt...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire riGoLaune ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0