Chapitre 7 : Le Lac (1)

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 Dans sa jeunesse, Cassius avait vécu dans une maison isolée au milieu des bois. C'était à l'époque où il ne savait pas encore ce que signifiait le tatouage sur le bras de ses parents. Depuis la fenêtre de sa chambre, au premier étage, quand les arbres avaient perdu leur feuillage en hiver, il pouvait apercevoir le lac au loin. Il n'avait jamais osé s'en approcher, s'enfoncer autant dans la forêt. Il n'osait s'aventurer dans les bois qu'en suivant le chemin qui menait à la maison de leur voisin. C'était un vieil homme fatigué par la vie, comme il disait. Il s'appelait Aris. Sa peau était noire et abîmée et ses yeux assombris par la douleur.

 Tous les jours, quand ses parents partaient de la maison parce qu'ils avaient des choses à accomplir, il s'y rendait pour l'entendre raconter ses histoires sur ses amis disparus. Et puis un jour, ses parents vinrent rendre visite à Cassius dans sa chambre. Dès l'instant où ils entrèrent, il vit sur leur visage que quelque chose n'allait pas. Ils lui expliquèrent qu'Aris était parti et qu'il n'allait plus jamais pouvoir le voir. À l'époque, il lui en avait beaucoup voulu de l'avoir abandonné. Mais il ne pouvait pas encore comprendre.

 Le tatouage de ses parents. Les amis disparus d'Aris. Aris.

 C'était la mort, partout, dissimulée derrière tous ces regards blessés.

 Une autre famille vint s'installer dans la maison d'Aris et Cassius rencontra leur fille. Elle s'appelait Junia. Elle avait une peau légèrement mate constellée de tâches de rousseur, des yeux verts aussi profonds que les océans et des cheveux roux comme des filaments de lumière. Elle adorait se rendre dans la forêt et il adorait s'y rendre avec elle. Elle s'allongeait tout le temps sur le sol et, à chaque fois, les feuilles restaient accrochées à ses cheveux, comme si la nature ne voulait pas la laisser partir, comme si elle y appartenait. Cassius prenait toujours le temps de les enlever une à une.

 Junia adorait les oiseaux. Tellement qu'une fois Cassius essaya d'en attraper un pour elle, le jour de Noël. Il n'avait sûrement jamais escaladé un arbre aussi haut mais Junia le poussait toujours à dépasser ses limites. Lorsqu'il fut presque arrivé à la hauteur de leur branche, les oiseaux s'envolèrent. Alors Cassius escalada un autre arbre, encore plus haut. Il approcha sa main encore plus près qu'avant mais, à chaque fois, ils lui échappaient. Au bout de trois tentatives, Cassius décida qu'on ne pouvait pas attraper les oiseaux. Ils étaient comme la lune, ils appartenaient au ciel.

 Alors il descendit et s'allongea aux côtés de Junia, frustré et fasciné à la fois par son échec. Le silence s'éternisa. Il lui parla du lac. Elle ne pouvait pas le voir depuis chez elle. Cassius le savait parce qu'il avait déjà essayé de le trouver depuis les fenêtres de la maison d'Aris, un hiver. Elle voulut immédiatement aller le voir dans la chambre de Cassius. Mais d'abord il fit passer ses doigts avec soin entre ses mèches de cheveux, pour y enlever toutes les feuilles.

 Dès que Junia vit le lac depuis la fenêtre, elle partit dans sa direction. Au début, Cassius ne voulait pas. C'était trop loin, leurs parents allaient s'inquiéter. Mais Junia était plus importante que des parents, alors il la suivit.

 Ils émergèrent dans la clairière sur un lac qui semblait presque irréel. Sa surface était lisse et éclatante, l'eau d'une couleur si pure que Cassius sut instantanément qu'il ne la reverrait jamais ailleurs et, à un certain endroit, une falaise brisée en deux plongeait dans ces eaux qui semblaient infinies. C'était un endroit hors du temps, qui inspirait à Cassius le calme des étoiles dans le ciel nocturne.

 Junia semblait être tombée amoureuse de cet endroit. Elle s'y rendait tout le temps, même sans Cassius. Désormais, c'était toujours là qu'il la retrouvait. Il s'asseyait dans l'herbe et il la regardait danser entre les fleurs. Quand ses cheveux tournoyaient autour d'elle, la lumière du soleil s'y reflétait et ils se transformaient en un feu éblouissant.

 Cassius fut brutalement ramené à la réalité par un bruit derrière lui. Il inclina légèrement la tête sur le côté pour essayer d'attraper de nouveau ce son mais il ne revint pas. Il se dit que ce n'était rien.

 Il était assis au milieu d'une salle vide au cœur d'une des ailes les plus désertes du château. Il se disait parmi les élèves que la Guerre des Sorciers avait laissé tellement de morts derrière elle que le nombre d'élèves à Poudlard avait chuté dans les dernières décennies. C'était pourquoi il y avait tant de salles de classe inutilisées.

 Perdu dans ses souvenirs, Cassius avait laissé les larmes couler jusqu'au coin de ses lèvres. Il les essuya avec le dos de sa main. Quelque chose se posa alors sur son genou. Hazel. Cassius sourit et la prit dans le creux de sa main. Elle avait ce regard qui donnait l'impression de transpercer votre âme jusqu'à ses recoins les plus profonds.

 — Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda-t-il.

 Ce regard.

 Il aurait dû y être habitué depuis le temps mais, comme à chaque fois, il se demanda si elle pouvait lire dans son esprit. Du moins, il avait le sentiment qu'elle pouvait comprendre toutes les émotions qui le traversaient à cet instant, quand lui-même n'en était pas capable.

 — Cassius ? dit une voix derrière eux.

 Il se retourna instantanément et protégea instinctivement Hazel avec sa deuxième main. Quelqu'un se tenait sur le pas de la porte, une main encore posée sur la poignée. Dans la lumière diffuse du soir, il fallut un certain temps à Cassius pour reconnaître Pansy.

 Qu'est-ce qu'elle faisait là ?

 Il lui tourna à nouveau le dos pour essuyer ses dernières larmes et jeter un regard interrogateur à Hazel. Elle le lui en retourna un trop innocent pour que Cassius ne comprenne pas qu'elle l'avait amenée ici.

 Pansy s'assit à côté de Cassius. Il ne l'avait pas entendue s'approcher.

 — Tiens, salut Pansy, dit-il d'une façon totalement inappropriée à la situation.

 Cassius lui en fut très reconnaissant de ne pas le relever.

 — C'est ton oiseau ? demanda-t-elle en désignant Hazel qui jouait maintenant à leurs pieds avec un bout de bois.

 — Oui.

 — Il est venu me chercher, pendant que j'allais vers la Grande Salle.

 Pourquoi Hazel était-elle allé chercher Pansy ?

 — Tu ne veux pas aller manger, d'ailleurs ?

 Elle faisait ça parfois, quand il en avait besoin, mais c'était toujours Adrian qu'elle ramenait, même quand celui-ci n'était pas au château. Avait-il besoin de quelqu'un d'autre cette fois-ci ? Avait-il besoin de Pansy ? Il sembla à Cassius qu'elle venait de lui poser une question.

 — Non, je n'ai pas faim. Et Hazel est une femelle, ajouta-t-il.

 — Hazel ? demanda-t-elle. C'est le nom de ton oiseau ?

 — C'est une Jobarbille, rectifia Cassius.

 Il n'en était pas sûr, en fait. Il n'avait pas trouvé de livre à ce sujet lors de ses brèves recherches à la bibliothèque. Il faisait confiance à Luna sur ce point-là. Pansy se contenta de hocher simplement la tête.

 — Tu ne voudrais pas aller marcher dehors, un peu ? proposa-t-elle.

 Cassius acquiesça. C'est vrai que cette salle était plutôt morose, avec ses chaises et ses bureaux empilés et repoussés contre les murs. Cassius se demanda combien d'entre eux auraient pu servir aujourd'hui, combien d'élèves s'y seraient ennuyés, s'il n'y avait pas eu cette guerre. Il suivit Pansy.

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