Chapitre 8

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Les vacances de Noël touchaient à leur fin. Bientôt, il faudrait reprendre le chemin de l’école. Cependant, la sensation d’inachevé que Lisa ressentait habituellement à la veille de la rentrée avait laissé place, cette fois, à une sorte d’empressement doublé d’une légère appréhension. Elle ne savait pas interpréter ce nouvel état d’esprit dans lequel elle se trouvait mais elle sentait une douce légèreté l’envahir comme elle n’en avait jamais ressenti.

La nuit qui précéda le retour au collège, elle dormit peu, se remémorant les différents échanges qu’elle avait eus avec son professeur au cours des deux dernières semaines. Après les quelques messages tournant autour de ses résultats scolaires et de la période de Noël, une familiarité surprenante mais spontanée s’était installée. Quotidiennement, elle avait pris l’habitude de consulter sa messagerie, de découvrir, toujours avec une courte crainte de son absence, la petite notification qui indiquait la présence d’un courriel, de s’empresser ensuite de cliquer sur le lien qui allait ouvrir la précieuse conversation et de s’informer de l’ampleur du nouvel échange avant de le lire avec hâte. Pour la première fois, elle se sentait considérée. Très vite, Sylvain s’était inquiété de savoir pourquoi elle lui répondait parfois à des heures très tardives. Elle lui avait confié être seule chez elle, tandis que sa mère travaillait de nuit. Il avait compris combien elle était livrée à elle-même et s’étonnait néanmoins de la rigueur avec laquelle elle gérait son quotidien. Son emploi du temps se dessinait à mesure qu’il découvrait ses occupations. Le matin, elle se chargeait visiblement de ses devoirs et supervisait ceux de son petit frère. Cette activité avait alors donné lieu à une demande spéciale qu’elle avait, lui semblait-il, exprimé en raison d’un besoin évident d’attention. En effet, quelques jours avant la rentrée, elle lui avait demandé, après un long moment d’hésitation, de l’aider pour un devoir d’algèbre. Cela l’avait surpris car Lisa était bien connue pour être la meilleure élève du cours de mathématiques de Mme Haukmann, la professeure la plus exigeante et également la moins appréciée par les élèves de tout le collège. Il lui connaissait ainsi, pour avoir discuté avec son enseignante en salle des professeurs, une rigueur mathématique exceptionnelle et des facilités qui rendaient peu probable un réel besoin d’aide pour un devoir. Cependant, il avait pris à cœur de répondre favorablement à sa sollicitation ayant bien compris qu’elle n’avait pas de ressource familiale sur laquelle s’appuyer. C’était ainsi qu’il avait passé plusieurs heures à manipuler les identités remarquables qu’il n’avait pas côtoyées depuis presque quinze ans pour démontrer les égalités polynômiales que Lisa lui avait envoyées. Il lui avait alors confié avoir passé un bac scientifique avant de choisir des études d’histoire. Les mathématiques ne le passionnaient pas mais il disposait d’un raisonnement logique assez efficace pour accéder à de solides compétences dans ce domaine. Malheureusement, une absence de pratique depuis de trop nombreuses années avait eu raison de ses aptitudes et il n’avait pu aboutir à la solution recherchée par Lisa. Cet exercice lui avait semblé complexe et Lisa lui confia, dans un mail suivant, que sa professeure lui avait donné un exercice différent, d’un niveau supérieur à ce qu’elle travaillait en classe, car elle obtenait systématiquement des notes supérieures à 18 à chaque interrogation écrite. Cela avait confirmé les soupçons de Sylvain et le rendait étrangement fier. Il ressentait un évident désir de bienveillance à son égard, une envie de l’accompagner pour développer les capacités qu’elle sous-estimait. La session devoirs terminée, elle préparait presque systématiquement le repas. Sa mère travaillant de nuit, elle terminait son poste à six heures du matin et se couchait immédiatement à son arrivée à la maison. Lisa avait choisi ce moment pour étudier car il lui semblait que c’était l’activité la plus calme et respectueuse du précieux sommeil maternel qu’elle pouvait trouver. Sylvain avait imaginé assez justement l’ambiance pesante qui régnait ainsi dans la maison chaque matinée de cette deuxième semaine de vacances. Ce rituel du silence lui semblait être un fardeau qui forçait encore davantage l’admiration qu’il avait pour la jeune fille. Après le repas, Lisa et Arthur étaient autorisés à sortir avec leurs amis. Là encore, il fut impressionné d’apprendre avec quel pragmatisme sa correspondante gérait ces sorties et avec quel sens de la responsabilité elle entourait son frère cadet de sa bienveillance. Le retour à leur domicile, en fin d’après-midi, marquait le début du premier échange journalier qu’elle avait avec sa mère. La qualité de celui-ci était, apparemment, souvent soumise à l’humeur et à l’état de fatigue dans lequel se trouvait Marielle. Parfois, Lisa lui avait rapporté devoir s’enfermer dans sa chambre tellement la tension et l’impression de déranger était palpable. D’autre fois, Marielle attendait ses enfants tout sourire en préparant des crêpes ou des croquemonsieurs, signe qu’une soirée de détente se profilait. Assez rarement, Lisa échangeait avec sa mère et souvent elle ressentait une étrange impression d’être de trop. Elle avait, de ce fait, pris l’habitude de ne plus se livrer et de coucher ses états d’âme sur papier dans son journal intime. Depuis une dizaine de jours, cependant, les pages étaient vides. Pas une fois elle n’avait préféré saisir la plume plutôt que le clavier pour écrire ce qu’elle avait sur le cœur à celui à qui elle s’ouvrait davantage chaque jour.

C’était ainsi qu’une relation particulière de confiance et de respect réciproque s’était créée avec ce professeur qui, trois semaines auparavant, n’était qu’un professeur parmi d’autres. Allongée sur le canapé convertible qui lui servait de lit, regardant une fois encore les chiffres défiler sur son radio-réveil témoignant de l’heure déjà avancée de la nuit, elle se surprit à craindre que ce lien disparaisse avec le retour du rythme traditionnel. Quand allait-elle pouvoir lui écrire ? Marielle allait-elle accepter qu’elle poursuive ces échanges ? Y avait-il d’ailleurs une utilité à les poursuivre avec la reprise scolaire ? Oserait-elle entretenir cet intérêt qu’il semblait lui porter après l’avoir côtoyé en tant que professeur au collège ? C’est en songeant à l’idée de perdre ce confident précieux qu’elle se rendit compte de la place déjà importante qu’elle lui avait déjà accordée. Et soudain, comme habituée à développer des mécanismes automatiques d’autoprotection, elle prit la décision d’interrompre les échanges. C’était décidé, le lendemain, elle lui écrirait que cela la mettait mal à l’aise de converser ainsi et elle lui signifierait sa volonté d’arrêter.

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