Chapitre 7

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Lorsqu’il aperçut la notification de message juste après avoir déposé son fils dans son lit, Sylvain ne put contenir un sourire discret. Installé devant son ordinateur portable pour poursuivre l’élaboration de son site internet dédié à ses cours d’histoire, il se rappela alors le sentiment de bien-être qu’il avait éprouvé lorsqu’il avait passé les deux heures trente de film assis à côté de Lisa quelques jours auparavant.

Après avoir tenu une conversation plutôt superficielle avec elle sur le chemin menant à la salle de cinéma, il avait géré l’installation des élèves et repéré rapidement un groupe de filles perturbatrices qui s’étaient installées derrière Lisa. Fortes du besoin de provocation qui les animait en permanence, elles avaient étendu leurs pieds sur le dossier de leurs voisines d’en face et scandaient des insultes à leur encontre. Lisa, faisant mine de ne pas les remarquer, avait cependant cherché du regard des sièges libres qui lui auraient permis de profiter de la séance sans subir la pression de cette bande qu’elle détestait au plus haut point. Cela faisait quelques mois qu’elle se sentait menacée par leur présence. Elle en avait été protégée l’année précédente par ses fréquentations mais, ses amis ayant changé d’établissement, elle était devenue une des cibles privilégiées des moqueries de la meneuse, Maude, qui était dans sa classe cette année. Celle-ci avait commencé par se montrer faussement bienveillante en septembre, cherchant à obtenir de Lisa le partage de ses réponses aux devoirs écrits. Maude se savait sur la sellette, le principal du collège lui avait donné comme ultimatum de remonter ses notes et de montrer une conduite irréprochable pour éviter le renvoi définitif. Lorsqu’elle avait compris qu’elle était utilisée et souvent moquée, Lisa avait entrepris de lui dire ses quatre vérités. Cela l’avait d’abord soulagée puis terrifiée. Maude avait une bande de copines dévouées qui semblaient dénuées d’empathie. Ensemble, elles faisaient régner la terreur. En reines toutes puissantes, elles s’étaient approprié certains lieux de la cour du collège, elles avaient désigné des guets pour pouvoir dealer du cannabis sans craindre les représailles. Elles avaient même réussi à corrompre certains surveillants s’assurant ainsi une immunité qu’elles pensaient absolue. De ce pouvoir dont elles pensaient jouir, émanait la nécessité de rabaisser toute personne s’opposant à leur trafic. Elles avaient imposé leurs règles et la plupart des collégiens s’y étaient soumis, cédant leur place au fond du bus, s’écartant sur leur chemin, leur ramenant des cigarettes et certains même de l’argent pour avoir l’impression de faire partie de la bande. Les autres s’effaçaient et attendaient patiemment la fin de l’année scolaire qui verrait partir ces élèves.

En mettant un terme à la fausse cordialité que Maude avait instauré avec elle, Lisa avait déclenché une sorte de rébellion qui était remontée aux oreilles du principal. Celui-ci avait décidé d’être encore plus vigilant aux agissements de ce groupe qui perturbait la sécurité de son collège. Lisa savait que si une décision de renvoi était prise, Maude lui ferait payer. Elle veillait, depuis ce jour, à ne jamais faire le trajet à pieds seule, ne jamais passer dans les coins gérés par la bande, ne jamais lui adresser de regard qu’elle aurait pu interpréter comme une provocation, simplement se faire oublier pour les six prochains mois. Elle avait donc été particulièrement agacée de devoir subir leur présence au cinéma et ressentir la pression qu’elles exerçaient juste dans son dos.

A l’instant où elle avait entendu le son émis par un crachat, c’était trop, elle s’était retournée et avait lancé un regard irrité. Sylvain avait surpris cet échange et était venu s’installer à côté de Lisa. Il lui avait alors murmuré : « Ne fais pas attention à ces idiotes, tu risques d’avoir plus de problèmes qu’autre chose, je m’en occupe. ! » Puis il s’était tourné pour stopper net les provocations avec un trait d’humour sarcastique dont lui seul avait le secret. Maude et ses amies s’étaient senties un peu honteuse, et c’était assez rare pour que Lisa apprécie le calme qui s’était immédiatement installé. Les lumières s’étaient alors éteintes et elle avait espéré que M. Leduc reste à cette place suffisamment longtemps pour qu’elle puisse profiter du film. C’était ce qu’il avait fait.

Poursuivant la construction de la page dédiée à la Seconde Guerre Mondiale, il se replongea dans ce moment qui lui avait semblé hors du temps. Il avait déjà vu « Le Pianiste », il savait combien ce film le bouleversait. Durant les bandes-annonces, il avait glissé à Lisa : « Alors tu es prête à pleurer pendant deux heures ? ». Elle avait répondu par un sourire qui ne quittait son esprit depuis. A chaque scène émouvante, il avait alors guetté discrètement ses yeux brillants qui contenaient des larmes qu’elle dissimulait sûrement. Il s’était senti touché par cette enfant qui semblait si forte, qu’il savait déjà avoir traversé des épreuves que certains ne rencontreront jamais, que lui-même méconnaissait. Il avait perçu, derrière cette forteresse, une sensibilité toute particulière, la même qui l’animait. Lorsqu’il relâchait ses muscles crispés après une scène éprouvante, il la sentait aussi se relâcher ; lorsqu’il vibrait par la peur, il la sentait aussi tressaillir ; lorsqu’un sourire s’esquissait sur ses lèvres, il devinait le sien au même moment. L’espace de cet instant cinématographique, il s’était senti en harmonie avec elle. Après une heure trente de film, ils avaient changé de position, à la même seconde, poursuivant ainsi cette consonnance. Leurs genoux s’étaient alors retrouvés côte à côte, quelques millimètres les séparaient. Cet espace s’était réduit progressivement jusqu’à ce que leurs cuisses se frôlent laissant passer un courant magnétique qui avait occupé ses pensées tout au long de la dernière heure.

Interrompu dans ses réflexions par les cris de son fils qui ne trouvait pas le sommeil, Sylvain se demanda tout de même si Lisa avait remarqué ce rapprochement ou si c’était seulement le fruit de son imagination mais pressé par les hurlements qui se faisaient de plus en plus insistants et n’entendant pas sa compagne intervenir, il se leva pour entreprendre de calmer leur enfant, une fois encore. Il entra dans la chambre et de sa voix douce et rassurante lui chuchota les paroles qu’il savait réconfortantes. Kilian les reçut d’un large sourire. La complicité qui commençait à s’installer entre eux ne nécessitait pas davantage d’efforts pour que l’enfant tombe dans un sommeil apaisé. Sylvain s’en félicitait, lui qui avait eu tellement peur de mal faire avec ce tout petit être qui n’avait su, chez sa mère, déclenché d’instinct maternel. Il resta un moment à l’observer, ému par ce lien paternel qui le bouleversait, inquiet à l’idée qu’il serait le seul lien indéfectible que son fils connaitrait.

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