Partir...vite et loin !

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  Que pouvait-elle faire d'autre ? On ne lui avait pas octrôyé les fonds nécessaires, ni le temps imparti, ni même les équipes indispensables pour ce travail qui aurait certainement été titanesque. Pourtant, le énième refus de Martin n'avait pas poignardé son cœur comme à l'accoutumée. Et c'est bien ce qui inquiétait Billie. Elle, pour qui les seules véritables choses importantes de la vie se résumaient à ses étudiants et ses recherches, crut subitement avoir perdu le feu sacré. La bureaucratie, la paperasse et les justifications hasardeuses du grand chef avaient-elles eu raison de sa passion ?

  Devant elle, Sarah ne cessait de gesticuler et l'humidité luisante qui pointait à ses commissures indiquait qu'un flot continu de paroles se déversait. Mais la jeune femme n'entendait plus rien. Ni la logorrhée de sa meilleure amie, ni les braillements de Tommie qui, la figure rouge tomate, offrait sa glotte à la vue de tous."Pauvre gamin" pensa Billie. A peine arrivé dans ce monde de fous et déjà offert à la foule sur l'autel de la vanité maternelle. Même les rires gras de ses collègues n'atterrirent plus dans son pavillon auditif. Seule et en proie à une ribambelle de questions plus noires les unes que les autres, une grande mélancolie s'abattit sur ses épaules.

  Et que dire de l'attitude de Martin...Le pape de l'université n'avait jamais été aussi froid et distant avec elle. Bien sûr, ses demandes répétées d'expédition n'avaient pas arrangé sa légendaire mauvaise humeur. Mais Billie aurait été ravie d'essuyer ses foudres. Au moins, il lui aurait ouvertement montré son ressentiment. Après l'avoir accueillie depuis le fin fond de son bureau, il n'avait même pas pris la peine de l'inviter à s'asseoir dans l'une de ses chaises usées jusqu'à la corde qui épandent un peu de rembourrage dès que l'on ose les effleurer. Puis, alors qu'elle entamait son exposé, le téléphone avait retenti et Martin s'était précipité sur le combiné pour le décrocher, comme s'il avait cherché à s'extirper de cette situation par tous les moyens. Billie, les lèvres scellées et le cerveau bouillonnant, attendit avec patience que son supérieur lâche enfin l'appareil pour l'écouter.

  La discussion dura vingt minutes. VINGT. MINUTES. Billie fulminait alors qu'elle revivait cette humiliation. Dans sa tête, une kyrielle d'idées plus ou moins saugrenues se succédèrent les unes aux autres. D'abord, elle aurait voulu tout renverser dans cette pièce qui sentait le tabac froid et la fin d'une époque pourtant déjà révolue. Sur les murs, des photos en grand format avaient été accrochées. Certaines penchaient dangereusement quand les quatre coins des autres se recroquevillaient sur eux-mêmes à force d'avoir été soumis à des variations de températures trop importantes. Toutes racontaient une seule et même histoire. Des campagnes de fouilles forcément couronnées de succès. L'une d'elles d'ailleurs, mettait en scène Martin, trente kilos en moins et une poignée de cheveux en plus, et quelques membres de son équipe dans les bras les uns des autres et le sourire aux lèvres. La jeune femme aurait volontiers récupéré ces clichés pour les déchirer en milliards de confettis.

  Soudain, une folle envie de s'emparer de la hache de secours qui trônait derrière sa vitre dans le couloir attenant au bureau de Martin envahit le corps tout entier de Billie. La destruction du mobilier irait bon train et calmerait à coup sûr sa colère. Quel effet cette arme produit-elle à son détenteur lorsqu'il la tient entre ses deux mains, prêt à briser quelque chose avec cette lame tranchante et efficace ? La jeune femme avait déjà eu bon nombre d'armes entre les mains, des plus classiques aux plus étonnantes, mais jamais elle n'avait tenu de hache.

  Restait le feu. Efficace et rapide. Instinctivement, Billie porta sa main aux poches avant de son jean. Ne rencontrant aucune bosse caractéristique, elle tapota l'arrière de son pantalon, en vain. La déception fut grande lorsqu'elle se souvint qu'elle avait laissé son briquet dans son sac à dos.

    - Billie, mais réponds bon sang !

  Sarah, ses doigts enroulés autour des bras de la jeune femme la secouait énergiquement. Ces violents soubresauts la ramenèrent au présent et à la petite sauterie organisée pour la délivrance de sa collègue, ce qui ne manqua pas de déprimer davantage Billie.

  La salle des professeurs s'était progressivement vidée et le volume sonore avait drastiquement baissé. Même Tommie s'était finalement endormi dans son cosy, tout à côté de sa mère qui somnolait dangereusement sur sa chaise. Étonnamment, ce sont les plus anciens qui avaient décidé de poursuivre les festivités. Simon le grabataire venait même de déboucher un nouveau magnum de champagne et chancela gravement lorsque le morceau de liège partit sans crier gare se crasher dans l'une des dalles du plafond certainement amiantée. Les autres tendirent mécaniquement leur verre qui, pour certains, n'avait même pas été entièrement vidé.

    - Allez viens manger un morceau, ça va te requinquer !

  Billie refusa poliment. Même la tentation d'un autre verre n'atteignit pas ses sentiments les plus primaires. Elle n'avait plus envie de rien ce soir et même les encouragements sincères de son amie n'y firent rien. L'absence d'une quelconque perspective du côté de ses recherches et cette soirée d'un total désintérêt avaient fini de détruire le peu d'énergie qu'elle avait encore au fond d'elle. Alors, après avoir chaleureusement remercié Sarah d'être toujours à ses côtés, Billie s'empara de son sac à dos et de son ordinateur portable et quitta les lieux sans même daigner saluer ses collègues, Joanne ou le petit Tommie. De toute façon, on était trop imbibé pour se rendre compte de son départ.

  Dehors, une légère brise l'accueillit lorsqu'elle gagna le parking. Seuls quelques véhicules occupaient encore les places d'ordinaire réservées aux professeurs de l'université. Son vieux 4X4 ne passait pas inaperçu. De couleur vert olive, l'engin, construit dans les années 1990, ressemblait davantage à un char d'assaut qu'à un véhicule de ville. Mais elle n'en avait que faire. Billie adorait ce vieux monstre qui ne lui faisait jamais défaut.

  Lorsqu'elle arriva à sa hauteur, il lui fut inutile de déverrouiller le système central et, après avoir jeté ses affaires sur la banquette arrière, la jeune femme s'installa à l'avant, du côté passager avant d'expirer une grande bouffée d'air.

    - Soirée difficile ? Lui demanda le conducteur, plongé dans la pénombre.

    - No comment, finit par répondre Billie

  L'homme se mit à rire.

    - Je suppose que tu veux qu'on y aille ?

    - Oh oui, je t'en supplie, dégageons vite d'ici !

  Alors, Nathaniel démarra le moteur et le couple quitta le parking pour rejoindre leur maison, loin de toute l'agitation urbaine.

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