Le visiteur du matin

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  Le lendemain, Billie eut mille peines à émerger de ce sommeil lourd et sans rêve qu'elle connaissait pourtant si bien. A chaque fois que la jeune femme se réfugiait un peu trop dans l'alcool, elle pouvait être sûre que la nuit suivante suivrait le même chemin que les autres. Pourtant, il lui était physiquement impossible de résister à l'appel de la boisson. Non pas qu'elle en était dépendante, loin de là, mais il avait parfois été un très bon compagnon d'infortune. Et sa tête qui pesait un âne mort ! Après trois tentatives infructueuses, il fallut se rendre à l'évidence : il faudrait un temps certain avant de réussir à s'extirper de ce lit.

  Instinctivement, son bras se tendit vers la partie gauche du lit. Mes ses espoirs furent vite déçus car l'extrémité de ses doigts ne rencontrèrent qu'une place froide et vide. Elle aurait volontiers soigné sa gueule de bois dans l'une de ses étreintes matinales qui guérissent et le corps et l'âme. La fuite de Nathaniel pour elle ne savait quelle raison acheva de la mettre de mauvaise humeur.

  Seule et délaissée, elle fulminait. Mais peu à peu, elle crut percevoir des paroles étouffées. Billie se redressa alors subitement pour se retrouver en position assise, afin de tendre l'oreille. Il ne lui fallut que peu de temps pour comprendre que deux voix se répondaient. L'une d'elle, claire et teintée d'un merveilleux accent anglais cependant que légèrement exagéré, ne fut pas bien difficile à reconnaître puisqu'elle l'entendait à longueur de journée, pour son plus grand bonheur. Une fois cette dernière isolée, la jeune femme, devenue enquêtrice, fit tout son possible pour trouver les indices nécessaires qui lui permettraient de découvrir la véritable identité de l'intrus. Mais son cerveau tournait au ralenti et elle ne put mettre un visage sur le timbre éraillé de l'interlocuteur de Nathaniel.

  Il fallut en avoir le cœur net. Sans hésiter et poussée par une curiosité dévorante, Billie sauta du lit et chercha à tâtons de quoi couvrir sa nudité, avant de quitter la pièce pour dévaler l'escalier quatre à quatre en manquant de glisser par deux fois. Arrivée au rez-de-chaussée sans trop d'encombres, elle découvrit Nathaniel installé au bout de l'immense table en bois en train d'échanger quelques amabilités avec un grand type chauve inconnu au bataillon. Et son irruption mit fin à la légèreté qui semblait flotter dans l'air.

  Les deux hommes devinrent muets comme des carpes lorsqu'ils la virent. Et si Nathaniel ne sembla pas le moins du monde déstabilisé, il n'en était pas de même pour l'illustre inconnu qui disséqua la jeune femme du sommet de son crâne jusqu'à la plante de ses pieds grâce à ses grands yeux ternes et dénués de tout semblant de vie. La bête curieuse décida donc de l'accompagner pour tenter de découvrir ce qui suscitait une telle surprise chez lui.

  Tout en bas, elle remarqua qu'elle avait réussi à dissimuler ses pieds grâce à des chaussettes à la propreté néanmoins douteuse. Elle n'avait aucun souvenir de cette étape et avait dû enfiler machinalement la paire. Plus haut, ses jambes se retrouvaient totalement découvertes jusqu'à mi-cuisses, jusqu'à ce qu'un caleçon à l'allure toute masculine dans lequel elle nageait totalement et appartenant à Nathaniel, recouvre la partie inférieure de sa personne. Plus haut, Billie avait enfilé un débardeur kaki, de ceux dont les militaires américains disposent lors de leurs excursions dans les régions chaudes de la planète. Cet assemblage hétéroclite s'achevait sur sa tête. En tournant la tête vers la belle glace aux allures vénitiennes posée sur l'un des meubles de la pièce de vie, la jeune femme se rendit compte qu'elle avait littéralement changé de style capillaire en seulement une nuit : la totalité de ses cheveux, très courts et noirs, s'étaient réunis afin de former une crête, que les plus fervents punks lui auraient enviée sans la moindre hésitation.

    - Café ? proposa au visiteur et à sa compagne Nathaniel en bondissant de son siège, brisant ainsi l'étrange atmosphère qui s'était installée depuis que Billie et l'homme se jaugeaient mutuellement.

 Tout le monde acquiesça, tandis que Billie gardait un oeil sur le chauve qui prit rapidement ses aises et s'installa à la place de Nathaniel que ce dernier venait tout juste de délaisser pour aller préparer les breuvages. Par pur mimétisme, ou peut-être par instinct, la jeune femme prit place pile en face de l'individu et tous deux se regardèrent un long moment en chiens de faïence, jusqu'à ce que Nathaniel les rejoigne en n'oubliant pas de servir sa compagne et l'autre type.

  On but de longues gorgées du liquide brûlant avant d'oser prendre la parole. Ce n'est pourtant pas l'envie qui manquait à Billie. Elle mourrait d'envie d'interroger cet énergumène qui se permettait de venir la tirer de son lit. Mais puisqu'il avait lui-même fait tout ce chemin, très certainement depuis la ville d'où il était originaire si l'on se référait à son costume, tiré à quatre épingles et cousu sur mesure, la jeune femme lui laissait l'entier champ libre pour s'exprimer.

    -Excellent ! dit-il, en montrant sa petite tasse blanche après l'avoir portée à ses lèvres pour boire d'une traite son contenu.

  Nathaniel fit un léger signe de tête et sourit, plus par politesse que par vanité, Billie le savait.

    - Ecoutez...reprit-il, en reposant avec une délicatesse infinie le contenant sur la coupelle assortie, je ne vais pas y aller par quatre chemins.

  Billie, avachie dans l'une de ses chaises aux accoudoirs bien trop hauts, se redressa dans la seconde qui suivit. C'est alors qu'elle remarqua quelque chose qui acheva de façonner le mépris qu'elle avait savamment alimenté pour cet individu depuis l'instant même où elle l'avait rencontré : pas une seule fois il ne l'avait regardée dans les yeux. Pire encore, il semblait ne vouloir s'adresser qu'à Nathaniel. Il s'était installé de telle sorte que Billie ne distinguait que son profil. Et son regard n'était tourné que vers son homologue masculin, comme s'il cherchait son approbation. Ou pire, la figure tutélaire du couple.

  Avec les premiers rayons du soleil qui pointaient à l'horizon, la lumière diffuse enveloppa les environs et se mit à caresser la peau luisante de la tête parfaitement rasée de ce visiteur du matin. Et alors que la jeune femme voulut lui intimer l'ordre de cracher tout ce qu'il avait à dire, aussi bien son identité que la raison de sa venue ici, il prit une profonde inspiration et, de lui-même, s'exécuta :

   - Si je suis venu ici, c'est pour vous faire une proposition qui, je crois, pourrait changer bien des choses pour vous.

 Billie et Nathaniel échangèrent un bref regard, avant de se concentrer à nouveau sur les minces lèvres du chauve, attendant avec impatience ce qui en surgirait.

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