1. EVERYTHING HAS CHANGED

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Un an, 365 jours soit 8 760 heures, c'est un peu près le temps qui me reste à vivre. Le temps que j'ai pour vivre une vie qui a à peine commencé. Depuis qu’on m’a annoncé la nouvelle, je n'arrête pas de me dire : « tu ne peux pas mourir, pas maintenant, il y a tellement de choses à découvrir, à vivre, à apprendre, tellement de choses encore à faire ». Mais le temps joue contre moi, comme il l’a toujours fait et je sais très bien que je perdrais. Il faut que je m’habitue à cette idée, l’idée qu’aux alentours du 11 octobre 2018, je disparaîtrai.

La matinée commençait comme à son habitude :

— Scott, le petit-déjeuner est prêt, crie ma mère de la cuisine.

— Fais chier ! crie mon frère

Une nouvelle fois il n’a pas entendu son réveil sonner, je devrais le réveiller mais j’oublie à chaque fois, j’ai toujours l’espoir qu’il l’entend. De mon côté, je finissais tranquillement de déjeuner, prêt à aller en cours. Mon père était partit au travail, et j'attendais désespérément Scott pour qu'ils nous emmènent au lycée. Après avoir eu notre permis, nos parents nous ont acheté une voiture pour nous deux, cette fois-ci, c’était à Scott de conduire. Comme d'habitude, il descendit les escaliers tout en finissant de mettre ses chaussures. Il passa une tête dans la cuisine, s’empara d’un pancake. Ce dernier disparaissait aussitôt dans sa bouche. Ma mère rouspéta, il l’embrassa et je lui envoyais les clés de la voiture. Seulement, à ce moment-là, le moteur du pick-up se mit à ronronner. Nous partions enfin du quartier Queen Anne pour nous rendre au lycée Roosevelt.

— On va encore être en retard.

— J’suis au courant, dit-il la bouche pleine de pancake.

Nous arrivions juste à temps et nous nous rendions au pas de course en salle de mathématiques. Là-bas, nous retrouvions notre voisine et meilleure amie Angel :

— Les gars vous exagérez.

— On sait, mais le seul à blâmer c'est l'idiot à côté de moi, lui répondis-je avec un sourire avant que le cours ne commence.

Après les mathématiques, Scott, Angel et moi, nous nous séparions. Ils rejoignaient leurs amis, pour ma part, je m’installais dans un coin tranquille. Je mis mes écouteurs et au rythme d’Apologize de One Republic, j’ouvris mon carnet et dessinai des vaisseaux spatiaux. À part mon frère et ma meilleure amie, je n’avais personne d’autre à qui parler. Mais la solitude ne gênait pas, au contraire, elle me faisait du bien. Je passais une bonne partie de la journée avec Scott, supportant ses blagues lourdes et ses taquineries. Alors avoir des moments tout seul, c’était un privilège.

À midi, on se retrouvait tous les trois pour manger, se racontant tout et n’importe quoi. Mon frère essayait toujours de manger au moins une fois par semaine avec nous. Je sais qu'il y tient, malgré les nombreuses fois où je lui disais de manger avec ses potes ou avec sa copine du moment. Mais il ne voulait pas, il clamait haut et fort que c’était une forme de tradition qu’il ne voulait pas briser. Au fond de lui, je savais qu’il voulait que je me sente entouré, pas seul ou abandonné. Pour lui je passerai toujours avant tout les autres, ça à toujours été comme ça depuis qu’on est petit.

L'après-midi commença, au même instant que mes maux de tête. Ils ne pouvaient pas me laisser tranquilles une journée, cela fait des semaines que ça duraient, quand s’arrêteront-ils ? J'ignorais donc les coups de marteau dans mon crâne, les sensations de nausées et continua ma journée, de toute façon, ils passaient au bout d'un moment.

Je me dirigeai alors vers mon dernier cours, après ça, je rentrerai chez moi me reposer. Mais au bout d'une demi-heure, mes maux de tête étaient de plus en plus forts au point que je m’en tiens la tête, il n’y avait pas seulement la fatigue, mais quelque chose d’autre, je le sentais. La pièce commença à tanguer, mes yeux avaient du mal à rester ouverts je voyais même flou, je n'arrivais plus à rester concentrer, à comprendre ce que le professeur disait, en fait je n’entendais plus rien. Je paniquais à l’idée de perdre connaissance, l’idée de ne pas comprendre ce qui m’arrivait. J’avais besoin d’explication, besoin qu’on me rassure, besoin de savoir que je n’étais pas en train de mourir. Je luttais pour rester conscient, malgré ça, je me sentais tomber de ma chaise avant que le noir total m’engloutit.

SCOTT

Une sucette dans la bouche, je prenais en note mon cours quand quelqu'un s'effondra à côté de moi. Je baissai la tête et la panique commença à me gagner quand je me rendis compte que mon frère était inconscient sur le sol. Je m’agenouillai près de lui, le secouant pour qu'il se réveille :

— Allez Reese ne fais pas le con.

Je regardais autour de moi, personne n’agissait, ils étaient tous agglutinés là, à le regarder. Ça me rendait fou, pourquoi les gens ne faisaient-ils rien ? Avaient-ils peur, étaient-ils paralysés ou est-ce qu’ils s’en fichaient ?

— Vous comptez un jour appeler une ambulance ou restez-là comme les sombres imbéciles que vous êtes !

— Scott calme-toi ça va aller, le prof les a appelées, essayait de me rassurer Angel.

Mais elle non plus ne pouvait cacher son inquiétude. Après de longues minutes à tenter de m’apaiser, de lui parler les ambulanciers arrivèrent :

– Écartez-vous, disent-ils

Il prit son pouls, regardait la réaction de ses yeux, ils posaient des questions sur ce qui c’était passé. J’étais capable de parler de dire quelque chose, je ne savais pas quoi faire à part les suivre dans l’ambulance. Je ne pouvais pas le laisser, je ne pouvais pas laisser mon jumeau dizygote tout seul.

À peine arriver au centre médical de Harborview que Reese disparaît de mon champ de vision. J'aurais aimé rester avec lui, le rassurer s'il se réveille, j'aurais aimé faire plus. Je m’étais toujours promis de veiller sur lui, de le faire passer avant moi. Mais aujourd'hui, je me retrouve impuissant, désarmé face à tout ça.

Alors j’étais là dans la salle d'attente à patienter comme un idiot, je faisais les cent pas essayant en vain de penser à autre chose. Mais je ne pouvais pas m'empêcher de me demander ce qu'il lui était arrivé, d'imaginer le pire. Je faisais tout pour réduire mon angoisse, pour ne pas paniquer, mais c'était raté, j’étais au bord de la crise de nerf. Sans vraiment comprendre mes parents était arrivés en panique à l'hôpital. Je ne me souvenais pas les avoir appelés, ni avoir dit mon nom au médecin, peut-être que j’étais trop sonné pour m'en rappeler. Alors j'essayais tant bien que mal de leur expliquer une situation qui m'échappait.

Après des heures d'attente qui m'en apparu des années et des papiers d’examens signé sans comprendre, un médecin arriva.

— Vous êtes la famille de Reese Graham ?

— Oui, comment va-t-il ? s'empressa de demander mon père

— Venez on va parler en privé.

Ça m’effrayais, quand il prononçait ça dans les séries télé, ce n’était jamais bon signe.

Après avoir fermé la porte derrière nous, le médecin abordait une mine tout sauf réconfortante. Garde ton calme Scott ton frère n'a rien. J'essayais en vain de me convaincre. Pourtant, je sentais que quelque chose n’allait pas, et cela, depuis longtemps.

— Je suis désolé d’avance, mais votre fils est atteint d’un glioblastome de grade 4. Cela signifie qu’il a une tumeur cancéreuse au cerveau. Celle-ci est pratiquement inopérable et dans la majorité des cas il y a une récidive. Pour votre fils, l’opération est trop risquée. Mais il existe d'autre traitement, mais ils ne feront que retarder l'inévitable. Si vous prenez la décision de ne rien faire, il lui restera un peu plus d'un an à vivre…

J'avais l'impression qu’une fusée me tombait sur la tête, que je m’étais écrase sur une planète inconnue. Mon frère qui n'avait jamais été malade de sa vie, mon frère qui n'était jamais allez dans un hôpital, se retrouvait mourant du jour au lendemain. Qu'est-ce que j’allais faire maintenant ?

REESE

Allongé dans mon lit d'hôpital, j'attendais la visite de mes parents, d'un médecin. J’avais passé toute la soirée à faire tout un tas d’examens, des tests d’effort, de mémoire, des IRM et j’en passe. On ne m’avait rien expliqué, personne n’a voulu répondre à mes questions. Tout ça m’inquiétais.

Mais quand enfin mes parents passèrent la porte, j’ai eu l’impression qu’un poids énorme était parti. Pourtant, leurs regards de peur, de tristesse ne me rassuraient pas dû tout.

— Qu'est-ce qui se passe ? Où est mon frère ?

— Scott est allé prendre l'air, chéri le médecin doit te parler.

Je n'aimais vraiment pas ça, ma mère me tenais la main comme si j'allais disparaître. Mon père la tenait dans ses bras et me regardait avec un sourire triste. Le stress monta, qu'est-ce que j'avais bon sang ? L’air grave du médecin ne me rassurait pas plus. Il se racla la gorge avant de commencer. Mais je voyais bien qu’il tournait autour du pot, qu’il m’expliquait les choses avec des mots que je ne comprenais pas.

— Je suis mourant, c’est ça que vous essayez de me dire depuis deux minutes.

Coupable, il baissa maladroitement la tête, il finit par me dire combien de temps il me restait. Il me décrit ensuite, les traitements les uns après les autres, qui me donneraient plus d’un an. La chimiothérapie, les traitements expérimentaux et les autres, il m’exposa les risques que cela aura, mais il insistait sur les effets bénéfiques des traitements. Une seule phrase tournait dans ma tête, je suis trop jeune pour mourir. Je n'ai même pas dix-huit ans, je n'ai même pas vécue la moitié de ma vie. Je devrais paniquer, avoir peur, mais j’étais simplement en état de choc.

Ma mère pleurait, mon père se retenait et Scott était derrière la vitre à me regarder comme si c'était la dernière fois.

— Docteur, est-ce que je peux parler avec ma famille de tout ça, des traitements et des risques que vous avez cités ?

— Pas de problèmes, appelez-moi quand vous aurez pris une décision.

Scott rentra dans la chambre, mais je voyais bien qu'il était distant et je le comprenais.

Dans l’attente des résultats, j’avais imaginé le pire, j’avais réfléchi à ce que je ferais dans cette situation. Mais maintenant que j’y étais, je me rends compte que c’est plus facile d’y penser que de le dire. En fait j’avais peur de leur faire de la peine, de les faire souffrir. Ils en bavaient assez comme ça mais s’étais ma vie, s’étais mes décisions et mes choix. Je prenais alors une grande inspiration avant de commencer :

— Écoutez, je sais que vous qui prendrez la décision finale. Mais j’ai besoin que vous sachiez certaines choses. Je ne veux pas de traitement, oui ça retardera l'inévitable, mais à quel prix. Je veux passer l'année qu'il me reste sans avoir à retourner à l'hôpital toutes les semaines. Je n’ai pas envie de vomir, de me sentir mal au point de ne pas pouvoir sortir. Ça me rappellera juste l’inévitable. Je ne veux pas être prisonnier de mon corps le temps qu’il me reste à vivre. Je veux juste les traitements contre les symptômes et c’est tout. Laissez-moi passer le temps qu'il me reste avec vous, profiter de chaque instant comme le dernier sans avoir l’impression que je vais mourir. C'est tout ce que je demande.

Je me tournais vers Scott, j'avais besoin de son soutien, mais il fuyait mon regard, ses poings étaient serrés, ses sourcils blonds étaient froncés et son regard marron n’était que colère :

— Tu ne peux pas nous demander de faire ça ! Tu ne peux pas nous demander d'abandonner ! Tu ne peux pas abandonner Reese !

Je n’eus pas temps de répondre qu'il était parti. J'aurais tellement aimé qu'il accepte cette décision. J'aurais tellement aimé qu'il me dise : "si c'est ce que tu veux, OK, sache que je serais toujours là pour toi " Mais Scott n'était pas comme ça et j'aurais dû prévoir sa réaction. Je débranchais les fils qui me retenaient aux machines et me redressai, je devais le rattraper lui expliquer d’une autre manière.

— Scott ! criais-je

Mais mes parents m’en empêchèrent.

— Reese, laisse ton frère se remettre de ses émotions. S'il te plaît réfléchi à tous ça.

— Maman, c'est déjà fait. Vous voulez que je reste le plus longtemps possible, mais pas à ce prix-là. Respecter ma décision, s’il vous plaît.

Même si ça leur déchiraient le cœur mes parents finirent par accepter. Je m'en voulais de leurs avoirs demander de faire ça, de leur avoir demandé de ne rien faire. Mais c'était comme ça qu'ils me montraient qu'ils étaient de bons parents, qu’ils faisaient ce qu'il y avait de mieux pour nous.

Mais je me pose des questions : comment faire accepter cette décision difficile à Scott ? Comment ma dernière année va-t-elle se passer ? J’essaye de ne pas penser à tous ses moments où je serais absent, ses moments que je ne connaîtrais jamais. J'essaye de positiver, de ne penser qu'à une chose : profiter de chaque instant qu'il me reste coûte que coûte…

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