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Josiane tenait salon, salon de coiffure, précisait-elle en souriant. La moitié de son minuscule deux pièces du Vieux-Montréal servait à boucler ses fins de mois. L'appel de Roxanne l'avait inquiétée, elle bichonnait les boucles de la jeune femme depuis trois ans, la savait intense et entière. À l'instar des meilleurs artistes capillaires, elle lisait l'âme de ses clientes, la soignait, au besoin, de ses doigts et de son oreille empathique. Elle faisait des miracles.

C'est d'ailleurs un miracle que la jeune sorcière qui surgit devant elle, hagarde et échevelée, réclamait. Josiane resta bouche bée. Qu'était-il passé dans la tête de la belle pour qu'il y pousse des tornades à la surface ?

« Coupe-moi tout. Prends tes ciseaux, ta tondeuse, et rase-moi tout ça.

- Je vais couper tes dreads, et te faire un carré. En noir, comme ça, tu vas être jolie.

- Non, rase. Ôte-moi ce cirage-là. »

Rien n'y fit. L'hydre tenait bon, agitait ses têtes avides, les enroulait autour des bras de la coiffeuse. Cette dernière s'acharnait, impuissante. Elle sentit que leur étreinte devenait molle, faiblissait. Roxanne, elle, s'affaissait. Josiane plongea de nouveau les ciseaux dans la tignasse, peine perdue. Elle courut à la cuisine chercher son meilleur couteau. La lame glissa. Les yeux mi-clos, Roxanne assistait à l'émoussement de son espoir.

« As-tu des petits pois, des asperges, quelque chose de vert ? demanda-t-elle d'une voix de mourante.

- Tu les nourris !

- Je me nourris en même temps. Pitié...

- J'ai une idée. »

Cinq minutes plus tard, Josiane revenait avec un énorme bol de cresson et un bonnet jamaïcain. Roxanne s'était évanouie. La coiffeuse regarda les dreads s'empiffrer, attendit que sa cliente revienne à elle. Engourdies par leur solide repas, les indociles rentrèrent sans rechigner sous le bariolage de mailles qui les accueillit comme une maman couveuse.

« Je dois m'en aller. J'ai laissé Gaston à un inconnu. »

La cliente reprenait vie, ses yeux brillaient d'une fièvre, d'un désir d'amour et de mort, d'une passion que Josiane n'avait jamais vue dans l'âme de la jeune femme. Elle la laissa aller, la suivit des yeux, saisit le gri-gri qu'elle portait au cou, le porta à ses lèvres, puis se signa.

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