Persuasion fait plus que force ni que rage

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Lorsque Sébastien vit les voitures bleues des douaniers, il eut un moment de panique. Avec son look quepon, il ne passait pas inaperçu. Et si la police découvrait qu’il avait essayé de prévenir son copain, il ne donnait pas cher de sa liberté retrouvée !

Quel con aussi de s’être laissé embarquer dans ce trafic pour que dalle ! Avoir accepté de garder cette foutue clé, pendant le voyage de l’autre en Irlande sur ce cargo, cela le transformait en receleur de fait et l’avocat commis d’office qui l’avait assisté, lui avait bien expliqué que cela pouvait lui coûter très cher, article 442-2 du Code Pénal : « Le transport, la mise en circulation ou la détention en vue de la mise en circulation des signes monétaires contrefaits ou falsifiés visés à l’article 442-1 est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende. » Avec aggravation en cas de bande organisée. Il faudrait prouver sa bonne foi et ce ne serait pas facile !

Sébastien ne songea pas un instant que Douanes et Police sont des institutions souvent cloisonnées, pour ne pas dire plus, et que leur présence sur le quai n’avait rien à voir avec son affaire. Baissant la tête et remontant le col de son blouson clouté, il s’éloigna à grandes enjambées vers le premier café venu : Chez Soizic.

À l’entrée de l’hôtel, dans le couloir attenant à la salle de café, une main ferme l’attira à l’intérieur :

— Par ici, vite !

Une vieille dame menue lui tenait fermement le bras et l’invitait à monter l’escalier.

— Ça va pas, non, la vioque ! De quoi j’me mêle ?

— Sébastien Le Guilloux, tu vas pas être aussi têtu que ton père, quand même ! Allez, grouille-toi, les flics d’hier sont après toi, je viens de les voir.

Qui diable lui parlait de son père ? Ah oui, il la reconnaissait, la vieille du commissariat ! Mais comment connaissait-elle ses vrais nom et prénom ? Quel était ce mystère ? Pas le temps d’éclaircir ça. Il fallait pas rester là.

Il suivit Mam Goz dans l’escalier. Elle courut ouvrir sa chambre, ils entrèrent, puis elle referma à double tour, s’adossant derrière la porte pour reprendre son souffle.

— Je ne crois pas qu’ils fouillent toutes les chambres de la rue, mais cache-toi quand même derrière l’armoire. On ne sait jamais.

Le ton était ferme et sans réplique. Sébastien obtempéra, malgré lui.

Mais aucun pas ne vint troubler le silence angoissant qu’ils gardèrent quelques minutes.

— Bon. Tu peux sortir de là. Ils ne viendront plus, finit par dire Mam Goz, à voix basse.

Assise au bas du lit, elle raconta alors à Sébastien, mal à l’aise sur la seule chaise de la pièce, comment elle avait été l’institutrice de son père, quarante ans auparavant, et combien il lui ressemblait, look mis à part, d’où la longueur d’avance qu’elle avait prise sur la police.

— Dis-moi, c’est quoi cette embrouille de fausse monnaie ?

— C’est que dalle, j’vous dis. Un pote qui m’a refilé une clé à garder le temps d’un p’tit voyage et basta. J’en savais rien, moi, de c’qui y’avait dans cette putain de consigne. Y m’a foutu dans la merde, ce con, voilà !

— Jamais tu ne feras avaler ça aux flics.

— Ouais, je sais, mais c’est la vérité, sur la tête de mon père, je vous jure !

— Je te crois et je veux bien essayer de t’aider, mais à une condition… : tu arrêtes de zoner.

— Eh, mais je demande que ça, moi, mais je trouve pas de boulot. Personne y veut de moi.

— La mer, ça te plaît, la mer ?

— Ouais, j’aime bien, les bateaux, voyager, voir du pays, foutre le camp ; ici, c’est trop pourri, quoi !

— Alors, je peux peut-être te trouver quelque chose. J’ai un ami commandant sur un cargo ; je pense qu’il accepterait de te prendre comme mousse si je te recommandais à lui. Mais il me faut un nom en échange : celui de ton copain.

— Putain, c’est pas cool ! J’suis pas une balance, merde !

— Réfléchis, Sébastien : tu as toutes les chances d’aller en prison pour plusieurs années à la place de quelqu’un qui t’a « foutu dans la merde » comme tu dis et qui est mêlé à un trafic grave. Ou tu changes de cap ou tu plonges.

La tête en train les mains, Sébastien Le Guilloux, se balançait de droite à gauche, grimaçant, en proie à un profond débat intérieur. Mam Goz l’observa un moment, puis lui prit la main :

— Ça va aller, Sébastien, tu fais le bon choix, j’en suis sûre.

— OK… Manu. Emmanuel Sanquer dit Manu. J’en sais pas plus.

— Ça suffira. Maintenant, on va changer ton look. Attends-moi ici, je vais faire quelques courses. Tu t’enfermes à double tour et tu n’ouvres à personne, d’accord ? J’en ai pour une demi-heure, trois quarts heure au plus. C’est quoi ta taille de pantalon, 38 ? Et de T-shirt ? S, sûrement, non ?

D’un pas accéléré, Mam Goz alla acheter à Monoprix un jean taille basse, un T-shirt noir au slogan modérément rebelle, un rasoir et une bombe de mousse à raser, un bloc de papier à lettres, des enveloppes et un bic. Sur le coin de table d’un café voisin, elle rédigea sa lettre au Procureur, révélant le nom du trafiquant de fausse monnaie. Elle la posta et rentra à l’hôtel. Là, Sébastien endossa sa nouvelle tenue, Mam Goz lui mit la boule à zéro et lui fit enlever ses piercings.

— Bon, remets ton blouson, qu’on voie l’ensemble. Mets la tige de tes rangers sous le jean, oui, comme ça.

Elle recula de deux ou trois pas pour juger du nouveau look de son protégé.

— Je crois que ça peut aller. Je vais pouvoir te présenter au Commandant Dufour. Le problème, c’est tes papiers. C’est les flics qui les ont.

— Les faux, oui, mais j’ai toujours ma carte d’identité de quand j’étais en pension, sauf que j’ai plus tout à fait le look.

— Elle est où ?

— Planquée avec d’autres trucs, en ville, dans un squatt.

— Elle a moins de dix ans ?

— Euh… oui, neuf, je crois.

— Impeccable. Avec ça, tu devrais pouvoir embarquer. Tu vas aller la récupérer dès qu’on sera rentrés. Bon, je vais régler la chambre et on s’en va. À partir de maintenant, tu es mon petit-fils. D’accord ?

— OK, mamie.

Ils échangèrent un sourire complice.

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