Bienvenue au port

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Après son coup de téléphone au Commandant Dufour, Mam Goz s’en alla feuilleter Le Marin chez le premier marchand de journaux trouvé, chercha la rubrique des mouvements de navires et découvrit que le Santa Claus ferait escale deux jours plus tard en provenance de Dublin et en route vers Amsterdam, où il devait décharger des ordinateurs et des machines à laver.

Elle décida alors de retourner chez Soizic, le bistrot hôtel du Port, et loua une chambre proprette, d’où elle pouvait voir les navires qui entraient et sortaient de la darse.

Mais la patience n’était pas son fort et deux jours, c’est long, même en meublant l’attente de travaux d’aiguille ! Aussi, pour mettre toutes les chances de son côté, et par un reste de superstition qu’elle ne savait expliquer, alla-t-elle déposer un cierge à Notre Dame de Kroaz-Baz. Le lendemain, le temps clément l’incita à entreprendre d’aller jusqu’à la Pointe de Perahidy, où elle déjeuna, face à l’île de Batz, avant de rebrousser chemin.

Malgré l’aide d’un automobiliste compatissant sur la fin du trajet, les huit kilomètres de l’aller-retour l’avaient quand même fatiguée et elle s’était assoupie devant la fenêtre, dans le fauteuil de sa chambre d’hôtel lorsque la sirène grave d’un navire entrant au port la fit émerger d’un rêve chaotique.

Un sourire se dessina bientôt sur son visage. Armée des jumelles de son défunt mari, elle venait de lire un nom sur l’étrave du bâtiment qui s’avançait dans la rade : Santa Claus !

Elle décida d’aller flâner sur les quais et de guetter la descente de l’équipage du bateau. Peut-être une idée lui viendrait-elle d’ici là.

Trois véhicules des Douanes stationnaient sur le quai face à la passerelle de débarquement. Douze hommes accompagnés de trois chiens montèrent à bord avant que quiconque ait pu en descendre.

Assise sur un banc, Mam Goz songea que l’inspection pouvait être longue et sortit son tricot. Elle commençait à perdre patience lorsqu’une silhouette connue passa presque devant elle, en traînant la semelle : une crête orange d’iroquois, un visage mince, un T-shirt de Mass Murderers, un treillis de camouflage et une paire de rangers. Si ce n’était Sébastien, il lui ressemblait comme un frère !

Dans un trafic de fausse monnaie, il était impossible qu’on ait libéré un suspect sans le faire suivre. Surtout ne pas se retourner. Sébastien avait-il semé les flics ou bien étaient-ils en train de les observer, elle et lui, depuis un quelconque « sous-marin » ?

Elle remballa son tricot en quatrième vitesse, noua un fichu sous son menton et s’éloigna pliée en deux sur son parapluie en guise de canne. Elle avait encore une chance de ne pas se faire repérer, mais commençait à penser qu’elle allait perdre son pari de résoudre l’affaire avant la police. Si seulement, elle avait informé le Procureur de ce qu’elle savait plus tôt ! Le mieux est souvent l’ennemi du bien, lui répétait sa mère. « Gast1 ! », pesta-t-elle.



IX

Raté de peu !



Bénédicte et Justin avaient réussi à faire libérer leur suspect, à la condition expresse de ne pas le perdre d’une semelle. Mais comme ils étaient « grillés », deux autres inspecteurs furent chargés de la filature au plus près, eux deux restant en liaison radio dans un second véhicule banalisé.

Le premier jour, Sébastien erra en ville, reçu en héros dans les quelques groupes de marginaux qu’il passa en revue, en quête du gars de la consigne. Au soir, il en était à sa quinzième ou seizième canette et s’effondra en galante compagnie sur un banc de square.

L’inspecteur qui s’était approché pour lui faire les poches et vérifier qu’il n’avait rien récupéré en rapport avec leur affaire, se vit menacer d’un cran d’arrêt par la punkette à cheveux roses qu’il avait crue aussi défoncée que Sébastien et préféra battre en retraite.

Bilan de la journée : peau de balle et balai de crin !

Le lendemain, seul cette fois, Florian Le Maréchal alias Sébastien Le Guilloux entreprit de faire de l’auto-stop en direction de Roscoff. La camionnette d’un maraîcher bio s’arrêta bientôt et le fit monter. Bénédicte, qui avait pris le volant de la Clio banalisée du Commissariat et s’était garée tout près sur une voie perpendiculaire, leur laissa deux cents mètres d’avance et démarra.

C’était jour de marché à Roscoff. Sans doute les y emmenait-il.

Hélas, le maraîcher avait des livraisons à faire et Sébastien n’était pas pressé, apparemment. Ce n’est qu’au bout de deux heures et demie qu’ils arrivèrent aux halles de Roscoff. Sébastien s’éclipsa alors en direction du port de commerce.

Bénédicte et Justin, sans équipe de soutien cette fois pour cause de crevaison, garèrent leur véhicule pour lui emboîter le train à pied. Pour donner le change, Bénédicte passa son bras autour de la taille de Justin, qui l’enlaça aussitôt avec un regard éloquent.

— Strictement professionnel, mon vieux, et n’essaie pas d’en profiter, hein ?

Ils n’eurent pas le temps de s’étendre sur le sujet. Devant eux, Sébastien tournait juste au coin de la rue et disparut un instant de leur champ de vision. Ils s’élancèrent d’une même foulée.

Quand ils débouchèrent à leur tour sur le quai du port de commerce, la première chose qui leur sauta aux yeux, ce furent trois véhicules des Douanes, au pied de la passerelle du navire. Et plus de Sébastien. Merde ! Les gabelous l’avaient fait fuir. Où était-il passé ?

— Prends à gauche, moi, je vais à droite, dit Bénédicte en tournant le dos à Justin.

C’est en vain qu’ils parcoururent le quai et ses alentours. Ils échangèrent des regards dépités.

Sébastien s’était comme évaporé. Sans doute était-il entré dans un des bistrots du port, qui avaient presque tous une sortie arrière. Ils commencèrent leur interrogatoire des barmen, serveuses et tenanciers. Plus pour nourrir leur rapport que pour l’efficacité du geste, car ils se doutaient bien que, pour ce soir, la cause était entendue. Le Commissaire allait les agonir et le Procureur aussi.

1 Putain ! Juron breton assez répandu.

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