Garde à vue

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Durant le trajet, dans la Mégane blanche siglée POLICE de Justin et Bénédicte, Mam Goz ne desserra pas les dents. Son sac à main noir sur les genoux, les mains croisées sur le fermoir, elle se tenait raide comme la justice, en, dépit de la ceinture de sécurité qu’on l’avait contrainte à boucler.

Par égard pour son âge, Bénédicte avait signifié à Justin, d’un index significatif sur sa tempe, qu’il n’était peut-être pas indispensable de passer les bracelets à cette octogénaire. L’observation du règlement n’interdisait pas un peu d’humanité, tout de même !

Au commissariat, l’entrée de cette digne octogénaire fit sensation. En effet, si durant le trajet, Mam Goz était restée stoïque, à peine eut-elle franchi la porte de l’hôtel de police qu’elle explosa, d’une voix haut perchée, jetant à la cantonade :

— Je veux voir le commissaire immédiatement !

Et de commencer à lancer des moulinets de son sac à main, à droite et à gauche, pour avancer vers la porte où se lisait en lettres dorées : « Commissaire ».

Justin, tout en s’interposant entre Mam Goz et la porte du bureau de son patron, tenta d’abord l’ironie pour amadouer la furie :

— On se calme, mamie, vous allez être interrogée dans quelques instants par un inspecteur.

Que n’avait-il pas dit là !

— Un inspecteur ! Je voudrais bien voir ça !

Et Justin essuya un revers de sac à main, assené de pleine volée, qui le déséquilibra. Des sourires furtifs apparurent sur les visages environnants. Bénédicte pensa qu’il était temps qu’elle intervienne. Au moment où Mam Goz reprenait sa progression vers le bureau du chef, tandis que Justin retrouvait ses esprits, elle allongea le pied en travers de son chemin.

Mam Goz trébucha, en lâcha son sac pour amortir sa chute de ses mains, mais celle, secourable, de Bénédicte l’empêcha de choir, au moment même où le Commissaire Dumortier sortait en trombe de son bureau, attiré par l’algarade :

— C’est quoi, ce bordel ? Oh, pardon, Madame ! C’est vous qui faites tout ce bruit ?

— Commissaire, Madame Le Mener a tenté de forcer avec sa 2 CV un barrage d’étudiants et a renversé un de nos hommes… heureusement sans gravité, et à présent, tentait de pénétrer de force dans votre bureau.

— Enfin, Madame, à votre âge, ce n’est pas sérieux ! Allez, entrez, vous allez m’expliquer tout ça.

La taille imposante du Commissaire et sa voix de stentor firent leur effet. Mam Goz tira sur sa jupe, vérifia son chignon et entra sans un mot dans le bureau de Dumortier, non sans jeter un œil noir au petit personnel du commissariat. La porte capitonnée se referma sans bruit.

— Asseyez-vous.

Ordre ou invitation ? Mam Goz ne sut pas très bien démêler la chose, mais s’exécuta, sans mot dire. Sa colère était tombée d’un coup.

Le Commissaire sortit un long moment et finalement revint, une fiche manuscrite à la main. Il la posa devant lui, sur le bureau, la lut silencieusement. Puis, les mains croisées sous le menton, il fixa Mam Goz d’un regard inquisiteur :

— Rébellion, entrave à l’action de la force publique, mise en danger de la vie d’autrui, peut-être même coups et blessures ayant occasionné une incapacité de travail, cela fait beaucoup de chefs d’inculpation, pour une dame de votre âge. Je ne peux pas vous laisser repartir comme cela, désolé. Vous allez être placée en garde à vue, pour 24 heures. Nous allons prendre votre déposition. Puis, nous transmettrons au Procureur qui décidera de la suite à apporter à cette affaire. Vous avez le droit de prévenir votre famille, de demander la visite d’un médecin, de consulter un avocat. Votre véhicule va être placé en fourrière.

Mam Goz se voûta un peu sous l’avalanche, mais sa résolution était déjà prise : puisque c’était ainsi, elle n’ouvrirait pas la bouche devant cet Ostrogoth !

— Madame Le Mener, ce n’est pas la première fois, loin de là, que vous vous faites remarquer. À la gendarmerie, vous êtes connue comme le loup blanc pour votre conduite automobile, disons… particulière. Et aujourd’hui, vous aggravez sérieusement votre cas. Un peu de réflexion ne vous fera pas de mal. Vous ne dites rien. Comme vous voudrez. Un inspecteur va rédiger votre déposition.

Le Commissaire enclencha l’interphone et appela un dénommé Plassard. Mam Goz se souvint aussitôt d’un élève de ce nom et une ombre passa sur son visage : malgré tous ses efforts, c’était resté un cancre invétéré. Mais c’est la jeune femme qui lui avait évité les menottes qu’elle vit entrer. Avec quelque soulagement.

? Suivez-moi, Madame Le Mener, nous serons mieux dans mon bureau, dit Bénédicte, sur un ton urbain.

? Vous pouvez m’appeler Mam Goz, ma petite, dans tout le canton, c’est comme ça qu’on m’appelle depuis longtemps.

— Je n’en ai pas le droit, Madame Le Mener, fit Bénédicte.

? Alors, on la remplit, cette déposition ? enchaîna Mam Goz, qui avait horreur de perdre son temps.

Bénédicte songea que, décidément, cette « cliente » était pleine d’imprévu, et comme il lui importait de ne pas trop bousculer une grand-mère qui lui rappelait furieusement la sienne, elle ne releva pas l’insolence du propos.

En pleine rédaction du procès-verbal, la porte du bureau s’ouvrit pour laisser passage à Justin Paolozzi, poussant devant lui une espèce d’adolescent attardé, en treillis, rangers et crête orangée, menottes aux poignets :

— Commissaire, ce garçon, contrôlé en marge de la manif, a des papiers trafiqués.

Il tendit au commissaire une carte d’identité ancien modèle, et l’œil exercé de celui-ci constata que la photo relativement récente qui y figurait n’était pas celle d’origine.

Mam Goz, intriguée, tourna la tête vers l’arrivant. Ses yeux vifs se concentrèrent sur le visage pâle, émacié, à demi-couvert d’une barbe naissante tirant sur le roux. Une lueur s’alluma dans son regard. Puis s’éteignit.

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