La Louve des Ardennes

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 Au cœur de la forêt obscure, Aquilius et les Gaulois avançaient sur leurs gardes. Ils entendaient un vent diffus comme si la forêt respirait, dégageant un aura surnaturelle. Après une longue marche, Aquilius fit stopper Brennus et ses hommes. Il tira son gladius et leur indiqua une lueur orangée au loin, unique source de lumière dans cette forêt ténébreuse. Puis il murmura à Brennus :

 — Nos ennemis se sont réunis autour d’un grand feu, cela ne fait aucun doute. Dites à vos hommes de se faufiler d’arbre en arbre, et qu’ils attendent mon signal.

 — Legatus, répondit Brennus, hésitant, il serait plus prudent d’attendre la fin de leur réunion. C’est le banquet de Samhain. Cette nuit marque la fin de l’année, la transition entre la saison lumineuse et la saison sombre. La frontière entre notre monde et celui des dieux et des esprits s’estompe, libérant toutes sortes d’esprits malveillants ou bénéfiques.

 — Ce ne sont pas des esprits ou autres fantômes qui mettront fin à la Pax Romana. Allons éliminer ces rebelles qui sont bien plus dangereux. Que vos hommes s’avancent comme je vous l’avais ordonné !

 N’osant contredire le legatus, Brennus et ses guerriers avancèrent, dissimulés derrière les arbres, vers le lieu de réunion des rebelles. Dès qu’il fut assez près, Aquilius observa le grand feu autour duquel étaient assis des guerriers gaulois qui consommaient du vin, de la cervoise et toutes sortes de viandes tout en parlant, riant et chantant. Cette animation fut soudainement interrompue par les flammes qui devinrent plus intenses. Les Gaulois le contemplèrent avec crainte et admiration, tout comme Aquilius et ses auxiliaires qui comprirent que ce phénomène n’était pas naturel.

 Du feu surgit une silhouette encapuchonnée et habillée d’une longue tunique blanche qui écarta les flammes comme de simples tentures. Elle s’avança vers les guerriers et fit tomber sa capuche en arrière, révélant une tête rousse ornée d’une couronne de gui, à la vue de laquelle les gaulois s’inclinèrent. Fasciné par ce spectacle, Aquilius comprit qu’il s’agissait de la « Louve des Ardennes », celle qui menait la guerre contre la République qu’il s’était juré de défendre. La druidesse leva les mains vers le ciel et s’adressa solennellement aux Gaulois :

 — Fiers et braves guerriers de la Gaule, commémorons nos batailles et nos frères morts dans notre combat face aux Romains ! En cette nuit de Samhain, leurs esprits reviennent dans notre monde pour nous soutenir dans notre lutte. Les dieux nous apporteront leur aide car leurs temples ont été profanés et remplacés par ceux des Olympiens. Ne craignez pas la mort parce que votre force vitale perdurera dans l’Autre-Monde et reviendra sous une nouvelle enveloppe pour accomplir votre devoir sacré. Chassons les Romains de la terre de nos ancêtres, et que triomphent notre peuple et notre liberté !

 À ce discours inspiré, les guerriers gaulois répondirent par des cris guerriers en levant leurs armes. D’un simple geste de la main, la Louve des Ardennes calma l’ardeur de ses fidèles et s’avança vers un panier rempli de fruits. Elle prit une pomme, la brandit en direction du grand feu et récita :

 — Ô puissances du Sidh, recevez nos offrandes. En plus de la nourriture, acceptez les trésors gagnés au combat ! Ce que nous avons repris à nos ennemis nourriront nos guerriers et les esprits de nos ancêtres. Que cette nuit nous augure une nouvelle année placée sous le signe de la victoire !

 Elle laissa ensuite le fruit tomber au milieu des flammes, qui le dévorèrent en un clin d’œil. Avec solennité, les Gaulois rebelles jetèrent à leur tour des offrandes destinées aux dieux et esprits de l’Autre-Monde. Tandis que cette procession se terminait, Aquilius fit un signe à Brennus qui ordonna à ses hommes de se faufiler silencieusement afin d’entourer les rebelles. Brennus et ses guerriers attendirent le signal du legatus. Aquilius abaissa sa main d’un geste vif et Brennus cria l’ordre d’attaquer, surprenant la Louve des Ardennes et ses disciples. Aussi vifs que des fauves, les hommes de Brennus lancèrent leurs pillum, embrochant les rebelles qui n’eurent même pas le temps de réagir. Surgissant de sa cachette, Aquilius cria :

Gladium stringere !

 Les auxiliaires tirèrent leurs glaives de leurs fourreaux et suivirent Brennus et le legatus qui chargèrent vers les Gaulois séditieux. Aquilius et les guerriers de Brennus massacrèrent chacun deux ou trois guerriers qui ne purent opposer la moindre résistance. Tandis que Brennus et ses hommes abattaient les derniers rebelles, Aquilius fixa la Louve des Ardennes qui tenait une longue épée.

 — Tu ne te rends pas compte de ton sacrilège à l’encontre des puissances de l’Autre-Monde, Romain ! cria-t-elle, folle de rage. Je suis la seule capable de contrôler le passage du monde des vivants vers le Sidh. Si tu m’empêches d’accomplir le rituel, la colère de nos dieux s’abattra sur toi.

 — Que la foudre de Jupiter te terrasse, femme ! Ce ne sont pas tes dieux des arbres et de la forêt qui auront raison de la gloire de Rome. Rends-toi et tu pourras continuer à vénérer tes dieux tout en bénéficiant des bienfaits de la civilisation romaine.

 Pour unique réponse, la druidesse brandit son épée, l’abattit sur lui, mais Aquilius la contra de son bouclier et transperça le ventre de la jeune femme avec son glaive. La Louve lâcha son arme, recula et tomba au pied du grand feu sous les yeux de Brennus et de ses guerriers victorieux. Aquilius rangea son arme dans son fourreau, s’approcha de sa victime et la regarda agoniser.

 — Tu vois, vipère gauloise, cracha-t-il avec arrogance, il est vain de s’opposer à la destinée divine de Rome. Vos coutumes et votre mode de vie disparaîtront pour laisser place à un monde prospère et civilisé inspiré par la gloire et le prestige la Cité de Romulus et Remus. Puisse Pluton t’accueillir et te réserver un sort à la hauteur de ta trahison dans les enfers !

 Dans un dernier râle d’agonie, la druidesse mourut. Aquilius montra le cadavre de la druidesse à ses auxiliaires qui se précipitèrent vers celle qui avait semé la terreur en Gaule belgique. Au moment où ils voulurent la saisir, elle ouvrit les yeux, et tourna sa tête vers le legatus.

 — Je t’ai mis en garde, Romain, dit-elle avec une voix plus grave, à l’aura surnaturelle. En mettant un terme à notre cérémonie, tu as attisé le malheur sur toi et les êtres qui te sont chers.

 Aquilius fut paralysé par la peur car il savait que ce phénomène était l’œuvre de forces occultes qu’il ne pouvait combattre. La Louve des Ardennes se releva sans prendre appui, comme si une main invisible la remettait sur pieds, tout en fixant le legatus d’un regard cadavérique.

 — Plus jamais tu ne dormiras tranquillement, car les esprits de ceux que tu as tués reviendront te hanter et une malédiction te frappera ainsi que tous tes descendants jusqu’à l’extinction de ta lignée. Que la colère du Sidh t’embrase !

 La druidesse leva les bras vers le ciel et le grand feu s’agita intensément. Vulnérables face à cette menace, les auxiliaires s’enfuirent, laissant Aquilius seul face à ce spectacle surnaturel. La Louve des Ardennes le pointa du doigt et les flammes le prirent, tels des tentacules, par les jambes. Aquilius fut enrobé dans un feu puissant et hurla de douleur. À travers le rideau de flammes, il pouvait voir la druidesse le fixer, tandis que des formes blanches vaguement humaines ou animales surgissaient derrière elle. Une intense lumière émana de la druidesse et elle se transforma en un nuage lumineux. Celui-ci prit la forme d’une créature à quatre pattes dotée d’un long cou et portant sur sa tête des branches d’arbre. Après avoir pris la silhouette d’un cerf, la créature étincelante se tordit et une gueule allongée aux dents et oreilles pointues apparut. Cette forme fantomatique de loup émit un hurlement perçant et disparut dans un flot de flammes.

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