Choisir c'est renoncer

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― On est dans la merde.

 Allongé dans le lit d’Eliott, je contemplais sans les voir les posters de Jimi Hendrix et de Queen. On revenait d’une après-midi passée à l’église à avancer sur sa décoration. Cela faisait quelques semaines que l’on planchait dessus après les cours. A l’approche des vacances d’hiver, d’autres gamins et parents nous prêtaient mains fortes. A la maison, maman commandait le sapin qui trônerait dans le hall et que l’on décorerait bientôt.

― Ca fait chier, j’avais complètement zappé, grogna Elie.

 Accoudé à la fenêtre, il fumait sa troisième cigarette depuis notre retour. Les deux heures de privation de nicotine le rattrapaient. C’était en apercevant la chorale répéter que l’on avait tilté sur le concert du bar qu’on était censés honorer la veille de Noël. Malheureusement entre ma punition qui perdurait avec le retour de maman et notre présence requise à l’église jusqu’au 24 décembre, il nous était impossible de performer.

― On n’a pas le choix : il faut annuler, annonçais-je tout aussi dépité.

 Elie soupira lourdement. Il dégaina son téléphone et contacta Florian et Julien pour les prévenir. Nos deux acolytes furent aussi déçus. On se retrouvait dans l’impasse. Après tout ces efforts et l’élan que j’avais réussi à réimpulser, je craignais que la nouvelle ne les abatte trop.

― Ma punition ne sera pas éternelle, on pourra peut-être retenter le coup en janvier, suggérais-je dans un moment de silence.

― Pour autant, ta mère te laissera pas monter sur scène, encore moins dans un bar…raisonna Florian.

― J’ai l’autorisation de mon père, il pourra me couvrir.

 Elie fit les gros yeux.

― Non, non, non, c’est mort. Ren, la dernière fois elle t’a salement amoché… murmura Elie en couvrant le haut parleur.

― Il faut ce qu’il faut. Elle pourra recommencer autant qu’elle voudra, je ne vous lâcherais pas, soutin-je.

― C’est mort. Je te laisserais plus prendre un risque pareil. Si elle te déboîte l’épaule comme la dernière fois, tu pourras même pas performer.

 Le vague souvenir de ce funeste jour me crispa. Je ne me rappelais même plus la raison de notre engueulade, juste de la douleur sourde qui succéda au craquement sinistre dans mon bras. Et des heures aux urgences pour qu’une blouse blanche me fasse passer une radio. Maman, le visage sincèrement inquiet, m’avait même payé une brique de jus de pomme au distributeur pour se faire pardonner. Elie crût longtemps à son mensonge d’une mauvaise chute dans les escaliers, jusqu’à ce que je finisse par lui en parler. Depuis, sa confiance en maman s’était étiolée. Parce que je n’ai pas tenu ma langue.

 Je m’apprêtais à contreargumenter quand Julien s’impatienta à l’autre bout du fil.

― On est là, désolé. Pour moi Ren pourra pas jouer avec nous, c’est trop risqué.

― Tu penses pouvoir le relever ? questionna Julien.

 Elie coula un regard incertain en ma direction. On fonctionnait en binôme depuis la création du groupe, et même si ça me faisait mal de l’admettre, il fallait envisager cette possibilité pour les deux prochaines années. Fait chier. Si je ne m’étais pas fait chopper, on n’en serait pas là. Elie ne se retrouverait pas comme un lapin pris dans les phares. J’avais le don de tout faire capoter.

― Vous n’aurez pas le choix, m’inclinais-je, Elie doit prendre le lead du groupe. En tout cas pour la partie concerts et grosses représentations. Je pourrais participer à certaines sessions mais en restant objectif, je ne pourrais pas faire plus.

― Après ça sera que pour cette année, non ? Même si ça perturbe notre orga, ça reste faisable. Faut juste qu’Elie soit partant pour endosser ton rôle, positiva Florian.

― En fait… J’ai interdiction de participer aux deux prochains concerts…

― Quoi ?! s’écrièrent-ils d’une même voix.

 Elie me scruta sans voix. A l’autre bout du fil, nos amis juraient.

― Tu comptais nous le dire quand ? lança Julien quand le calme revint.

― Je suis désolé. Vous étiez dans une mauvaise passe ces dernières semaines, j’ai jugé inutile de vous prévenir.

― C’est la merde. Putain, c’est vraiment la merde, annonait Florian d’une voix lointaine.

― Ton père pourra pas te couvrir ?

― C’est compliqué… Sans rentrer dans les détails, c’est ma mère qui décide, et on n’a pas intérêt à aller à contresens.

 Julien n’était pas au courant de tout, ce n’était pas plus mal. Lise était parvenue à dissimuler à ses propres fils notre situation contrairement à Alice.

― Donc si je résume, tu lâches le groupe, conclut Julien d’une voix blanche.

― Non ! Je ne pourrais simplement pas participer aux gros événements, je ne suis pas interdit de musique, nuançais-je.

― Dans tous les cas ça craint. Du coup, je redemande : Eliott est-ce que tu te sens prêt à relever Ren ?

― Putain quelle situation de merde. Bah vas-y, de toute manière j’ai pas vraiment le choix, répondit-il en se passant une main dans les cheveux.

― Je suis désolé. Je vous aiderais du mieux que je peux pour me rattraper, promis.

― C’est réglé dans ce cas. Ca convient à tout le monde ?

Fidèle à lui-même, Julien incarnait la tempérance. On approuva la décision. C’était la seule chose qui nous restait à faire pour limiter la casse. Avec ces revirements, on décida de repporter le projet de performer pour des bars, c’était beaucoup trop risqué. A contrecoeur, je contactais le patron du bar auprès duquel nous nous étions engagés. Malgré sa déception, il se montra compréhensif.

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