L'annonce du concert

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Septembre 2015, 6 mois avant la Tragédie

 Miraculeusement, maman ne s’est pas rendu compte du remplacement de son camélia. J’ai eu de la chance d’en trouver un similaire même si ça m’a coûté une partie de mon argent de poche mensuel. Le jardinier en revanche a dû s’en apercevoir mais ne lui en a pas fait part.

 Le mois d’août est passé à une vitesse vertigineuse si bien que la rentrée s’amorça avant d’avoir pu concrétiser nos projets de vacances en groupe. De toutes façons, l’ambiance s’était dégradée depuis notre soirée. Florian s’était montré distant une bonne partie du temps avant qu’on finisse par discuter comme si de rien n’était. Je n’avais plus croisé Arthur depuis et c’était tant mieux.

 Elie stressait déjà tandis que j’attendais de voir le programme pour déterminer à quel point je m'ennuierai cette année. J’avais poncé le livre de révisions dans les délais, si bien que ma mère m’en avait ramené un autre pour consolider mes acquis en Physiques. Je détestais cette matière, hormis la partie sur le calcul atomique que je trouvais enfantine.

 Notre premier jour fut consacré à l’exposition en large et en travers, par Monsieur Simons, du programme et de l’importance “capitale” de l’année de Première et de Terminale. J’enviais Elie qui n’aurait aucun examen cette année ; je serai encore en train de gratter qu’il profiterait de ses longues vacances de quatre mois. Mauvais hasard ou non, Florian et moi n’étions pas dans la même classe cette année. Je me retrouvais donc à devoir sociabiliser avec un gars que j’avais croisé quelques fois dans les couloirs. Il avait la gueule d’ange, des boucles blondes qui devaient en faire craquer plus d’une ; Maxime Blanchard s’était-il présenté d’un grand sourire qui avait creusé au coin de ses joues des fossettes marquées. Je lui avais cédé la place restante à regret. Pourquoi Diable venait-il s’installer là ? Il y avait assez de places libres dans la classe, mais non, monsieur gueule d’ange tenait à s’installer à côté de moi. Et quelle pipelette bon sang ! Il n’arrêtait pas de parler ou du moins de me faire passer un interrogatoire. Heureusement, le prof principal le recadra alors qu’il s’apprêtait à aborder le sujet qui m’intéressait le plus.

― Bien, jeunes gens, vous en avez l’habitude maintenant, passons aux modalités d’organisation du concert annuel. Pour cette dixième édition, les groupes intéressés devront se manifester d’ici vendredi avec une autorisation parentale signée. Sont acceptés les groupes à partir de deux personnes qui maîtrisent au moins un instrument et/ou le chant. Si vous êtes seuls et que vous souhaitez participer, je vous invite à vous rapprocher de votre professeure de musique afin de rejoindre un groupe existant. Enfn, en ce qui concerne les dates prévues, nous reviendrons vers vous courant semaine prochaine pour vous les confirmer.

 Je notais religieusement les indications données afin d’en rediscuter avec les gars, brûlant d’impatience à l’idée d’un nouveau concert.

 Je sentis le regard de Maxime couler sur mes notes.

― Tu comptes t’inscrire ?

 Je fis mine de n’avoir rien entendu, me focalisant sur Monsieur Simons.

― C’est cool en tout cas. J’aurais bien aimé rejoindre un groupe mais bon je suis nul en chant et pour ce qui est des instruments n’en parlons pas… Tu fais quoi dans ton groupe ? Je te vois bien guitariste, t’as le style d’un rockeur.

 Quel moulin à paroles, purée !

― Blanchard, vous avez des questions peut-être ? l’interrompit le professeur d’un regard rigide.

 S’il connaissait ce prof, il saurait ce qu’il l’attendait. Je l’aimais bien pour ses méthodes pédagogiques très…particulières. Et j’étais bien content de l’avoir cette année ! En plus de son rôle de prof principal, il enseignait le Français comme personne. Je l’avais eu au collège et j’en conservais un souvenir marquant. Simons était un des plus charismatique de cette école : il faisait l’unanimité autant auprès des élèves, mêmes les plus revêches, qu'auprès du reste du corps enseignant. J’ignorais si c’était à cause de son air droit, sa silhouette sèche et élancée ou sa voix profonde entretenue par son café-clopes dont il posait les intonations comme s’il s’apprêtait à déclamer son plus bel oratoire, mais il inspirait un profond respect. D’un calme mesuré, il n’haussait le ton que pour nous faire vivre les textes des auteurs qu’on étudiait. Plutôt que des cris, si un récalcitrant décidait de bavasser sous son nez, il opérait diverses stratégies. La plus amusante à mes yeux était le tirage d’oreille en bonne et due forme, et la plus originale à laquelle j’eu le malheur de goûter : une chaussure pointure 43 balancée juste à côté de ma tête. J’aurais dû m’en douter à l’époque, après tout il m’avait prévenu. Cela m’amusa donc grandement d’imaginer mon voisin de table se faire menacer à coup de mocassin.

― Non Monsieur, je n’ai pas de question, répondit Maxime d’un ton léger en affichant un grand sourire.

 Simons le scruta encore comme s’il évaluait déjà à quelle sauce il le mangerait.

― Alors je vous prierais de vous taire. Vous discuterez avec Monsieur Kimiko à la pause si ça vous chante.

 Puis il détourna le regard pour acquiescer sur la main levée d’Ewen. Maxime quant à lui se mit à griffonner dans son agenda. Enfin la paix !

― Est-ce qu’on aura des aménagements d’emploi du temps si on s’inscrit ?

 Il marquait un point. Même si le Bac serait une formalité pour moi, gérer les répétitions et les révisions imposées par ma mère ne serait pas aisé.

― Nous ajustons les plannings pour être transparent avec vous, je l’ignore donc. Je note votre question afin d’en échanger avec Madame Grivel. D’autres questions ?

― Oui ! L’inscription est gratuite ? se manifesta Antoine.

 J’ignorais qu’il jouait. Il n’avait pas participé l’année dernière.

― Un chèque de caution de 500 euros vous est demandé, notamment si vous réservez la salle de musique pour utiliser le matériel et les instruments. Bien évidemment il n’est pas encaissé tant qu’aucun dégât n’est constaté. Je vous invite chaudement à disposer de vos propres instruments même si j’entends que cela ne soit pas donné. En dehors de cette caution, l'inscription est gratuite. Vos familles paieront 20 euros pour assister au concert, cela reste inchangé.

 500 balles de caution, ça avait augmenté ! Maman pèterait un câble si je les lui demandais. On avait la chance d’avoir nos propres guitares mais quand même, ça nous avait bien dépanné d’avoir la salle de musique pour répéter. Peut-être négocier avec papa ? Je pouvais tenter.

― Les 500 euros c’est collectivement ou on doit chacun donner un chèque ? demandais-je après son approbation.

― Comme cela relève de la responsabilité individuelle en cas de dégradation, ce montant est individuel.

― Alors, vous en dites quoi ?

 Attablés dans la cantine noire de monde et bruyante, j’attendais que les gars se prononcent après mon exposé complet.

― Perso, j’suis chaud, approuva Florian en déchiquetant son quignon de pain.

 Le saucisse-purée de la cantine ne m’avait pas manqué mais j’en avalais une bouchée pour me caler l’estomac. Elie engloutissait déjà son yaourt en deux coups de cuillères à pot alors que Julien, lui, n’avait quasiment rien avalé. Raphaël nous écoutait sans participer, s’amusant à planter sa fourchette à la verticale dans sa purée. Le pire c’est qu’elle tenait ! A ses côtés, Asma était en grande discussion avec Erica et Alicia à l’autre bout de la table. Cela faisait tout drôle de retrouver le groupe au complet.

― Je suis partant mais 500 euros de caution, pas sûr que le vieux accepte, se désola Julien.

― Je comprends. Mais l’avantage c’est que c’est optionnel, fis-je remarquer, c’est seulement si on emprunte la salle de musique pour répéter. Penses-tu qu’on puisse se servir de ton garage comme l’année dernière ?

― Je vais lui en parler. Après je t’avoue que ça fait quelque temps que je n’ai pas joué.

― T’en fais pas, ça se perd pas en quelques semaines, j’suis sûr que tu rattraperas facilement, le rassura Elie d’un sourire.

― Et toi Elie ? Tu y participes ? relançais-je.

― Moi ça me va. On pourrait même s’y remettre dès ce soir.

J’opinais. On allait enfin pouvoir jouer tous ensemble, j’avais déjà hâte d’y être ! Il ne manquait plus que la signature de maman ou de papa et on partirait pour une nouvelle année.

*

― Non, c’est hors de question.

― Mais pourquoi ?

― Ren, l’année dernière tu n’avais pas d’examens, cela ne posait pas de problème, mais cette année ce n’est pas la même chose.

 Ma mère me toisait comme si la réponse était évidente. Encore derrière son ordinateur de travail, elle ne m'accordait qu’une attention limitée pour répondre à des mails. Elle retira ses lunettes pour se masser l’arrête du nez ; elle semblait épuisée. Je ne l’avais peut-être pas sollicitée au meilleur moment.

― Elie passait bien son brevet l’année dernière et tu ne lui as rien dit ! rétorquais-je.

― C’était un simple brevet. Là on parle du Baccalauréat, c’est beaucoup plus exigeant. Je suis désolée mon chéri mais c’est non. Et ce n’est pas la peine de demander à ton père, ce sera non.

― Mais maman ! Tu sais très bien que je vais l’avoir mon Bac, je bosserai toujours autant, je te promets que ça ne m’empêchera pas de réviser !

― Ren.

 Je compris que ce n’était plus la peine d’essayer. Dépité, je repartais du bureau pour me jeter dans mon lit.

― Fait chier putain !

― Et ce n’est pas la peine de jurer, cria-t-elle depuis l’autre bout du couloir.

 Elle me gavait. Jamais là quand il le fallait, mais quand il s’agissait de m’emmerder elle répondait présente ! Je soupirais en relisant l’autorisation.

― Elle a refusé, devina Elie qui venait de s’asseoir à côté de moi.

 Il avait fermé la porte pour qu’on puisse discuter.

― Ouais. Et toi ?

― Elle me l’a signé…

 Son air coupable me submergea ; j’en avais marre de sa différence de traitement, elle lui passait tout et moi j’avais rien, ça me donnait envie de tout détruire.

― J’en ai ras-le-bol, elle est toujours coulante avec toi et moi je peux toujours aller me faire voir, c’est injuste !

 Elie s’enfonça un peu plus.

― Ce n’est pas à toi que j’en veux mais à elle, me sentis-je obligé de préciser.

― Ça nous empêche pas de répéter.

 Là-dessus, il se releva et récupéra mon étui à guitare calé contre l’armoire. Il l’ouvrit pour en sortir ma Telecaster qu’il me tendit en souriant largement. Je me relevais à mon tour, en la contemplant. Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas retouché, je pris donc le temps de la réaccorder.

― Tu devrais changer tes cordes, elles vont bientôt péter, souligna-t-il en l’inspectant. Je devrais en faire de même avec la mienne, tu me diras.

 Il me laissa quelques minutes avant de revenir avec la sienne. Il maîtrisait mieux l'acoustique que l’électrique ce qui nous arrangeait bien pour les concerts. Après l’avoir accordée, il entama un air familier. Je mis quelques secondes à resituer Don’t Cry de Guns N’ Roses. Il rata quelques notes avant d’entonner la chanson. Et c’était moi l’intello. Elie apprenait si vite quand il s’agissait de musique, il ne s’en rendait même pas compte. Je reposais la Fender dans son étui pour l’écouter. Il était doué pour me consoler, ce con. Je le rejoignis sur le refrain ce qui éclaira sa voix d’un sourire radieux. Peu m’importait comment, je me promettais de trouver un moyen d’obtenir cette autorisation pour jouer avec lui comme ces deux dernières années.

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