L'enterrement

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✨ Hé, ça t’es arrivé à toi, d’aimer un fantôme ? D’aimer quelque chose de plus fort que tout ? Que tu peux pas toucher, pas regarder. Juste de la nostalgie, des souvenirs, une odeur, un souffle, un regard. ✨

 Si vous ne viviez pas dans une grotte en septembre 2016, vous devez assurément vous rappeler d’un procès aussi inédit que surmédiatisé : le mien. A seulement 16 ans, je me retrouvais pour la première fois confronté à la machine implacable de la justice française. Et la raison pour laquelle je me retrouvais sous le feu des projecteurs des journalistes comme mon père, n’était autre que ma propre mère, Anne-Marie Kimiko. Oui, ma propre mère m’avait intenté un procès, rien que ça. Autant dire du pain bénit pour les journalistes en manque d’articles à sensation dans la presse quotidienne. Mais avant de vous raconter mon procès, j’aimerais revenir sur ce qui m’amena devant les tribunaux, et pour cela, il faut que je vous parle de lui. De cet être fabuleux dont on m’accusait du meurtre : mon jumeau.

*

Juillet 2015, 7 mois avant la Tragédie.

Cimetière de Saint Charles, Lille.

 Un soleil radieux inondait les tombes. La cérémonie de mise en terre venait de prendre fin. Dans un silence solennel ponctué par les pleurs de Raphaël, j’assistais, impuissant au tragique absolu. Lise avait perdu son combat contre le cancer ; huit mois s’étaient écoulés depuis l’annonce de sa maladie, huit mois où notre petit groupe d’amis s’était consolidé autour de Raph et de Julien, dans l’espoir d’un miracle. Mais Dieu a jugé bon de la rappeler à ses côtés lundi dernier. Elle est partie dans son sommeil, de ce qu’on m’a dit. Depuis, nous n'avions plus de nouvelles. Un silence de plomb que l’enterrement avait brisé. Il y avait une vingtaine de personnes réunie dans le cimetière, toutes de noir vêtu. Les hommes en costume sobre, les femmes en robes pour supporter la chaleur de juillet.

 Je jaugeai Eliott qui se tenait à côté de moi, les larmes coulant silencieusement sur ses joues. Il n’avait pas dormi de la nuit, malgré tout mes efforts pour le calmer, enchaînant les cigarettes sur la terrasse alors que ses messages pour Julien s’empilaient sans jamais être brisés. Les décès, les maladies, les enterrements l’esquintaient plus que de raison. Pour ma part, même si j’étais ému pour mes deux amis, je n’étais pas du genre à m’apesantir là-dessus.

 Le prêtre finit par adresser une dernière prière avant de nous quitter. Seuls face à la terre fraîchement retournée, Julien, silencieux et droit comme un “i” avait l’air d’un petit garçon perdu, tandis que Raph, à genoux, tenait un pan de son pantalon comme si sa survie en dépendait. Ce tableau me fit réaliser leur solitude au beau mileu du petit comité qui, avec respect, s’était retiré.

 Le sanglot que contenait Raph depuis le début de la cérémonie explosa, un sanglot déchirant qui, je l’avoue, me remua. Hagard, Julien se réanima pour poser sur son cadet un regard fébrile. Il saisit sa main pour l’aider à se relever, le prenant dans ses bras pour lui murmurrer des paroles rassurantes.

 Je jetai un regard derrière moi, pour croiser celui d’Asma, le visage dévoré par les larmes qu’elle tentaient d’effacer avec son mouchoir. Eliott fut le premier à bouger : il se rendit naturellement à côté de Julien, posant sa main sur son épaule. Asma me dépassa à son tour pour rejoindre Raph qui se jeta dans ses bras, pleurant de plus belle. La douleur. Elle était horrible à observer, elle me paralysait sur place. Je nous revoyais avec Eliott à l’enterrement de papi et ça me terrifiait.

 Florian, engoncé dans un costume trop grand que son frère lui avait prêté me tapota l’épaule et les désigna d’un mouvement de tête. J’avais envie de refuser de m’approcher davantage, mais il ne me laissa pas le choix, me tirant par la manche pour que mes jambes s’activent. La distance se réduisit jusqu’à ce que je me retrouve comme un con à me prendre les pleurs de mes amis et de mon frère en pleine figure. J’aurais aimé faire comme Eliott, les prendre tous dans mes bras et qu’on s’abandonne ensemble à la perte de Lise. Mais je demeurrais immobile, spectateur de la scène, incapable de trouver geste ou mots plus réconfortants.

 Comment réagir ? En rationnalisant ? En compatissant ? Je ne pouvais pas compatir, je n’étais pas à leur place, j’étais juste un ami de la famille. Rien de plus, rien de moins.

 Eliott me prit la main et la serra comme un désespéré alors qu’il prenait aussi celle de Julien. Asma que les pleurs ne parvenaient pas à enlaidir délégua à Florian le cadet de la fraterie endeuillée.

― Tu peux la déposer maintenant, me glissa Eliott d’une voix profonde.

 La surprise me fit presque lâcher la gerbe de fleurs que je trainais. J’avais oublié. Je me contentai de m’avancer près du rectangle de terre pour y placer la couronne de fleurs d’été. On s’était tous cotisé pour offrir cet hommage à Lise.

― La stèle sera posée en début de semaine prochaine.

 Cette fois, je ne fus pas le seul à tressaillir et à me retourner pour découvrir l’homme à la voix rocailleuse qui venait nous intérrompre. Nous dépassant tous d’au moins deux têtes, le grand-père de nos deux amis se tenait là, à quelques pas de nous. L’air de famille n’y trompait pas : en dépit de cheveux argentés coupés ras, la mâchoire anguleuse et les yeux sombres étaient comparables à ceux de Julien ; Raphaël y tenait un peu moins, sa mâchoire étant bien plus arrondie. Il n’y avait aucun doute sur son passé de militaire, il en gardait la droiture et l’air solennel. Il imposait au premier coup d’oeil le même respect qu’une certaine crainte que l’on aurait pu attribuer à son impressionnante stature. Julien n’avait pas menti. L’homme nous scruta tour à tour, impassible, et l’on comprit tacitement que nous devions les laisser seuls. En m’éloignant je perçus brièvement leur conversation ; nos deux amis allaient déménager.

 On discuta tous les quatre, le temps que nos parents qui s’étaient éloignés terminent de se saluer. Difficile pour nous d’échanger sur nos projets de vacances ; juillet avait beau être bien avancé, on on aurait aimé profiter des vacances scolaires pour partir une semaine à la mer ou à la montagne. Mais au vu de la situation, on se doutait que ça serait difficile pour Raph et Ju de nous suivre. On jeta un dernier coup d’oeil dans leur direction : leur grand-père posait une main réconfortante sur leurs épaules, ils remontaient l’allée du cimetière, le visage bouffi et les yeux rouges. Ce dernier nous informa qu’un repas se tenait après en petit comité, et que si nous le souhaitions, nous étions les bienvenus, mais maman refusa poliment, comme je m’y attendais. Asma et Florian acceptèrent après avoir demandé l’autorisation de leurs parents. Dans les faits, seul le père d’Asma était venu l’accompagner, tandis que Florian pouvait compter sur ses deux parents et son frère.

Avec Eliott, on ne s’attarda pas, nos parents nous hâtant de rentrer. Dans la voiture, je pris le temps d’envoyer un message à Julien pour lui proposer mon aide en cas de besoin, car au final, c’était tout ce que je pouvais lui offrir.

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