Prologue

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Octobre 2016, 8 mois après la Tragédie.

— Vous permettez que je fume ?

— Cela ne pourrait-il pas attendre la fin de notre séance ?

 Je la jaugeai un instant. Elle savait pertinemment que non, ça ne le pouvait pas. Elle soupira avant de céder à condition d'aérer la pièce. Malgré un mois d’octobre bien entamé, avec les températures allant de pair, je ne me fis pas prier, jouant avec la roulette de mon Zippo pour embraser le tube de tabac entre mes lèvres.

Bon Dieu, qu'elle fait du bien celle-là !

— Pouvons-nous reprendre ?

 J'acquiesçais. Je me réinstallais dans mon fauteuil, tandis que la psy me tendait un cendrier pour ne pas dégueulasser (ou cramer) sa moquette des années cinquante. Et dire que je détestais ce décor avant... Mais finalement, même le papier peint vieillot richement constellé de cadres en tout genre n'était pas si mal.

— Donc, vous vous sentez coupable de ne pas pouvoir intervenir quand vous voyez Lawrisia se faire harceler, résuma-t-elle.

 Je hochais la tête tout en tirant une taffe.

— Ces situations de harcèlement, vous y assistez souvent ?

— Au moins deux - trois fois par semaine, mais pour elle, c'est peut-être plus : je ne suis pas toujours à traîner à la fin des cours, alors Dieu sait ce qu'il se passe...

— C'est inquiétant en effet, approuva-t-elle en prenant des notes. Quand vous y assistez, que faites-vous ? C'est ce qui justifie vos bleus ?

— Non, ça, je les dois à Julien.

 Elle tiqua, nota à nouveau quelques mots qu'il m'était impossible à discerner.

— Pour vous répondre, j'attends. Je guette le moment où ils l'abandonnent pour l'aider autant que je peux, mais je me sens comme une merde. Ça me rend malade, j'ai envie de les retrouver et les fracasser un à un pour qu'ils lui foutent la paix, mais j'ai pas les couilles. À chaque fois, je me cache comme un lâche parce que je sais que ça ne fera qu'aggraver la situation, autant pour moi que pour elle. Et je suis là, comme un con, à attendre en croisant les doigts qu'elle se relève. Les trois quarts du temps, c'est le cas, mais parfois, elle est dans les vapes et je mets des plombes à la faire revenir. J'ai l'impression d'être aussi impuissant que l'année dernière...

 Je me racle la gorge, les yeux brûlants. Putain de poussière de merde.

— OK, et pour ce qui est de vos marques de coups, vous souhaitez en parler ?

 Je saisis sa perche avec désespoir. Les souvenirs commençaient à affluer, c'était dangereux. Avec un sourire empathique, elle me tendit la boîte de mouchoirs qui trônait sur la table basse qui nous séparait, ce qui me permit de dégager l'impureté imaginaire responsable de ces maudites larmes.

—Vous vous êtes encore battu avec Julien, pour quelles raisons ?

 J'en avais encore mal aux phalanges et à la mâchoire. Ce connard. Il ne l'avait pas volé son poing dans la gueule. Toujours le même sujet de discorde.

 Elle était jolie mine de rien, la doc. Très loin du cliché de la vieille chouette à lunettes, hochant simplement de la tête ou dont les paroles se limiteraient à "Hum hum, continuez. Bien, ça fera 110 euros s'il vous plaît. Ah non, je ne prends pas la carte". Oui, je parle en connaissance de cause.

 À l'inverse, la femme qui se tenait devant moi, malgré une quarantaine bien tassée et une coupe à la garçonne qui aurait pu lui donner un air sévère, irradiait de sympathie. Elle me sourit d'un air encourageant. De toute façon, elle le savait déjà plus ou moins pourquoi c'était parti en vrille. Après tout, c'est pour ce même motif que j'ai été contraint de la consulter. Je pris le temps d'inhaler mes deux dernières taffes et d'écraser mon mégot avant de répondre franchement :

― Il m'a provoqué en insinuant que tout ça, toute cette merde, cet enfer que je traverse, c'était entièrement à cause de moi. Comme si je ne le savais pas ! Ça m'a fait péter un câble. Je lui ai collé une bonne droite, ça m'a fait du bien.

 Le Docteur Hamilton est d'une patience à toute épreuve, c'est un trait que j'ai admiré dès notre premier entretien. Cette séance ne fit pas exception : elle annota encore quelques mots sur sa feuille volante sans se départir de son léger sourire en dépit de mon agacement.

― Est-ce que ça vous a fait du bien de le frapper ?

― Vous me demandez si je suis un dangereux psychopathe qui aime frapper les gens ou je rêve ?

 Ma remarque l'amusa. Elle reprit doucement :

― Je reformule : vous êtes-vous senti plus léger ou au moins soulagé après cette bagarre ?

― Si seulement... En fait, ça me soulage pendant : le fait de me défouler sur lui, ça me fait évacuer le trop-plein. Je n'arrive plus à supporter de voir sa gueule tous les jours, j'en fais des cauchemars à force. Mais en même temps, si je changeais de lycée, je perdrais ma raison de vivre - enfin ce qu'il en reste...

― Et quelle est votre raison de vivre, Monsieur Kimiko ?

― Me venger.

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