chapitre 12

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Cinq ans avaient passé. Enzo Agnesi dirigeait une entreprise dans le port de Livourne reconstruit. Il était un habitué de Cecina. En 1948, pour fêter ses quarante ans, Adelina y avait organisé une réception grandiose, plusieurs jours durant. C'est lors de ce séjour que le coup de foudre a frappé mes parents. Adelina a vu qu'ils n'osaient s'approcher l'un de l'autre. Elle les a encouragés, après avoir recueilli leurs confidences. Lui craignait de devoir l'affection de ma mère à sa reconnaissance, tandis qu'elle avait honte de leur différence de classe.

Les amoureux se sont installés, quelques mois après, dans la demeure ancestrale des Agnesi à Livourne où nous sommes nés tous les trois.

Pour Livourne, je savais évidemment. Lors de mes recherches après la mort de maman, j'avais même goûté l'ironie de la coïncidence : la ville avait été française jusqu’en 1860, comme Nice avait été momentanément italienne, son port était connu comme la citadelle juive de la péninsule, et elle avait essuyé des bombardements terribles en 1943. Mais à part le lieu de ma naissance, il m'avait manqué tout ce temps, entre le moment où ma mère avait disparu de Nice et ma cinquième année. "Lorsque nous sommes revenus à Nice". Le récit d'Adelina vient combler un vide.

Lors de ma prime enfance, elle et son comte de mari avaient été au coeur de notre famille. Nous passions tous nos dimanches à Cecina, fuyant le grand-père Agnesi, qui n’avait jamais accepté "la Française". Le patriarche pressait Enzo de se marier et de faire de nous de bons chrétiens. Enzo avait résisté, un temps. Puis il avait fallu m’inscrire à l’école. L’Institution Catholique allait de soi. Mes parents avaient commencé à se disputer sur des questions de religion, d’éducation, de choix de vie. Adelina avait assisté, impuissante, à la crispation de chacun d’eux sur des sujets qui auparavant leur importaient peu. Anna avait menacé de partir. Il l’avait retenue, mais lui fréquentait de plus en plus souvent sa garçonnière de Rome. Un jour qu’il était passé se plaindre de sa situation conjugale auprès d’Adelina, ma mère s’était persuadée, à tort, que leur liaison d’avant-guerre avait repris.

Ainsi, Adelina avait bien été la maîtresse de mon père. Si elle l'avait nié, elle aurait perdu tout crédit à mes yeux. Mais c'était avant maman, dit-elle.

Maman qui avait quitté Enzo et l’Italie, emportant, dans la voiture avec chauffeur qui nous "re"conduisait à Nice, un petit pécule qu’il l’avait forcée à accepter, et nous trois.

Je me redresse, le stylo me glisse des doigts.

Je revois la vieille dame, hier, assise droite sur l'inconfortable chaise en inox au coin de la pièce. A ce stade, je me souviens qu'elle a respiré profondément pour retrouver son sang-froid et poursuivre.

Le comte étant tombé malade, les Sanpierri avaient presque abandonné la villa de la plage. Enzo avait fait une dépression, puis avait entamé une carrière politique à Rome. Ils avaient entretenu l'espoir de notre retour. Puis le faire-part de décès de Marta leur était parvenu et ils s'étaient résignés. Jusqu'au jour où Anna avait envoyé Vincent en Italie.

Je n'ai pas réagi à cette assertion sur le moment, tellement le choc m'a assommée. Ce n'était pas possible, maman n'aurait pas fait cela. A l'époque, elle refusait qu'il aille même étudier à Paris. Adelina a vu mon trouble. Cependant elle a continué ses explications.

Après avoir pris le nom de famille de son père, Vincent s'était attaché à oublier ceux qu’il avait laissés derrière lui, quitte à dénigrer son ancienne vie. Seule Adelina avait deviné la souffrance qu’il cachait à tous, et en particulier à Enzo. Père et fils avaient travaillé à se mériter l'un l’autre. Ils avaient développé un contact viril et distant qu’ils avaient conservé jusqu’au décès d’Enzo, sans qu'elle puisse rien y faire. Alors elle avait tenté de combler le manque de présence féminine autour de Vincent, et quand celui-ci était devenu père à son tour, elle avait pris la place vacante de la grand-mère.

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