chapitre 13

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Et me voilà à mon tour en Italie. Avec comme injonction de rectifier l’histoire, en somme. Oh, rattraper les erreurs commises ! Oh, inverser le sort ! Oh, devenir la synthèse de ces destins contrariés ! C’est compter sans le mien, de destin, sans le mien, de secret… Quand bien même j’échapperais à mes démons, Vincent me tient, Mesdames Elizabeth et Adelina, mes anges gardiens autoproclamés ! Osera-t-il vous avouer la raison, la seule raison qui l’a poussé à me recueillir ? Pitié ? Charité chrétienne ? Foutaises ! C’est la peur… La peur de voir son nom sali, ses affaires et son destin politique, sur les traces de son papa vénéré, éclaboussés. Jamais il ne me permettra de sortir de sa « clinique », à Milan. Je suis sûre que c’est un de ces endroits où les femmes gênantes, jugées hystériques, sont soustraites au monde.

La rage monte, elle m’oppresse… Tout cela est injuste. C’est trop lourd pour moi. Et pourtant une voix encore indistincte me retient au bord des larmes, elle veut se frayer un chemin pour se faire entendre. Elle ressemble à celles qui m’envahissaient autrefois, après mes injections, quand un bonheur indicible m’emplissait et que l’Univers me semblait parfait, chaque chose et chaque personne à sa place, chaque préoccupation résolue. Soudain, je ressens le manque. Le Manque. Le même que pendant mes cures. Alors que je n’ai rien pris depuis des mois. La sueur m’inonde. Je m’allonge sur le dos et j’essaie de me calmer ainsi qu’on me l’a appris. Colère, frustration, incapacité à gérer, envie de fuir… Je me force à repousser les sentiments parasites. Un soupir, contraction des doigts de la main droite. Un soupir, contraction des orteils du pied droit. Un soupir… Je fais appel à la technique de relaxation du « tour de l’horloge ». Lentement, je me concentre sur les sollicitations légères que j’envoie à mes membres, l’un après l’autre, et sur ma respiration. Les battements cardiaques diminuent. Vers la fin du deuxième tour d’horloge, je m’endors. Quelques secondes. Juste assez pour savoir ce que je dois faire. Je l’entends distinctement : il faut forcer Vincent à plier tant que je représente encore une menace à ses yeux. Il a horreur des rapports de force. J’espère avoir gardé sur lui l’ascendant de nos jeunes années.

Dans le bureau des infirmières, captivées ailleurs par leur feuilleton quotidien, je consulte mon dossier. Je déniche un numéro d’urgence et le compose. La lenteur et le cliquetis des retours de cadran me mettent au supplice. Enfin, une hôtesse décroche. Je me présente, entends qu'elle couvre le combiné pour interpeller mon frère :

— Monsieur Agnesi ? Une mademoiselle Rugani de Piombino qui se réclame de la comtesse Sanpierri souhaiterait vous parler.

Il donne congé à la secrétaire et je perçois son souffle.

— Vincent ? (long silence en réponse) Je sais que tu veux te débarrasser de moi. (silence encore) Tu ne veux pas me parler ? (silence et sifflement de nez excédé) D’accord, alors écoute bien : je te promets que si tu me laisses tranquille, je ne dirais rien de ton rôle dans cette histoire. Personne ne saura que je suis ta sœur. Mais si tu tentes de m’enfermer, je jure de faire parvenir une confession intégrale aux plus grands magazines de ce pays. Tu peux me croire. Elle est déjà prête. Et cachée entre de bonnes mains.

Je raccroche. Pas très fière de ma prestation, qu’on aurait dite parodiée d’un dialogue de voyous à la Audiard… Pourvu, au moins, que je lui aie paru suffisamment convaincante.

Pourvu qu’il croie à mon bluff.

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