chapitre 4

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En début d’entretien, Elizabeth pose négligemment le carnet que je lui tends, telle une écolière en quête d’approbation. Je regrette aussitôt ma bassesse et réaffiche le masque de l’indifférence, mais déjà elle inaugure la séance de la même façon que toutes les fois précédentes : « Qu’avez-vous fait cette semaine ? ». Alors qu’elle m’arrache des réponses contraintes, je me retiens de fixer le carnet. Qu’elle m’interroge donc à propos de ce que j’ai noté  ! Je le redoute, mais je m’y suis préparée : j’ai prévu de lui répondre le plus sincèrement du monde, y compris si elle me demande des précisions sur mon père — pour ce que je connais de lui.

Alors que nous entrons dans le vif de la séance par la prévisible deuxième question : « Avez-vous envie de me parler de quelque chose de particulier ? », je n’y tiens plus et lui suggère de lire les trois pages que j’ai écrites.

Elle me fixe longuement, exactement comme ma maîtresse de CE2 lorsque j'émettais une remarque qu’elle estimait indigne de moi. Je ne baisse pas les yeux. La psy laisse échapper un soupir. J’en ressens une satisfaction disproportionnée : c’est la première réaction, même si elle est d’exaspération, que je provoque délibérément depuis si longtemps… En bonne praticienne, derrière son bureau, elle entreprend de me répéter le protocole concernant l’utilisation qu’elle fera de ce carnet. Nous commencerons à nous en entretenir dès la semaine suivante. Son ton docte, peut-être, ou la force que m’a procurée cette première petite victoire, celle du soupir, font ressurgir ma tendance rebelle. Je me lève et frime :

— Nous en avons donc fini pour aujourd’hui ? Vous voudrez bien alors m’indiquer mon travail pour la semaine prochaine ?

Le rictus malheureux qui s’empare de son visage, avant qu’elle ne s'efforce de retrouver sa posture neutre, me révèle plus que des mots à quel point ma fanfaronnade s'avère dérisoire. Pour la première fois, elle utilise mon nom de famille, que je croyais enterré dans les dossiers confidentiels de l’établissement :

— Mademoiselle Rugani, je dois vous rappeler que vous êtes soumise à une obligation de soins. Même si ceux-ci ont été externalisés sur autorisation de votre frère. Qui est comme vous le savez votre responsable légal.

Mortifiée, je renverse la chaise, attrape mon chapeau à la patère et claque la porte derrière moi. Je sens qu’elle surveille, depuis sa fenêtre, que je monte bien dans la voiture d'Adelina. Je m’y engouffre sans un mot. La mâchoire serrée, l’attention concentrée au-delà du pare-brise, je décourage tout échange. La conductrice démarre. Alors qu’elle quitte la voie rapide à quelques kilomètres de chez elle, je lui demande d’une voix blanche :

— Qu’est-ce que je fais ici ? Maman vous a rejetés, je vous ai rejetés. Je vous déteste, mon père, toi et Vincent.

Adelina se met à trembler, puis à respirer bruyamment. Elle se déporte soudain pour engager la calandre chromée dans les cailloux et le sable d’une pinède. La voiture frôle un arbre, butte contre une racine, s’immobilise dans un cahot au moment où la vieille femme fond en sanglots. Je lui assène un : « Je rentre à pied » avant de l’abandonner effondrée sur son volant. Et de courir m’enfermer dans ma chambre.

Je confesse avoir dormi tout mon saoul pendant plus de quinze heures, sans l’aide d’aucun whisky. Pendant ce temps Massimo, inquiet de ne pas voir revenir la comtesse derrière moi, mais trop discret pour venir solliciter des explications, la découvrait à l’endroit même où nous nous étions ensablées. Il commandait une dépanneuse ainsi qu’un taxi pour la ramener à Florence.

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