L'envol

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En ce jour, Ignis Meredith Buckley, dite Meri, a eu onze ans.

Sa mère ne lui avait probablement pas préparé de gâteau d'anniversaire, dédiant l'essentiel de son temps à Lorianna, mais elle s'en moquait.

Nous étions le premier septembre 1990. Il faisait exceptionnellement chaud par rapport aux étés précédents, et Meri avait mis la robe en soie blanche que lui avait offerte sa grand-mère Lilianne à Noël. C'était la première fois qu'elle portait ce vêtement et, à en croire la voisine, il lui allait à ravir.

"Tu ne devrais pas t'habiller en clair. Tu risques de te tacher", avait sèchement déclaré sa mère. Mais une fois de plus, la petite fille avait été trop obstinée et l'adulte avait fini par céder.

C'était là le principal défaut d'Ignis "Meri" Buckley : elle ne savait pas battre en retraite. Dès que quelque chose attirait sa curiosité ou son attention, il fallait que la gamine l'obtienne. Ce trait de caractère lui avait à plusieurs reprises porté préjudice, comme pouvait en attester ce maudit chandail qui devait sûrement être en train de pourrir dans une décharge à cet instant-même.

Ce n'était pas faute d'avoir tenté de se corriger, pourtant, mais Meri n'était qu'une misérable gosse. Elle n'aurait rien pu faire pour changer la course des choses, se reprochant des tragédies dont elle n'était pas responsable, et ne pouvait pas même compter sur l'appui de sa génitrice.

*****

Meredith Sonia Buckley, née Fausset, était d'origine française. Elle avait vécu à Paris et n'avait jamais quitté la capitale jusqu'à ses trente ans, lorsqu'elle remporta un séjour au Royaume-Uni dans un magazine de jardinage. Elle tomba amoureuse par deux fois : déjà, de l'Angleterre, puis d'un beau barman du nom de Dorian Buckley. Ils s'installèrent ensemble quelques mois plus tard, dans un quartier calme de Londres, et se marièrent dans la foulée.

Meredith avait depuis toujours souhaité avoir une fille. A sa naissance, elle s'exclama vouloir l'appeler Ignis, premier nom qui lui passa par la tête.

"Soit, va pour Ignis", avait rétorqué la sage-femme en haussant les épaules, comme s'il lui appartenait de juger la décision ainsi prise.

Meredith déchanta bien vite quant aux joies de devenir mère. Elle, qui avait précédemment juré d'apporter à son futur enfant tout l'amour du monde, se montrait d'une incroyable froideur. Du moins, c'est ainsi que le ressentait le bébé. On dit qu'un nouveau-né peut facilement distinguer les bonnes des mauvaises personnes, et ce ne fut certainement pas un hasard si la réaction instinctive du nourrisson en voyant sa procréatrice pour la première fois fut d'éclater en sanglots.

*****

La petite fille pleura quand le chat de Miss Pastry fit le tour du pâté de maisons avec une mésange agonisante dans sa gueule entrouverte. Ses crocs luisaient tandis que le fauve exhibait fièrement son trophée de chasse. Elle chassa l'animal avec une rage sans borne qui ne lui ressemblait guère, le menaçant de son poing serré. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine et elle dû se stopper pour reprendre son souffle. Elle se trouvait au milieu de la route quand ses jambes ne supportèrent plus son poids. Elle, qui ne pouvait quasiment pas sortir de chez elle, était affalée sur la chaussée dans sa belle robe immaculée.

Quelle idiote elle faisait : piquer ainsi une crise au lieu de profiter de cette journée pour s'amuser. Les anniversaires, c'est fait pour rire, non pour pleurer comme une gamine !

Mais où qu'elle regardait, Meri ne voyait plus que cet horrible matou et la dépouille de sa victime.

Où qu'elle regardait, elle se voyait elle, terrifiée et prise au piège.

Elle en arriva à l'effroyable conclusion qu'elle était un oiseau qui n'avait jamais appris à voler. Un oiseau qui allait devoir choisir entre sortir de sa cage au risque d'affronter une armée de chats aux griffes acérées et rester à jamais dans sa cellule.

Elle regarda d'un air nostalgique la maison qui l'avait si longtemps prise en otage et se redressa malgré la douleur.

En ce jour, Ignis Meredith Buckley, dite Meri, a eu onze ans.

Et elle avait choisi la liberté.

Elle avait choisi le danger.

Elle avait choisi la vie.

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