Hirondelle

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S'envoler.

C'était le plus cher désir de Meri.

Ne plus avoir à supporter le terrible poids de l'amertume et de la souffrance.

Ne faire plus qu'un avec elle-même, enfin.

Oublier son chagrin.

Oublier qu'en dépit des faits, tout était de sa faute.

Qu'elle n'avait pas été là pour son père.

Qu'elle n'avait rien fait.

Elle n'avait même pas bougé le petit doigt pour le sauver, trop occupée à jouer aux petits chevaux avec Marianne.

Et il y avait ce chandail. Ce stupide chandail jaune pisse ! Sa mère lui avait pourtant maintes fois répété de ne pas porter cette couleur en hiver car cela portait malheur. D'où elle la tenait, cette superstition à deux balles, au fait ? Sûrement de sa grand-tante Jeannette, ou de la folle du quartier Miss Pastry.

Enfin... Cela n'avait pas la moindre importance. Parce que, dans son entêtement, la gosse avait désobéi. Elle avait attendu que son père emmenât Meredith à l'hôpital le plus proche pour se ruer dans son placard telle une furie.

"Qu'est-ce que c'est que tout ce chambardement ? avait interrogé Marianne, la babysitter aux seins siliconés.

-Je me change.

- Mais tu es déjà en pyjama, Mari.

- C'est Meri, avait rétorqué la gamine avec une adorable moue. Et puis, j'ai froid. J'ai envie de mettre un pull."

L'autre avait par la suite haussé un sourcil et fait éclater la bulle du chewing-gum qu'elle mâchait depuis une heure.

Et voilà comment elle avait probablement tué son propre père : avec un pull-over de merde au ton délavé ! Si elle n'avait pas autant insisté, aveuglée par son éternel besoin d'avoir le dernier mot, Dorian serait peut-être là avec elle aujourd'hui. Il la prendrait dans ses bras protecteurs et la ferait tournoyer dans les airs comme quand elle avait cinq ans, il la couvrirait de baisers et lui conterait des histoires, il...

Mais c'était trop tard. Dorian Adrian Buckley était parti pour toujours dans des contrées lointaines, et n'en reviendrait pas.

Meri était toute seule. Et elle avait beau paraître forte pour son jeune âge, cette solitude constante la rongeait de l'intérieur, comme les vers rongent la chair en putréfaction des cadavres.

S'envoler. Comme ça serait merveilleux, songeait la môme en contemplant le ciel au dehors.

Une hirondelle venait justement de se poser sur la clôture en face.

Si seulement, j'étais cette hirondelle... Je volerais jusqu'où bon me semble, sans regarder derrière moi, sans personne pour me retenir. Peut-être que je croiserais d'autres enfants comme moi, perdus, condamnés à errer dans un monde qui ne veut pas d'eux. Peut-être me ferais-je des amis, qui sait ?

Meri avait grandi prématurément, sans même s'en rendre compte. Elle n'en avait pas conscience, mais son esprit était déjà celui d'une grande personne pleine d'ambition animée d'un profond désir de vengeance.

*****

L'Homme fit un pas en avant, riant à en perdre haleine sous son effroyable masque. Comme chaque fois, il la dominait de toute sa hauteur et, ignorant les sanglots déchirants, s'agenouillait à son niveau.

La phrase qu'il murmurait ensuite résonnait dans l'obscurité en un sinistre écho, et c'est là qu'elle se retrouvait soulevée de terre par une force sans pareille. Et, conformément à ses attentes, son père accourait pour la sauver des griffes du Monstre.

"Meri, cours !", criait-il, mais déjà sa voix se perdait dans les ténèbres. Et elle, restait figée sur place comme une statue dans le marbre, incapable du moindre geste.

C'était toujours à ce moment précis que l'enfant se réveillait. Toutes les nuits, elle faisait ce même cauchemar, toutes les nuits, elle voyait cet Homme sourire -oui, elle distinguait nettement son affreux rictus- derrière son masque diabolique.

"Papa ! Non !"

Le cœur prêt à exploser, Meri se redressa d'un coup, faisant au passage craquer les ressorts de son lit. La couverture rose bonbon que sa mère venait de repasser -"Je devrais m'occuper de ta sœur plutôt que de faire ton linge, Meri ; regarde le temps que je perds"- avaient pris une étrange teinte jaunâtre. Un frisson glacial parcourut le corps de la fillette, qui fondit aussitôt en larmes.

Je vous présente Ignis Meredith Buckley, dite Meri. Onze ans dans quelques heures, et ça fait encore pipi au lit comme un vulgaire bambin !

Dans les moments comme celui-ci, Meri avait vraiment envie de se gifler. Comment pouvait-elle se montrer si fragile, si empotée, si... faible ? Si peu digne de son père ?

Elle laissa échapper un long soupir où se mêlèrent regret et désolation, avant de tourner son regard vers le plafond. "Je suis désolée, Papa..."

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