13. Fuite

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 Lorsque les pas s’arrêtent devant leur porte et que quelqu’un essaye d’actionner la serrure, Robin serre Nathalie contre lui. Il cherche une issue, son esprit tourne à plein. Il prend la main de sa femme et l’entraîne dans la salle de bain, ouvre la fenêtre. En bas, la cour est noire et silencieuse. Un tuyau de gouttière descend le long du mur. Robin enjambe le châssis et s’agrippe à la canalisation, elle semble suffisamment solide pour supporter son poids.

 Ils échangent un regard, se demandent s’ils doivent fuir. Au moment où ils vont se raviser, un choc violent sur la porte de leur chambre remporte la décision. Robin se laisse glisser. À peine a-t-il atteint le sol, que Nathalie le rejoint, il l’accueille dans ses bras. Le froid de la nuit et l’urgence de la situation les assaillent. Ils se précipitent vers la sortie alors que de lourdes silhouettes se dessinent à la lueur des torches par la fenêtre dont ils viennent de sauter.

 La rue est déserte, de loin vers l’intérieur des terres, des chants leur parviennent.

 Ils se serrent l’un contre l’autre, se blottissent. Aucun doute n’est possible, la fuite semble la meilleure option. Ils contournent les bâtiments, cherchent le parking de l’hôtel. Des hommes entourent leur voiture. Armés de flambeaux, ils scrutent les ruelles adjacentes. Nathalie entraîne Robin sous l’ombre d’un porche et dès que leurs poursuivants ont détourné le regard, ils se lancent, direction la sortie du village.

 Rien n’éclaire le défilé au milieu des maisons aveuglées par des volets clos. Ils avancent. Se rapprochant de l’origine de la mélopée, cette rumeur primitive les repousse et les attire à la fois. C’est la seule voie qu’ils connaissent, derrière eux ils entendent les cris de leurs chasseurs qui coordonnent leur poursuite. Ils foncent, s’essoufflent en courant oubliant leur crainte dans le flot d’adrénaline qui les submerge et les propulsent en avant, loin de ce cauchemar et de ses habitants visqueux.

 Devant, la place de l’église, éclairée par les lueurs des torches qui se reflètent sur les pierres. Derrière, le bruit de course de leurs poursuivants. Robin saisit la main de Nathalie et l’attire dans une rue latérale qui escalade le flanc de la valleuse, puis bifurque vers la sortie de la ville. Elle débouche finalement sur le côté droit de l’édifice. Devant celui-ci, les villageois se sont donné rendez-vous. Les filets de pêche ont été vidés en deux énormes tas distincts de part et d’autre de l’esplanade. Un homme courtaud en soutane noire harangue la foule dans une langue inconnue qui rappelle par ses accents les chants que psalmodient ses fidèles.

 L’abbé termine son discours et lève au ciel une main armée d’un trident, en criant de toute sa voix. Une femme sort de la foule, elle se dévêt de sa robe pour dévoiler un corps difforme. Ses yeux trop gros et trop écartés semblent exorbités, sa bouche fend son visage grossier d’une oreille à l’autre dans un cri de jouissance extatique alors qu’elle se jette, nue dans l’amas de poissons le plus proche d’elle. Elle est aussitôt suivie par d’autres, tandis que des hommes commencent à livrer leur semence sur le tas qui leur est réservé.

 Pris de frayeur et de dégoût, Nathalie et Robin hésitent, ils entendent leurs poursuivants derrière eux. Ils seront bientôt pris. Ils se regardent, se comprennent et partent en courant. Ne domine qu’une seule idée, fuir ce cauchemar, détaler comme des lapins devant cette folie. Échapper au sort que semble leur promettre cette ville maudite.

 Dans leur dos, les pas s’arrêtent. Robin se hasarde à jeter un œil en arrière et aperçoit l’aubergiste qui se joint à l’orgie contre nature à laquelle se livrent les villageois.

 Les dernières maisons du village laissent place à la forêt, envahie par une brume épaisse. À bout de souffle, les deux jeunes gens ralentissent, passant au trot puis à la marche en quelques dizaines de mètres.

 Ils commencent par l’entendre, un bruit rauque de moteur mal réglé qui dévale la route dans leur direction. Puis ils voient deux phares jaunes à une vingtaine de mètres. L’espoir et la peur leur donnent un dernier élan, ils courent vers la lumière.

 Le véhicule freine brusquement lorsque le conducteur les aperçoit dans la nappe de brouillard, les freins et les pneus crissent sous la violence du ralentissement, la voiture dérape et s’arrête finalement à deux pas d’eux, en travers de la chaussée.

 Nathalie tambourine à la fenêtre. À l’intérieur, un jeune homme aux cheveux long, l’air ahuri, la regarde sans réagir.

 — Aidez-nous ! crie Nathalie.

 — Emmenez-nous loin d’ici ! Crie Robin en ouvrant la porte arrière.

 Nathalie se précipite à l’arrière et se jette sur le siège, Robin la bouscule en entrant.

 — Démarrez, il ne faut pas qu’ils nous rattrapent.

 — Que… quoi, balbutie le conducteur.

 — Foncez !

 Machinalement, le jeune homme tourne sa clef dans le Neiman. Du capot leur parvient le sifflement émis par un démarreur fatigué. Sur leur gauche, ils aperçoivent les flammes tremblantes des troches qui se rapprochent.

 — Démarrez ! hurle Nathalie.

 La plainte stridente du démarreur retentit, puis les hoquets hésitants du moteur qui se met en marche, le choc brutal que l’on ressent lorsqu’on démarre avec une vitesse enclenchée. La voiture cale. Le conducteur passe le point mort puis tourne à nouveau la clef. Les torches ne sont plus qu’à une dizaine de mètres, éclairant les corps nus et difformes des habitants, leurs yeux ronds et sans expression brillent dans la nuit.

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