Chapitre 6 : Le virtuose ne sert pas la musique, il s'en sert

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Esther inspira longuement l'air frais chargé du parfum des fleurs aux alentours avant rejoindre Ethan à petites foulées qui l'attendait déjà de l'autre côté du parc mitoyen.
— Je croyais que tu étais pressée de sortir, lui fit-il remarquer en poussant le portail de fer qui donnait sur la rue pavée.
— Certes, mais je prends tout de même le temps de profiter de ce qui m'entoure.
— Tu sais qui d'autre renifle l'air ? Les chiens.
— Tu sais qui d'autre foule le sol de votre belle planète ? Les vers de terre. Tu en as d'autres des comparaisons comme ça, souffla t-elle en le dépassant légèrement excédée.

Pour seule réponse le jeune homme éclata d'un rire clair avant de la rejoindre sur le trottoir.
— Nous commencerons par le centre commercial puis je suppose que le temps d'achter le nécessaire il sera déjà midi alors nous irons ensuite chercher à manger, expliqua t-il en s'asseyant sur un banc tout en prenant soin de vérifier l'heure sur son téléphone.
— Et bien allons-y ! Pourquoi tu prends racine ?
— On va y aller avec les transports en commun ça ira plus vite. Comme je suis à peu près sûr que tu vas me demander ce que c'est, sache que ce sont des véhicules motorisés mis gratuitement à notre disposition.
— Très bien, je te fais confiance, déclara t-elle en prenant place à côté de lui.

Quelques minutes plus tard, le bus s'arrêta sous le regard émerveillé de Esther qui ne pouvait s'empêcher de fixer ses énormes roues. Lorsqu'elle s'engouffra à l'intérieur, elle fut accueilli par une ribambelle de regards intrigués auxquels elle ne prêta pas plus d'attention, comme le lui avait suggéré Ethan. Alors qu'elle cherchait une place assise de libre, le véhicule démarra brusquement ce qui la projeta contre le dos du jeune homme qui se tenait déjà à une poignée en hauteur.
— Ça va, demanda t-il en la voyant se frotter frénétiquement le nez en fronçant les sourcils.
— Oui oui.
Le bus était bondé et les hanses qui permettaient aux passagers de ne pas tomber étaient toutes indisponibles, la jeune divinité se rabattit donc sur le bras de Ethan comme poignée pour se tenir.
— Ça sent légèrement mauvais ici, lui chuchota t-elle à l'oreille en fixant avec dégoût les auréoles de sueur sous certaines aisselles.
— Ne t'inquiète pas, le voyage ne va pas duré longtemps, la rassura t-il en riant sous cape.

Quelques arrêts plus tard, le bus s'arrêta devant un immense bâtiment fait de verre. Esther était subjuguée par la hauteur de celui-ci et les écrans géants qui le recouvraient entièrement sur lesquels défilaient toutes sortes d'images qui n'avaient pas grand sens entre elles.
— Pourquoi avoir mis pleins de télés sur la façade ?
— Pour diffuser de la publicité. Je n'y vois aucun autre intérêt.
— Quel gaspillage...
Il haussa les épaules avant de reprendre le chemin de l'entrée du centre commercial.

La lumière l'aveugla presque lorsqu'elle passa les portes automatiques. Partout des éclairages, du bruit et de l'agitation. Comment les humains faisaient-ils pour vivre dans des environnements aussi stressants ? Finalement, elle commença presque à regretter d'avoir fait pression sur Ethan pour venir.
— Donc il te faudrait une brosse à dent et peut-être aussi une brosse à cheveux, l'informa-il en fixant sa tignasse complètement en désordre.
— Hum, répondit-elle distraitement, le regard ancré sur la vitrine d'une pâtisserie.
— On mangera plus tard...
— Oui oui ! Allons chercher tout ça.

Le reste de la matinée, le duo arpenta tout le supermarché à la recherche de provisions. Leur petite mission était ponctuée par les réactions sidérées de Esther sur la découverte de certains produits humains qu'elle qualifiait "d'inutiles" ou "superficiels". Après avoir payé le tout, ils se rendirent dans une sandwicherie pour se ressourcer.
— C'était vraiment amusant, déclara Esther en croquant à pleines dents dans son hamburger.
— Tu trouves ? Pourtant nous n'avons pas fait grand chose.
— Pour toi peut-être mais sache que moi je ne connais rien de tout ça. Imagine découvrir quelque chose d'aussi immense pour la première fois.
— Je suppose que j'avais dû avoir les mêmes réactions lorsque j'étais plus jeune.
— Pour moi tu es toujours "plus jeune", ponctua t-elle en mimant les guillemets avec ses doigts.
— Même le plus vieux des hommes aurait l'image d'un nourrisson à tes yeux.
— Couvert de rides ? Je n'en suis pas sûre. Enfin ! Qu'est ce qu'il y aurait d'autre d'amusant à faire par ici, demanda t-elle en balayant du regard les alentours.
— Et bien nous pourrions...
— Un piano, s'écria t-elle presque en se levant brusquement de son siège en coupant le jeune homme, tu crois que je pourrais en jouer ?
— Bien sûr, il est mis gratuitement à la disposition des clients. Mais, tu sais en jouer ?
— Crois moi, en cent ans, j'ai eu le temps d'apprendre, déclara t-elle en faisant craquer ses phalanges.
— Tu n'étais pas un renard avant ?
— Si et je le suis toujours.
— Mais avec quoi tu jouais exactement dans ce cas ?
— Mes coussinets et mes queues.
— Ah. C'est possible ça ?
— Fais moi confiance, le rassura t-elle en esquissant un sourire en coin, sûre de sa personne.

Elle s'empressa d'aller s'asseoir sur le petit tabouret en velours puis ferma les yeux un court instant pour réfléchir au morceau qu'elle allait interpréter en posant le bout de ses doigts sur les touches blanches. Lorsqu'elle les rouvrit, la jeune divinité entama La Campanella de Liszt sous le regard médusé de Ethan qui s'était accoudé au piano. Ce qu'elle réalisait était une prouesse inimaginable pour quelqu'un d'apparence si jeune, même pour un prodigue. Ce morceau requérait de grandes mains ce qui n'était pas son cas mais ses doigts sautaient d'une note à l'autre avec une vitesse impressionnante alors même que cela ne semblait lui demander aucun effort.

Très vite, une foule s'amassa autour du piano telle des papillons de nuit virevoltant autour d'un réverbère. Elle ne prenait même pas cet exercice complexe au sérieux mais cette désinvolture ne frappait les yeux que des spectateurs à qui cette étrange jeune fille à la chevelure immaculée était inconnue. Ethan ne voyait là qu'une expression de sa fierté, et cela se confirma lorsqu'il rencontra son regard ou l'ambivalence de ses sentiments entre l'orgueil et la candeur animaient ses deux prunelles noir charbon. La jeune divinité souriait tout simplement avec toujours cette espièglerie au coin des lèvres et riait parfois même en constatant les expressions décomposés de la plupart des personnes qui composaient son public. Lorsqu'elle frappa le dernier accord, il y eu un instant de silence avant que des applaudissements retentissent.

La jeune divinité se leva puis se courba pour saluer son auditoire avant de rejoindre Ethan.
— Alors qu'est ce que tu en dis ? Impressionné hein ?
— Certes mais je crois que nous devrions vite déguerpir.
— Quoi ? Mais...
Elle n'eut pas le temps de rajouter quoi que ce soit que le jeune homme lui empoigna le bras avant se mettre à courir. Après avoir jouer de ses coudes au milieu de la foule et s'être assuré d'avoir parcouru une distance raisonnable, il s'arrêta enfin à une centaine de mètres environ de l'instrument à cordes.

— Pourquoi on s'est enfui, demanda t-elle sèchement en retirant son bras de l'emprise de sa main.
— Tu n'es vraiment pas très consciencieuse. Ce n'est pas très responsable de faire preuve de tes talents divins devant des hommes. Qui sait ce qui aurait pu arriver ou les soupçons qu'ils auraient pu avoir.
— Je...
La mention de ces deux adjectifs pour la qualifier lui refroidit rapidement l'esprit. Elle baissa les yeux en se mordant les lèvres de frustration. Il avait raison, bien sûr, mais ses reproches ainsi formulées lui rappelaient celles qu'on lui faisait au Domaine des dieux. Irresponsable, inconsciente, idiote, bornée, incompétente, incapable... En un instant, le même sentiment désagréable qu'elle avait éprouvé sous la pluie la veille lui saisit les entrailles.

Inquiété par son air grave, Ethan s'accroupit pour essayer de rencontrer son regard dissimulé sous quelques unes de ces mèches blanches.
— Tout va bien ? Excuse moi, je ne voulais pas te brusquer.
— Ce n'est rien, répondit-elle à voix basse en lui donnant une pichenette sur le front, je sais bien que tu ne pensais pas à mal. C'est plutôt à moi de m'excuser.
— Tu n'as rien à te reprocher. J'aurai dû réagir plus tôt.
— Pourquoi tu ne l'as pas fait dans ce cas ?
— Et bien parce que j'admets avoir été fasciné par ta musique.

Elle retrouva son sourire espiègle puis releva les yeux vers lui en affichant une expression faussement outrée.
— Vil flatteur. Ne pense pas t'accorder mes faveurs avec ce genre de méthodes.
— Je te préfère avec ce sourire moqueur sur le visage.
— Moi aussi.
— Enfin, allons nous acheter des milkshakes pour se remettre de cette course.
— Je te suis, rien que le nom m'a l'air tout à fait délicieux.

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