Chapitre 3 : Les rêves sont la nourriture des dieux

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La fenêtre était légèrement entrouverte, on entendait encore la pluie clapoter sur le sol, même si de manière bien moins abondante que quelques heures auparavant. Une douce odeur d'humidité mêlée à celle du fer rouillé flottait dans la pièce. Elle décida de l'assimiler à l'orage étant donné qu'elle n'avait jamais rien senti de tel avant de voir l'eau tomber du ciel.

Éternelle curieuse, Esther se mit tranquillement à arpenter la chambre dans ses moindres recoins le plus discrètement possible afin de ne pas réveiller son hôte qui s'enfonçait de plus en plus sur sa petite chaise. Qui sait, peut-être allait-elle encore trouver quelque chose à se mettre sous la dent ? Alors qu'elle se dirigeait vers le bureau jonc, une délicieuse odeur sucrée vint chatouiller ses narines et son ventre se mit immédiatement à gargouiller. Afin de découvrir la source de ce captivant parfum qui chatouillait ses nerfs olfactifs, Esther sortit de la chambre pour se diriger vers la cuisine.

Elle eut le plaisir de découvrir une pile de pancakes encore chauds, recouverts d'un liquide brun. Sans plus attendre, Esther se jeta sur l'élément le plus haut de la tour pour l'engloutir en moins de quelques secondes. Alors qu'elle allait en enfourner un nouveau dans sa bouche, espérant réduire cette horrible sensation de fringale, un toussotement l'arrêta dans son élan. Lentement, elle tourna sa tête vers la porte contre laquelle était appuyé le jeune homme qui dormait précédemment dans la chambre et qui affichait une expression on ne peut plus neutre si l'on ne relevait pas son haussement de sourcil consterné.

Prise en flagrant délit de gourmandise, Esther referma lentement sa bouche puis reposa l'objet du délit dans l'assiette. S'en suivit un long silence légèrement gênant au cours duquel chacun se jaugeait du regard. Ennuyée par ce profond mutisme, Esther prit la parole.
— Veuillez m'excuser, j'étais... Particulièrement affamée, avoua t-elle en continuant de le fixer, pas plus embarrassée que ça.
Il poussa un long soupir en levant les yeux au ciel, se dirigea vers un tiroir, en sortit une fourchette et un couteau puis les tendit à la jeune fille.
— Ce sera plus facile avec ça, déclara t-il en lui tendant les fameux couverts avant de plaquer sa main devant sa bouche pour camoufler un bâillement.
— Merci beaucoup... Et, merci pour le riz aussi. J'apprécie votre sollicitude.
Un peu consternée par sa réaction mais néanmoins agréablement surprise, elle continua de déguster sous le regard sidéré de son hôte qui se demandait comment une chose si petite pouvait engloutir autant de nourriture.
— Ça fait combien de temps que tu n'as rien mangé ?
— Le tutoiement est de rigueur ici ? C'est... Étonnant. Elle marqua une courte pause en levant les yeux au ciel avant d'esquisser un petit sourire en coin et de rependre.

— Qu'est ce que c'est agréable un langage informel ! Sinon je dirai une dizaine d'heures.
Ne se souciant pas de son attitude quelque peu étrange, il enchaîna rapidement sur une autre question.
— Et tu comptes me dire ton prénom ?
— Bien sûr ! Oh excusez moi j'étais tellement obnubilée par cette l'idée de manger que j'en ai perdu mes principes de bienséance. Je me nomme Esther et... Toi ?
— Ethan.
— Et bien, enchantée Ethan et encore merci. Au fait, comment s'appellent ces choses ? C'est vraiment excellent, si moelleux... Et ce sirop ! C'est tout bonnement excellent !
— C'est des pancakes avec du sirop d'érable. Tu ne connaissais vraiment pas ?
— Je dois dire que non mais j'aurais aimé ! Comme quoi même après tout ce temps il m'en reste des choses à découvrir... En tout cas si elles sont aussi délicieuses je sens que je vais m'amuser !

Plus les secondes s'écoulaient, moins le jeune homme ne savait quoi penser de ce cas singulier. Tout portait à croire qu'elle était une simple enfant des rues, pourtant, son langage était comparable à celui d'un personnage du siècle dernier, ses cheveux revêtaient un blanc éclatant et elle ne semblait pas le moins du monde venir d'un milieu miséreux. En l'inspectant plus en détail, il s'attarda sur ses mains. Petites avec de longs doigts filandreux, banales en soi. Cependant, c'est ses ongles pointus semblables à des griffes de félin qui retinrent son attention. Rien de quelconque donc. Se prenait-elle pour un animal ? En tout cas, elle en donnait l'impression avec sa tignasse en désordre et remplie d'épis, ses oreilles légèrement pointus, ses canines apparentes et ses pupilles étroites. Un chat personnifié, voilà l'image qu'il en avait. Cependant, il ne lui en tint pas rigueur, se remémorant l'état dans lequel il l'avait trouvé, c'est-à-dire, encore plus pâle qu'elle ne l'était déjà, trempée, tremblant comme un oisillon tombé du nid.

— Tu n'as pas faim ?
— Non pas tellement.
— Je me sentirais mal de manger seule... Tu devrais quand même en prendre au moins un, du sucre ne te ferait pas de mal, tu es épuisé.
Esther tira la chaise à côté d'elle en tapotant l'assise du bout des doigts pour le convier à prendre place. Dans un soupir, il s'assit avant de saisir un pancake.
— Est-ce que tu pourrais me donner le numéro de tes parents ?
Esther se retourna vivement vers lui pantoise. De quoi parlait-il... Un numéro ? Une sorte de matricule ? Face à son expression déconcertée, le jeune homme en vint à se demander si sa question était intelligible.
— Un numéro de téléphone. Tes parents vont être inquiets je pense si tu ne les rassure pas.
— Alors... Pour ce qui est de mes géniteurs, crois moi, je suis bien la dernière chose qui pourrait les inquiétez et... Un téléphone, qu'est ce que c'est au juste ?
— Attends, tu rigoles là pas vrai ?
Elle secoua la tête en signe de négation en esquissant un sourire contrit.

Pour la énième fois, Ethan poussa un long soupir, mais cette fois-ci, le sourire aux lèvres. Il sortit son portable d'une poche de son sweat, le déverrouilla puis le lui tendit. Elle le saisit à deux mains, précautionneusement, comme si il s'agissait d'un objet précieux taillé dans du verre.
— Mais c'est de la magie, s'extasia t-elle les yeux plein d'étoiles.
— Alors, pas exactement...
— Je croyais qu'il n'y en avait pas ici... Ils m'auraient menti ? Encore ?
Elle baissa la tête et son regard s'assombrit.
— Même absents, j'ai l'impression qu'ils se paient encore ma tête... Enfin bref ! Quelle sorte de magie pratiquez-vous ici avec ce gadget ?

Prise dans l'euphorie de la découverte et légèrement gonflée d'orgueil, elle reposa ses couverts sur la table, rapprocha son visage de celui de son hôte, assez pour le mette mal à l'aise, puis posa délicatement son index et son majeur sur son front.
— Qu'est ce que tu fais au juste ?
— Ne bouge pas, tu iras mieux dans quelques secondes.
Une douce chaleur l'envahit brusquement puis c'est comme si sa fatigue s'était envolée. Elle retira ses doigts puis le gratifia d'un sourire en coin, plutôt fière de son tour de passe-passe.
— Je pratique aussi la métamorphose et quelques autres petites bricoles. La guérison n'est pas mon point fort cependant mais il semblerait qu'ici, un rien puisse revigorer les êtres vivants. C'est comme si... Comme si... Comme si...

Réalisant soudainement l'inconscience de son acte, elle releva lentement le regard vers Ethan qui la considérait avec de grands yeux ronds, même si plus ébahi qu'effrayé en effleurant son front du bout des doigts.
— Comme si vous n'aviez jamais été confronté au fluide magique... Oh je vois... On peut dire que j'ai fait une gaffe hein ? Bon écoute, il fallait bien que ça arrive à un moment donc autant ne pas retarder l'inévitable. De toute manière avec mon caractère je n'aurais pas pu garder le secret bien longtemps.
— De... De quoi ?
— Enfin... Je devrais peut-être mieux te montrer.

Elle passa sa main derrière son cou puis défit lentement le nœud du ruban de satin qui retenait la stabilité de son apparence. Une fois délié, il n'eut pas fallut plus d'une seconde pour que deux grandes oreilles de renard émergent sur le sommet de son crâne pour remplacer ses anciens membres humains dont l'ouïe était infiniment moins développé et qu'une touffe de flammes blanches lui pousse sur le bas du dos.
— Mon dieu que c'était inconfortable, lâcha t-elle en se frottant frénétiquement le postérieur.

Alors que ses pupilles reprenaient leur couleur rouge sang originelle, les yeux d'Ethan, eux s'écarquillaient de plus en plus. Rêvait-il ? Il se pinça le bras pour s'en assurer mais il n'en était rien.
— Je suppose que tu ne vois pas ça tous les jours. Tu pourrais tout de même arrêter de me fixer ainsi ? C'est un peu intimidant.
À l'image d'un chat, elle inclina légèrement la tête à droite en attente d'une réponse. Malgré le caractère improbable de la situation, il ne put s'empêcher de trouver ce geste adorable mais se ravisa vite.
— Tu es quoi au juste en fait ?
— Qu'est ce que je suis ? Qui est-ce que je suis tu veux dire ! Tu as devant toi une divinité jeune humain, annonça t-elle en bombant fièrement le torse.
— Jeune humain ? Laisse moi rire... Tu as quoi, treize ans maximum ?
— Pas tout à fait... Disons que j'ai quelques années de plus, déclara t-elle en feignant l'innocence.
— Ah oui ? Et combien, demanda t-il en croisant les bras, prenant un air de défi.
— Et bien j'ai eu cent ans il y a quelques heures. Et toi ? Vu ton apparence je dirais que tu dois avoisiner le millénaire.
— Pas exactement non mais tu y étais presque, déclara t-il en pouffant légèrement ne réalisant pas encore totalement l'absurdité de cette situation invraisemblable.

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