Chapitre 2 : Ce qui est mouillé ne craint pas la pluie

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L'esprit pivota pour se retrouver face à son interlocuteur. C'était un jeune garçon imposant qui faisait environ deux têtes de plus que lui. Il dû lever les yeux pour le dévisager entièrement. Son odorat surdéveloppé le contraint à supporter les émanations de sueur qui provenaient de son tee-shirt. Un rictus de dégoût vint déformer un court instant son expression neutre avant qu'elle ne se recentre sur son visage grassouillet.
— T'es qui toi, demanda t-il avec une pointe d'arrogance dans la voix.
— Espr... Esther, Esther enchantée.
Elle lui répondit sur un ton mielleux en esquissant un grand sourire hypocrite. Apparemment la politesse n'était pas de mise chez eux. Et dire qu'elle avait failli se courber pour le saluer, ses anciens principes de bienséance la rattrapait.

— Qu'est ce que tu viens faire ici ?
— C'est où ici au juste?
— Je me demande ce que quelqu'un dans ton genre vient faire dans un orphelinat.
Il n'eut pas fallut plus de quelques secondes pour qu'elle mette en place son premier plan d'insertion dans le monde des Hommes.
— Je suis une nouvelle pensionnaire en fait, ajouta t-elle en continuant de sourire à s'en briser la mâchoire, d'ailleurs pourrais-tu m'emmener dans le bureau du maître des lieux ? Je dois le voir pour, tu sais, confirmer mon inscription, ce genre de choses.
— Tu prends l'escalier central, c'est au dernier étage, dit-il en pointant du doigt la porte d'entrée.

Elle n'eut pas le temps d'ajouter quoi que ce soit qu'il était déjà retourné vaquer à ses occupations.
Devant cet élan de désinvolture et sous le coup de la frustration ses queues menacèrent de sortir mais elle calma rapidement ses pulsions. Jamais on ne l'aurait traité comme tel avant, même si elle n'était qu'une divinité mineure.

— Bonnes manières inutiles, c'est noté, se chuchota t-elle a elle même tandis qu'elle grimpait les marches jusqu'au perron.

Le bâtiment n'avait absolument rien de chaleureux ce qui ne lui semblait pas adapté comme espace de vie pour des enfants. Il était grand, gris, sans âme particulière et lui rappelait désagréablement les usines qu'elle avait côtoyé quelques minutes auparavant. Tous les temples étaient couverts de couleurs chatoyantes et vives au domaine des Dieux. Cette austérité nouvelle lui donna un frisson d'effroi.
Après avoir monté cinq étages, Esther fit face à une grande porte en bois sombre.

Elle prit une longue inspiration avant de frapper trois fois contre celle-ci avec toute l'assurance dont elle pouvait faire preuve.
— Entrez, la convia une voix à l'image du domaine. Froide et intransigeante.

Esther poussa lentement la lourde porte afin d'appréhender la salle une première fois avant de faire face à la maîtresse des lieux.
Celle-ci attendait patiemment, ses coudes posés sur le bureau, son menton appuyé sur le revers de ses mains.
— À qui ai-je l'honneur ?
— À l'Espr... À Esther madame, rectifia t-elle en esquissant un sourire suffisant. Il était évidemment qu'adopter une attitude mielleuse n'allait pas fonctionner avec un tel personnage. Son regard acéré la scrutait toute entière derrière une paire de lunettes demies lunes posées au bout de son long nez et ses supposés longs cheveux bruns avaient été ramenés en un strict chignon tout en haut de son crâne. Elle ne semblait pas bien plus vieille que les enfants qu'elle hébergeait. Aucune ride ne venait déformer son visage parfaitement lisse et son expression inflexible.
— Bien Esther, et que puis-je faire pour toi ?
— Et bien je n'ai pas de parents et on m'a dit qu'il fallait que je vienne ici, expliqua t-elle en essayant de maintenir une expression convaincante en amont de ses propos.
La directrice eu un petit rire ce qui ne manqua pas de la vexer. C'était donc comme cela qu'on réagissait ici à quelqu'un qui vous annonce qu'il est orphelin ? Un peu de tact aurait été le bienvenue.
— Vois-tu, ce n'est pas aussi simple jeune demoiselle.
— Ah bon, demanda t-elle incrédule.
— Je n'ai aucune preuve que tu puisses prétendre à la place de pupille de l'État. L'aide sociale à l'enfance est régit par quelques lois vois-tu ?
— Je...
— Si tu avais vraiment été une nouvelle pensionnaire, j'aurai été informée à l'avance il me semble, rajouta t-elle en scrutant son écran d'ordinateur en diagonale, je n'ai pas le temps pour ce genre de plaisanteries.
La directrice se remit immédiatement à écrire sur un de ces précieux formulaires puis lui indiqua la porte d'un geste las de la main pour mettre définitivement un terme à la conversation.

Esther était de plus en plus mal à l'aise. Pourquoi tout semblait si compliqué ici ? En quoi un stupide papier pourrait servir à quoi que ce soit ? Prudemment, elle commença à reculer vers la sortie.
— Je pense que... Je reviendrais !
Esther se retourna vivement puis s'enfuit du bureau en prenant bien soin de claquer la porte derrière elle. Il semblerait que son premier plan d'insertion soit un échec. Avec empressement, elle quitta ce bâtiment si hostile pour retourner dans la rue.
Elle reprit son souffle, adossée à un muret près du grand portail. Cet environnement stressant la rassurait de moins en moins. Cette constante impression d'être jugée lui rappelait ce sentiment désagréable d'infériorité et de faiblesse qu'elle avait déjà côtoyé auparavant lors des rassemblements divins. Elle se mordit l'ongle du pouce plusieurs fois, frustrée avec de se laisser choir sur le trottoir. Cette journée devenait vraiment éreintante alors même qu'elle ne faisait que commencer. Ses nerfs ne tarderaient pas à céder.

Après une bonne minute à regarder le sol sans réelle conviction, Esther se releva d'un bond. Ce n'était pas dans ses usages de se morfondre pour si peu. Elle épousseta ses vêtements puis entreprit d'arpenter le boulevard pour le reste de la journée. La foule qui se massait sur le trottoir l'oppressait légèrement. Jamais elle n'avait vu autant de personnes rassemblées à un endroit, même lors de la cérémonie du nouvel an au domaine des Dieux. Cependant, elle trouvait quelque chose d'excitant dans toute cette agitation qui lui était si peu familière. Une multitude d'odeurs parvenaient à ses narines dont une particulièrement appétissante. Captivée, elle se laissa entraîner par celle-ci jusqu'à une échoppe ambulante de crêpes.
Avec dextérité et rapidité, un jeune humain étalait une pâte sur la plaque de cuisson en un temps record avant de la recouvrir de toutes sortes de garnitures plus séduisantes les unes que les autres. Esther observait cet alléchant spectacle, l'eau à la bouche. Beaucoup de personnes semblaient l'apprécier également car un essaim d'humains s'était également regrouper autour de ce petit stand. Elle les observait tout autant et constata qu'ils donnaient chacun des petits pièces en argent contre une portion de nourriture.

Forcément, rien ne semblait gratuit ici non plus. Frustrée, elle scruta le sol à la recherche de quelques-uns de ces sous qui seraient malencontreusement tombé de la poche de leur propriétaire. Malheureusement, les Hommes semblaient bien trop précautionneux pour ne perdre ne serait-ce qu'une de ces précieuses petites pièces il semblerait. Résignée, elle continua sa route malgré la faim qui commençait à lui ronger l'estomac.

Après quelques longues minutes d'errance sans réel but le long de l'avenue, un grondement sourd rugit à en faire trembler le sol. Comme il semblait provenir du ciel, elle s'arrêta puis leva les yeux vers celui-ci. Quelques gouttes vinrent s'écraser sur son visage avant de laisser place à une averse beaucoup plus importante.
C'était la première fois qu'elle côtoyait la pluie, cependant, elle ne l'apprécia pas pour autant. Cette eau glacée qui imbibait ses vêtements, brouillait sa vue et s'insinuait sur chaque parcelle de sa peau pâle. Elle eut pensée un instant que le dieu du ciel devait se payer sa tête là haut, après tout, il ne l'avait jamais réellement apprécié...
Alors que tous les passants se pressaient autour d'elle, surement pour rentrer chez eux, Esther quant à elle resta parfaitement stoïque à observer la pluie s'abattre sur la cité, plantée au milieu de la rue. Après tout elle n'avait pas d'endroit où se réfugier alors à quoi bon se mettre à courir...

Finalement, elle fit marche arrière puis reprit sa route en direction de l'échoppe ambulante. Lorsqu'elle arriva devant celle-ci, plus personne ne s'y trouvait, pas même le vendeur. La foule avait désormais déserté la rue précédemment bondée.
Soudain, comme si ses jambes ne pouvaient plus la supporter, elle se laissa choir sur ses genoux tandis que la pluie continuait de s'abattre sur elle. Elle se laissa en proie à la froideur et à l'humidité estivale sans se soucier de la douleur du goudron contre ses genoux écorchés. En seulement quelques secondes, elle remit en question toutes les raisons qui l'avaient poussées à venir ici. Après tout, ce n'était peut-être pas si mal au domaine malgré le peu de dignité qu'on lui y accordait... Peut-être qu'elle s'y serait habituée après plusieurs siècles. Peut-être, peut-être... Ces mots tournaient inlassablement dans sa tête tandis que son regard se perdait dans une lointaine flaque d'eau.

De longues minutes passèrent jusqu'à ce que les gouttes qui lui tombaient précédemment dessus cessent. En levant les yeux, elle constata qu'un jeune humain tenait fermement un parapluie au-dessus d'elle. Elle n'eut pas le temps de percevoir les détails de son visage qu'un voile noir lui brouilla la vue. La fatigue, le froid, la faim et ses puissantes émotions contradictoires avaient finalement eu raison d'elle. Son corps commença à vaciller avant d'être rattrapé et soulevé du sol. Elle eut la vague impression d'être soulevé avant de sombrer entièrement.

C'est un arôme subtil de riz bouilli qui lui fit ouvrir les yeux ce qui n'avait rien de bien d'étonnant. Il n'y a que la nourriture qui aurait pu la sortir de ses songes à ce moment-là.
Alors que son dernier souvenir remontait à un orage humide et à ses cheveux trempés qui lui collaient au visage, elle se trouvait parfaitement au sec sous un énorme édredon blanc dont émanait une odeur de lessive à la vanille et recouvrait ainsi entièrement son corps encore affaiblie. Elle profita encore quelques instants de la douce sensation du coton contre sa peau avant de se relever et de s'adosser contre la tête du lit pour inspecter la chambre.

Pas plus alarmée que ça sur sa situation, elle balaya lentement la pièce du regard avant de s'arrêter sur un jeune humain qui dormait sur une chaise dans un coin de la chambre. Il avait dû être accablé lui aussi par la fatigue pour s'assoupir sur un siège si peu confortable. Sa tête se balançait lentement de gauche à droite tandis que ses sourcils se fronçaient, témoignant ainsi de son inconfort. Sans plus s'attarder sur les traits de son visage, Esther s'empressa de saisir le bol qui lui faisait de l'œil depuis déjà quelques secondes sur la petite table de chevet à côté du lit.

Elle huma le contenu une dernière fois avant de saisir la cuillère qui était plongée dedans et de la porter rapidement à ses lèvres. Son corps et son esprit reprenaient vie au fur et à mesure qu'elle engloutissait cette bouillie blanchâtre aux arômes de poulet. Après en avoir raclé les dernières miettes avec son index, elle s'extirpa des couvertures pour aller explorer un peu plus la chambre sans prendre le risque de réveiller son hôte qui semblait épuisé, de plus en plus avachi sur son siège.

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