Chapitre 1 : Un petit renard blanc

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À l'aube de leurs 100 ans, les divinités mineures acquièrent une importante source de magie qui leur octroie le droit de se rendre dans le monde des Hommes.
Après plusieurs années de loyaux services auprès de ses supérieurs, l'esprit Renard, lassé du peu d'estime que lui accordait le siège des Dieux en tant que fidèle messager, attendait patiemment ce jour pour se libérer du joug de ces entités supérieures qui croyaient bon de n'écouter que leurs prières. Assez de ces bonnes manières et de tous ces paons qui se dandinent dans des habits d'apparat en vous considérant avec mépris si vous n'êtes pas au moins leur égal. Ces pédants à qui la fierté était montée à la tête après avoir constaté la reconnaissance que les Hommes leur avait apporté à base de temples grandioses, de mythes et légendes qui glorifiaient ainsi leur dur labeur qu'avait été de créer le monde.

Fidèle à lui-même, malgré le caractère impératif de la situation, l'Esprit n'avait pas pu s'empêcher de sécher la cérémonie pour fêter son premier siècle. La ponctualité n'avait jamais été son point fort, posséder cette qualité lui aurait certainement facilité son insertion parmi les divins... Après tout, il n'aurait pas raté grand chose si ce n'est quelques formules d'hypocrisie pour la politesse puis des actes de débauche noyés dans quelques verres d'alcool.
Cependant, il n'était pas mécontent d'incarner la réputation qu'on lui avait octroyé, celle de l'enfant qui se refuse à grandir, celle de celui qui n'est jamais à l'heure, qui n'hésite pas à défier la hiérarchie en se confrontant à plus fort que soi, celle de l'impétueux, du téméraire et de la tête brûlée... Était-ce de l'inconscience ou du courage ? La réponse se trouvait surement entre les deux mais tous ses adjectifs, aussi valorisant soient-il n'étaient ni synonyme de stupidité, ni d'inconscience.
Si on l'avait conçu ainsi c'était pour une raison bien précise, après tout, les dieux n'auront cesse de le répéter, ils ne commettent jamais d'erreurs.

Sur le chemin jusqu'au passage pour la Terre des Hommes, la jeune divinité ne pouvait s'empêcher d'imprimer ce paysage qu'elle avait toujours connu une dernière fois dans sa mémoire, comme si il s'agissait de ses derniers instants en ces lieux. Celle-ci n'osait pas se l'avouer mais craignait que cet environnement ne lui manque dans l'autre monde. Après tout, c'était la seule et unique chose qu'elle avait jamais côtoyé de toute sa vie.

Une fois plantée devant le grand portail de lumière, elle resta stoïque un moment, le temps d'observer cette gigantesque arche en pierre sculptée recouverte de lierre dont émanait une douce lumière blanche et quelques particules de poussière dorée. Ce spectacle était réellement magnifique mais ce qui se trouvait de l'autre côté l'intriguait bien plus, alors, elle ne s'éternisa pas plus dans sa contemplation et s'empressa de sauter dans l'inconnu.

Sa venue sur la planète bleue avait fertilisé le domaine de manière très peu discrète. N'importe quel humain lucide qui aurait assisté à ce spectacle aurait noté cette invraisemblable renaissance de la flore, néanmoins, la prudence n'avait pas été de mise assurément...
Autant de source magique concentrée ne pouvait que perturber l'équilibre naturel de cette Terre, humus que les Dieux n'avaient plus foulé depuis des années. Ils préféraient la regarder de haut, comme chaque chose qu'ils estimaient inférieure.
Les arbres avaient revêtu leurs plus beaux feuillages chargés de couleurs chaudes et des parterres de fleurs pastels recouvraient désormais le bois. Les bourgeons s'épanouissaient dans un rythme effréné et le sol se gorgeait d'une énergie nouvelle qui s'insinuait dans chaque être vivant, chaque végétal, chaque habitant de la vallée.

D'abord recroquevillé sur lui même, le petit renard blanc se releva lentement en papillonnant des yeux pour habituer son regard à cette lumière nouvelle qui lui agressait la rétine. Jamais le soleil ne lui était apparu si aveuglant.
À première vue, rien ne différait tant du domaine des Dieux. Certes la nature y était plus luxuriante et aucun signe en vue de temples recouverts de frivolités mais cela restait globalement similaire. On y retrouvait les mêmes arbres, la même herbe, les mêmes fleurs... Les créateurs avaient surement voulu reproduire la perfection de leur royaume qui n'était à leurs yeux qu'un symbole d'excellence.

Lui qui était venu ici pour changer d'air, il ne pouvait que se retrouver déçu par la banalité des lieux. Cependant, ne manquant pas d'optimisme, il se mit tranquillement à arpenter les alentours pour en découvrir d'avantage. Il n'était pas dans ses habitudes d'avoir de mauvais aprioris. D'un œil avisé, il prêtait attention à tout ce qui l'entourait, cherchant les moindre détails qui différenciaient ce paysage de celui qu'il connaissait déjà que trop bien. Attardant son regard sur le plus grand des arbres comme sur le plus petit brin d'herbe.

Finalement, il repéra quelques détails qui suffirent à le combler, du moins, sur le court terme. Plus d'oiseaux vantards qui sifflent des sérénades, plus de prières et d'idoles à l'effigie des tous puissants... Il esquissa un petit sourire à cette idée. Finalement, cela ne s'annonçait peut-être pas aussi ennuyeux qu'il le croyait. De plus, les effluves de fleurs sauvages qui chatouillaient son museau depuis son arrivée lui étaient très agréables. Cela changeait des habituelles odeurs d'encens qui encombraient son organe olfactif.

Arrivé sur un belvédère, il n'eut fallut que d'un coup de vent pour chasser ses derniers préjugés. Au pied de la vallée se trouvait de grands bâtiments gris qui lui était encore inconnus. Pas de couleurs luxuriantes et d'or, seulement des lumières jaunes et rouge qui dansaient au loin. Il les aurait bien comparés à des étoiles mais leur façon de se mouvoir était bien trop étrange. Ces mystérieux édifices ne pouvaient signifier qu'une chose, le domaine des Hommes prenaient ses racines à quelques kilomètres plus loin en contrebas.
Éternel impatient, il ne lui fallut pas plus de temps pour entamer la découverte de ce nouveau monde et, par la même occasion, de ses nouveaux pouvoirs.
Il prit une longue inspiration avant de prendre son élan et de se jeter dans le précipice du haut de la falaise. Dans une élégante pirouette aérienne, il prit la forme d'un oiseau semblable à un corbeau mais avec un plumage d'un blanc aussi immaculé qu'était celui de son pelage sous sa forme terrestre. Ravi, il s'inspecta sous tous les angles avec une fierté non dissimulée. Sa première métamorphose avait été un franc succès ! Si sa hâte ne l'en avait pas empêcher, il aurait pu passer encore quelques minutes à s'admirer tant il était satisfait de sa nouvelle apparence.

Après s'être accommodé de ses ailes, il fendit l'air en piqué jusqu'à la métropole humaine. Qu'il était grisant que de sentir l'air chaud secouer son plumage tandis qu'il pourfendait les nuages. Son fluide magique affluait dans ses veines avec une véhémence nouvelle ce qui le gonflait d'énergie. Épris d'un élan de liberté, il exécuta quelques pirouettes et tonneaux en sifflant une mélodie enjouée. Qu'il était gratifiant d'avoir autant de libre arbitre, il commençait désormais à comprendre cette désinvolture que la supériorité avait apporté aux dieux.

Il quitta enfin le ciel pour rejoindre la ville afin d'observer de plus près ce peuple inconnu. Arrivé au-dessus des grands bâtiments gris qu'il avait aperçu au loin, le Renard fut accueilli par une forte odeur de charbon. Une épaisse fumée noire sortait de toutes les cheminées d'usines qu'il survolait et polluait le ciel de sombres nuages. À quoi cela pouvait-il bien servir ? Il n'en avait pas la moindre idée mais ce spectacle n'était pas des plus agréables à regarder, pourtant, il continuait de se profiler à l'horizon. Sa première impression des Hommes ne fût pas des plus positives, peut-être les avait-il trop idéalisé ?

Pour observer de plus près ces individus aux habitats bien funestes, il se percha sur un lampadaire qui surplombait la rue passante. La diversité de leurs apparences lui frappa le regard. Là où les Dieux s'accommodaient avec de lourds kimonos, eux portaient des vêtements aussi bien larges et amples que court et moulants. Il avait toujours trouvé ces habits traditionnels trop encombrants, encore heureux qu'il n'eut jamais à en porter. Ils avaient tous des visages différents, des expressions disparates, des cheveux de teintes variées... Pourquoi les créateurs avaient tant varié leurs apparences, ça il l'ignorait...

Après plusieurs minutes de reconnaissance au-dessus de cette même avenue, il s'arrêta en amont d'une cour dans laquelle une ribambelle de petits Hommes qui formaient des groupes distincts, conversaient, s'accordant entre rires et brimades. Leur enveloppe charnelle plût d'autant plus à la petite divinité. Ils semblaient agiles et légers pour la plupart ce qui pourrait rendre sa transformation encore plus confortable.

Avant de venir sur Terre, il s'était d'abord renseigné auprès de l'ancienne génération de messagers divins pour en apprendre plus sur les mœurs et coutumes des Hommes mais à en juger parce qu'il pouvait constater, leur maîtrise du sujet était lamentablement ridicule. Ils avaient beau hurler sur tous les toits que leur savoir était incommensurable et irréfutable, leur incompétence était enfin exposée au grand jour. Les temps qu'ils avaient vraisemblablement côtoyé étaient révolus depuis fort longtemps. L'oiseau blanc se posa derrière un muret pour observer d'encore plus près ces groupes d'enfants afin de mémoriser leur apparence pour prendre forme de la manière la plus précise possible.

Il inspecta les alentours pour vérifier qu'il était bien à l'abri des regards puis ferma les yeux un court instant pour mieux se concentrer. Lorsqu'il les rouvrit, il était assis sur le bitume dans le corps d'une jeune fille toute en longueur. D'un bond il se releva pour s'inspecter sur tous les angles avant de retomber lourdement sur le sol. Qu'il était difficile de tenir uniquement sur deux pattes. Après moult essais, il réussit enfin à se maintenir en équilibre même si ses jambes élancées tremblaient légèrement. Il tendit ses mains devant lui, tirant sur chacun de ses longs doigts aussi fins que des brindilles en fermant puis rouvrant ses paumes avec énergie. Réflexion faîte, ces "mains" étaient bien plus saillantes que ses usuels coussinets. Cependant, selon lui, la plus belle pièce de ce tableau se trouvait dans ses grandes jambes aussi filandreuses et graciles que le roseau. Pour ce qui était des vêtements, il avait opté pour ce qu'il avait vu de plus légers chez les jeunes filles d'apparence similaire ; un débardeur blanc, un short noir et des sandales de la même couleur.

Après s'être acclimaté à sa nouvelle apparence et avoir exécuté quelques moulinets avec ses bras pour se maintenir debout, il prit une longue inspiration avant de rentrer dans la cour afin de se rapprocher de ses nouveaux semblables. Alors qu'il pensait se fondre dans la masse avec sa nouvelle apparence, c'est tout l'inverse de l'effet escompté qui se produisit. L'Esprit constata que beaucoup d'enfants l'épiaient en échangeant des messes basses ou en le pointant discrètement du doigt.

À un moment, il crut entendre parler de ses cheveux mais il ne voyait pas en quoi leur couleur pouvait gêner. Il avait vu énormément d'adultes aux cheveux blancs et pourtant cela ne semblait déranger personne. Arrivé devant le grand bâtiment gris, il prit plaisir à se contempler une nouvelle fois dans l'une de ses grandes fenêtres, ignorant les regard inquisiteurs qu'on posait sur lui. Honnêtement il ne voyait pas ce qui aurait pu le trahir, quoique, après réflexion, aucun enfant n'avait une tignasse aussi immaculée. Peut être aurait-il du tiquer plus tôt.

Inspection achevée, il constata que ses yeux rouge sang étaient restés tels quels mais là n'était pas le seul problème. Son arrière train commençait sérieusement à le démanger ce qui ne pouvait annoncer qu'une chose, ces cinq queues ne tiendraient pas en place bien plus longtemps. Évidemment, tout ne pouvait être parfait... Afin de conserver une forme stable, discrètement, il fit apparaître un ruban de satin rouge auquel pendait une clochette dorée dans la paume de sa main puis emprisonna une légère source de magie à l'intérieur du grelot afin de canaliser une partie de ses pouvoirs en refermant sa main dessus. Il le noua ensuite autour de son cou et ses pupilles prirent alors la couleur du charbon. Alors qu'il vérifiait une dernière fois l'état de sa métamorphose, quelqu'un vint tapoter légèrement sur son épaule.

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