Chapitre 21 : Le Royaume de Cristal

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 Le vaisseau se stationna avec une facilité déconcertante au milieu des fleurs, provoquant une bourrasque phénoménale qui fouetta mon visage. Une vingtaine de mètres seulement nous séparaient.

 Je me cachai en vitesse derrière un arbre au tronc imposant et aux longues lianes feuillues. Trois humanoïdes longilignes sortirent du vaisseau. Ils marchèrent dans ma direction. Mes paumes collées contre l’arbre, je penchai la tête sur un côté pour pouvoir les observer. Ils avaient la peau vert-pâle et portaient une toge sans manches couleur jaune, d’un tissu aérien. Quelque chose scintillait sur leurs têtes. J’attendis qu’ils approchent encore. Incroyable ! Huit longues antennes dorées s’étiraient sur leur crâne, puis s’enroulaient sur elles-mêmes en leur extrémité. Elles se disposaient en miroir, de façon symétrique, formant des paires. Quatre d’entre elles partaient respectivement des yeux et des sourcils, tandis que les autres se recourbaient joliment sur leur cuir chevelu.

 Arrivés à quelques pas de moi, les habitants d’Orfianne s’aperçurent de ma présence. Leurs cheveux d’un vert sinople flottaient au gré du vent. Je quittai timidement ma cachette, aussi impressionnée qu’effrayée. Comme ils me paraissaient grands ! Leur corps filiforme, magnifiquement androgyne devait atteindre les deux mètres.

 Ils posèrent lentement une main sur la poitrine en me fixant de leur regard gris-jaune. L’expression douce sur leur visage me rassura.

– Vous avez dû faire un long voyage pour venir jusqu’ici, jeune Ênkelis, me dit l’un d’entre eux. Nous cherchons Avorian. Est-il rentré chez lui ?

 Il parlait l’Orfiannais avec un fort accent. Je demeurai interdite, le souffle court.

 Les somptueuses créatures continuaient de m’examiner ; un sourire serein embellissait leurs lèvres rosées.

– Oui… il est dans sa…, bégayai-je en français, tellement décontenancée que mon cerveau bascula en mode « terrien ».

 Je repris ma formulation en Orfiannais, leur priant de me suivre jusqu’à sa maison.

 Situation plus que cocasse : j’étais en train de guider des Orfiannais sur leur propre planète, jusqu’à la demeure d’Avorian. Ce dernier se trouvait dans son jardin. Il me détailla de la tête aux pieds, les yeux agrandis de stupéfaction, la bouche entrouverte en me voyant ainsi accompagnée de ces trois charmants visiteurs.

– Soyez les bienvenus ! lança-t-il aux voyageurs.

 Il m’adressa en aparté :

– Où étais-tu ? Je m’inquiétais sérieusement pour toi !

– J’ai entendu leur vaisseau et… je voulais voir ce qui se passait, m’excusai-je.

– Tu as eu de la chance que ce soit des Noyrociens, et non des Métharciens !

 Je ne saisissais pas grand-chose à sa remarque, mais me souvenais toutefois que les Métharciens provenaient d’une autre planète, et qu’ils étaient dangereux.

 Avorian accueillit chaleureusement les « Noyrociens » dans sa maison. Il leur offrit un jus de neybos, le fruit qu’il m’avait montré ce matin.

– Asrim, Naylacome, Orwano ! Que faites-vous par ici ? demanda le mage.

 Il me les présenta un à un. Je les saluai respectueusement, ma main contre mon cœur, comme ils l’avaient fait pour moi.

– Notre Gardienne est partie de la cité pour rejoindre le Royaume de Cristal. Orion souhaite réunir tous les Gardiens. La voie des airs est surveillée par les Métharciens… nous avons servi de leurre afin qu’elle puisse pénétrer la forêt d’Êsia en toute sécurité.

– C’est rusé ! commenta Avorian. Ils ne se douteront pas qu’elle passera par les terres. Ils vont contrôler les cieux. Vous n’avez pas subi d’attaque ?

– Si, mais aucun dommage, le rassura Asrim. Ils ne nous ont pas suivis. Nous rentrons à la cité.

 Son timbre grave et chaleureux me laissa penser qu’il était de sexe masculin, malgré son physique androgyne.

– Nous voulions faire halte chez vous pour vous informer de la décision d’Orion, déclara Naylacome, à la voix féminine. Les Gardiens doivent se rendre au Royaume de Cristal.

 Elle m’adressa un regard bienveillant, comme si elle souhaitait que je prenne part à cette conversation.

– Avorian, as-tu repris votre Pierre de Vie ? S’ouvre-t-elle à toi ? s’enquit Asrim.

– Pas encore… Elle ne l’a pas fait il y a quinze cycles. Pourquoi cela changerait-il aujourd’hui ? Je n’ai pas beaucoup d’espoir.

– Nos mondes se meurent… Les Pierres le sentent, assura Orwano. Il vous faut un nouveau Gardien.

Ce dernier possédait une tessiture de jeune-homme, et ses antennes paraissaient plus courtes que celles des deux autres. Peut-être était-il leur fils ? Ils se ressemblaient tellement avec leurs vêtements jaunes et leurs longs cheveux.

– Arianna m’a bien communiqué le dessein de notre Sage, ponctua le mage, l’air las.

– Le massage est donc transmis.

Naylacome se tourna vers moi, ses pupilles dorées ancrées dans les miennes :

– Les Ênkelis ont-ils retrouvé leur Gardien ?

Mes joues s’empourprèrent. Je dévisageai Avorian, confuse et complètement perdue.

– Nêyrah n’est pas une Ênkelis, leur apprit le mage. C’est une Guéliade… et elle ne connaît pas encore le fonctionnement de notre monde.

– Une Guéliade ? répéta le jeune Orwano.

– Nous avons ouï-dire qu’il existait une rescapée… C’est donc vrai, commenta Asrim.

– Dans ce cas, il reste de l’espoir pour votre peuple, déclara Naylacome.

– Le Gardien des Ênkelis est toujours porté disparu. Il n’est pas revenu depuis la bataille. Pourtant, les fées du Passage n’ont pas emporté son corps.

– Alors il est encore en vie ; quelque part, comprit la Noyrocienne.

– Qu’est-ce qu’un Gardien ? questionnai-je.

– Chaque peuple possède son Gardien, m’expliqua-t-elle. Leur incroyable pouvoir en font de puissants protecteurs, les seuls capables de contrer les monstres créés par les Terriens.

– Ils sont désignés par une pierre de pouvoir appelée « Pierre de Vie » ; ce joyau s’illumine lorsqu’il trouve son porteur, poursuivit Avorian. On ne sait jamais à l’avance qui sera choisi. La Pierre de Vie reconnaît toujours son Gardien, et ce, dès sa naissance. Leur existence sur Orfianne remontait à des temps immémoriaux.

 Je me demandais à quoi pouvaient ressembler ces fameuses Pierres.

– Nous devons vite rentrer, annonça Asrim. Les Métharciens seront bientôt aux portes de notre cité…

– N’hésitez pas à solliciter l’aide d’Arianna, leur conseilla Avorian.

– Chère Nêryah, votre vie est précieuse. Nous nous sentons comblés de vous avoir rencontrée, me confia Naylacome d’une voix chaleureuse.

 Les Noyrociens nous remerciâmes pour notre accueil et repartirent à bord de leur vaisseau.

 Nous restâmes dans le jardin. Nous nous assîmes sur un rocher, à côté du ruisseau. J’écoutais le bruissement apaisant de l’eau. Je voulais en savoir plus sur nos visiteurs. Ce fameux Royaume de Cristal m’intriguait. Qui était Orion ? Je questionnai Avorian, avide de comprendre.

– Afin de garantir la prospérité dans notre monde, deux grands Sages[1] règnent sur notre planète, m’enseigna-t-il. L’un masculin, l’autre féminin. Les âmes des Sages se réincarnent, toujours en un homme et une femme ; un couple uni par leur amour éternel, au-delà du temps. Seule Arianna, la reine des fées, parvient à les reconnaître de vie en vie, car elle est immortelle, et guidée par Héliaka : cette dernière émet en effet une lumière particulière lors de la naissance de nos deux Éclairés. Grâce à un rituel ancestral, Arianna parvient à déterminer l’endroit précis de leur apparition sur Orfianne. »

Un peu comme le Dalaï-Lama sur Terre, qui revient lui aussi dans un nouveau corps, me dis-je.

– Les décisions à l’échelle planétaire sont confiées à ces archétypes. Les deux Sages assurent le lien entre les différentes dynasties et rassemblent les Orfiannais lors de cérémonies. Leurs capacités d’empathie sont exceptionnelles, leur érudition n’a pas de limite. Ils résident dans un endroit que l’on appelle le Royaume de Cristal.

 Tout en l’écoutant attentivement, je me dirigeai vers un arbre, m’adossant contre lui. Il ressemblait fortement à un catalpa avec son tronc assez court, son port étalé, ses larges feuilles deltoïdes et ses fruits en longues gousses marrons. Je commençais à mieux comprendre le dialogue avec les Noyrociens. Il s’agissait dont de cela.

 Repoussant une mèche rebelle de mes cheveux, je résumai les choses ainsi :

– Si je comprends bien, la magie régit ce monde. Chaque nation est représentée par un Gardien, qui la protège, tandis que deux Sages et une fée règnent sur la planète. Le Royaume de Cristal est une sorte de centre névralgique, un peu comme le cœur politique d’Orfianne. Rien n’est laissé au hasard !

– Exactement. Nous ne croyons pas beaucoup au hasard. Nous faisons confiance en la magie, qui est pure et respectée de tous, dénuée d’une volonté liée à l’égo. La magie est aussi vieille que l’Univers, elle œuvre pour le bien de la planète et de toutes ses créatures. Malheureusement, il ne reste plus qu’un seul Sage. Sa bien-aimée est morte lors de la grande bataille. C’était une Guéliade... Elle a voulu défendre son peuple. Les créatures issues des pensées des Terriens sont redoutables. Orion ne s’en est jamais remis. Je te laisse imaginer son chagrin ; les Sages se réincarnent ensemble depuis la nuit des temps. C’est la première fois que l’un d’entre eux est assassiné. Même si notre Éclairé sait qu’il retrouvera sa compagne dans leur prochaine vie, son deuil n’en reste pas moins difficile.

 Je baissai les yeux, interdite, priant pour l’âme de cette illustre femme, morte pour sauver son royaume. J’admirais sa bravoure.

– Et les fées du Passage ? C’est quoi exactement ?

– De petites créatures ailées. Elles ressemblent à Arianna. Leur rôle est de conduire l’âme des défunts vers l’autre plan.

– Je comprends mieux : vous n’avez pas retrouvé le corps du Gardien des Ênkelis, vous le présumez donc vivant.

[1] Nêryah traduit instinctivement un mot Orfiannais par « Sage », pour simplifier. En réalité, le terme Orfiannais utilisé, « Nahalé », désigne plutôt une étoile, un soleil. En Orfiannais, « soleil » se dit d’ailleurs « Umbhalé », les deux termes ont la même racine, leur signification est très proche. On pourrait dire à la place de « Sages » « les deux éclairés », « les deux astres incarnés ».

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