Chapitre 67 : En route vers les ténèbres

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 Nous repartîmes le lendemain, après notre courte nuit et un copieux petit-déjeuner. Avorian et Orialis s’étaient bien accoutumés au cocon. Leur nuit fut plus reposante que la mienne, malgré la présence de Swèèn.

 Les Moroshiwas nous guidèrent jusqu’à la sortie de la forêt des Myrias. Asuna, leur Gardienne, avait été prévenue par télépathie que nous la recherchions, à la demande de sa mère, Imaya. Elle venait malheureusement de pénétrer en territoire dangereux, par lequel nous devions également passer, et progressait rapidement pour pouvoir poursuivre sur un chemin plus sûr. La Gardienne nous attendrait donc au-delà, à l’orée des fameuses montagnes menant au Royaume de Cristal.

 Nous quittions le domaine des arbres géants, randonnant toute la matinée sur des collines couvertes de verdure et d’arbustes. Ce paysage aux jolis reliefs offrait certes un surprenant contraste avec les immenses séquoias, mais nous obligeait à grimper, puis à dévaler de longues pentes, malmenant nos jambes et nos pieds.

 En fin d’après-midi, nous débouchâmes sur une forêt nimbée d’une brume épaisse. Derrière cette vaste étendue, les montagnes commençaient à se dessiner. On pouvait déjà distinguer une parure blanche à leur sommet. Bien qu’elles promettaient la fin de notre périple, le brouillard les rendait menaçantes.

 Nous nous enfonçâmes dans la forêt. Les arbres ressemblaient à de petits sapins. Leurs branches s’entremêlaient de sorte que l’on ne voyait absolument rien à l’intérieur. Comme la nuit arrivait, tout demeurait sombre.

– Pas très rassurant…, commenta Orialis. Je suis vraiment abonnée aux endroits ténébreux ! Quelle malédiction !

 Les branchages entrelacés me donnaient une impression de compression. Nous cheminions dans une obscurité croissante.

– Avorian, pouvez-vous utiliser votre magie pour nous éclairer ? demandai-je.

– Je le pourrais, et toi aussi, d’ailleurs ; mais j’ai un mauvais pressentiment. Notre sortilège au royaume des Guéliades n’a manifestement pas atteint cet endroit. Soyons prudents. Nous devons passer inaperçus.

– Mais on risque de percuter les arbres, ou leurs racines ! bougonna Orialis.

– Vous préfèreriez sans doute subir le courroux des esprits malfaisants, chère amie ? ajouta Swèèn, à la manière dont on demanderait à quelqu’un s’il souhaite une tasse de thé.

 La désignée s’abstint de répondre et tourna dédaigneusement la tête. Puis, elle s’arrêta net, se figeant, et se mit soudainement à trembler devant… deux immenses yeux rouges perchés dans l’ombre des arbres, à quelques mètres de nous. Avorian recula de stupeur, laissant échapper un « oh ! », le visage crispé. Swèèn se planta à côté de moi, dans une attitude de protection. Habituellement, il se jetait sur l’ennemi, mais là, tout le monde semblait comme pétrifié.

 Comment définir cette créature ? Elle n’était rien d’autre qu’un amas sombre : pas de matière ou de corps, juste un bout de ténèbres… En revanche, même aux dernières lueurs du crépuscule, on pouvait aisément distinguer son étrange regard pourpre, sans paupières ni fond blanc, perdu au milieu du néant.

 Mes entrailles se resserrèrent. J’avais du mal à respirer. Et plus j’attendais, moins j’avais envie d’agir. Cette présence m’hypnotisait, exactement comme la vision du Modrack, au banian sacré.

 Je me préparai à l’attaque, mais rien ne se passa. Le terrifiant regard vermeil disparut aussi vite qu’il était survenu.

 Orialis lâcha un soupir de soulagement.

– Sortons immédiatement de la forêt, nous intima Avorian.

 Nous fîmes demi-tour, rejoignant la plaine crépusculaire.

– Que s’est-il passé ? C’était quoi cette…, commençai-je, à court de mots.

– C’est terrible ! Elle est venue ! déplora Orialis.

– Ne restons pas ici. Pressons le pas ! ordonna le Guéliade en regardant les alentours, l’air méfiant.

 Orialis fronça les sourcils et se courba, à l’affût, comme si elle se préparait à recevoir un coup. Swèèn adopta la démarche feutrée d’un félin, feulant et grognant. Cet évènement le rendait plus sauvage que jamais.

– C’est lui, le fameux Modrack disparu ? m’emportai-je, déboussolée.

 Avorian m’obligea à me taire, l’air furieux, posant son index contre sa bouche.

 Je marchai derrière les autres, penaude.

 Nous contournâmes l’endroit de l’apparition à pas furtifs, aux augets, décrivant un large demi-cercle avant de pénétrer à nouveau la forêt.

– Désolé, Nêryah, me souffla Avorian à l’oreille. Je ne pouvais te répondre, au risque de nous faire repérer. Ce n’est pas un Modrack. On appelle cette créature aux yeux pourpres « l’Ombre » étant donné qu’elle ne possède pas de corps physique.

– C’est l’être le plus imprévisible, le plus infâme, et le plus impitoyable de cette planète, décréta Orialis, la mine soucieuse.

– Eh bien ! Puisqu’elle est si terrifiante que ça, pourquoi ne nous a-t-elle pas attaqués, alors ?

– C’était juste de l’intimidation. L’Ombre aime jouer avec ses proies, expliqua Swèèn qui venait de cesser ses feulements, redevenant lui-même.

– Elle attend donc que nous soyons dans le noir profond ?

– Le moment propice pour elle…, confirma Avorian. Cette créature déteste la lumière et ne peut pas sortir des endroits ténébreux. C’est son élément. Je pense qu’elle a été alertée par le pouvoir de la Pierre de Vie ; nous devons certainement nous trouver sur son territoire.

– Je suppose que c’est de cet endroit qu’Asuna parlait, le territoire dangereux qu’elle se hâtait de traverser, réalisai-je.

– La Gardienne est peut-être toute proche de nous, alors ! Mais comment allons-nous la retrouver si l’Ombre nous barre le chemin ? s’inquiéta Orialis.

 Avorian l’étudia d’un air las.

– Mais d’où vient cet esprit sombre ? poursuivis-je, ignorant les appréhensions de la Noyrocienne. Également des pensées des humains ?

– Exactement. C’est la plus vieille création issue de leurs émotions, la toute première, et la plus puissante : elle a acquis sa force et sa propre intelligence au fil des cycles, continuellement nourrie par les pensées des Terriens.

– L’Ombre tourmente Orfianne. Aucun peuple n’est encore parvenu à la vaincre. Elle est immatérielle, et tout le monde la craint, révéla Orialis.

– Si je comprends bien, le seul moyen de la détruire serait la disparition définitive des êtres humains ! Vous croyez que c’est cette créature qui commande les autres ombres et les Métharciens, dans le but de récupérer les Pierres de Vie ?

– C’est fort probable, acquiesça Avorian.

– Mais puisque les Pierres choisissent leur Gardien, et ne s’ouvrent pas à n’importe qui, pourquoi ces êtres malveillants s’évertuent à croire qu’ils pourront déclencher leur magie ? continuai-je.

– Parce qu’ils demeurent persuadés du contraire : que leur pouvoir dépasse la volonté des Pierres de Vie, expliqua le Guéliade.

 Les Orfiannais parlaient de ces joyaux comme des êtres à part entière, dotés d’une forme de conscience.

– L’Ombre a-t-elle déjà cherché à s’en emparer ?

– Hum, je crois bien que oui ; de celle des Ênkelis, me répondit Swèèn de sa voix double.

 Le Limosien et Avorian échangèrent un regard soucieux.

– Peu importe. Je ne veux pas entrer dans cette forêt ! déclara Orialis, oubliant d’être discrète. Je ne survivrais pas. Aucun rayon du soleil ne perce les arbres, ici !

– De là où nous nous trouvons, c’est le seul chemin possible pour se rendre au Royaume de Cristal. Asuna nous attend… elle aussi est en danger. Il existe bien la voie des airs, mais comme tu as pu d’ores et déjà le constater, nous n’avons qu’un seul Limosien parmi nous, la rabrouai Avorian.

 Malgré la pénombre, je voyais bien qu’Orialis était au bord des larmes, vexée.

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