Chapitre 66 : Une nuit dans la canopée

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 Quand ils parlaient de « célébrer », les Moroshiwas ne faisaient pas les choses à moitié. Les femmes arboraient des fleurs partout sur le corps : en ornement sur la tête, en colliers, en bracelets, et même insérées dans leurs vêtements. Les hommes se maquillaient le visage et le torse de tracés blancs.

 Je mis la jolie tenue rouge que Kaya m’avait offerte, puis m’amusai à tresser les cheveux d’Orialis – une tâche ardue, demandant précision à cause de ses antennes. Swèèn venait de nous rejoindre, à présent ragaillardi. Et il avait faim !

 On entendait une musique enjouée. D’où provenaient donc ces sons de flûtes et d’instruments à cordes ?

 On nous guida jusqu’à une immense plateforme fleurie, où je découvris des musiciens jouant des sortes de lyres, petites et arrondies, ainsi que des flûtes en bois de toutes tailles. Des chanteurs entonnaient des notes tenues, dont les harmonies curieuses attiraient l’oreille. Ils employaient une gamme complexe, avec des quarts de tons vraisemblablement.

 Des enfants dansaient sur cette mélodie festive. Quel contraste saisissant pour un peuple autant réputé pour son silence !

 Une multitude de petits plats avaient été dressés – fruits, plantes sauvages, et toutes sortes de noix décortiquées –, et posés sur une large branche affalée sur la terrasse, sortant directement du tronc.

 La nuit tombait. Au sein de la canopée, à cette hauteur, nous pouvions aisément observer Héliaka. Le satellite naturel d’Orfianne émettait une lueur rousse qui perçait à travers les branchages. Elle offrait un éclat splendide, participant à cette ambiance chaleureuse.

– Je vous en prie, servez-vous, nous convia une Moroshiwa en désignant la nourriture.

 Nous la remerciâmes pour son hospitalité et celle de son peuple. Swèèn alla de suite se servir en fruits et en plantes.

Un lion géant herbivore ? réalisai-je.

 Je ne l’avais encore jamais vu chasser.

 Je commençai par goûter aux noix ; leur douceur me surprit : aucune amertume, ni âpreté. Je continuai avec les fruits juteux, et reconnus les fameux neybos parmi eux.

 Le parfum des innombrables fleurs m’enivrait de leur saveur sucrée.

 Avorian m’invita à danser. Main dans la main, nous virevoltâmes au rythme de la musique, en toute liberté. Orialis nous rejoignit, tandis que Swèèn continuait à dévorer tout ce qu’il trouvait.

 La musique s’arrêta, puis un autre morceau commença. Cette fois, les Moroshiwas nous invitèrent à former un large cercle. Ils chantèrent à l’unisson sur une mélodie au tempo lent en Orfiannais :

« Offrons ces notes à la lumière du soleil, qui perce nos feuillages,

Dissipe les sombres horizons et nous guide dans l’obscurité

Nos pieds nus foulent la terre, les cieux

Héliaka, notre divinité, verse ses larmes de miel depuis l’espace

Nous recevons leur flot sur notre peau, et dans nos yeux

Tissons nos chants sacrés, vers de nouveaux paysages dansants

Chantons les lueurs du crépuscule

Contemplons les étoiles et sondons le firmament

Nous ne pouvons retourner sur nos pas

Nos âmes voyagent jusqu’aux confins du monde »

 Le chant ancestral résonnait dans les arbres.

 Après quelques nouvelles danses, une Moroshiwa à la longue chevelure végétale nous conduisit à l’endroit où nous allions dormir. Swèèn nous fit savoir qu’il préférait se coucher dehors, sur une branche. Nous lui souhaitâmes bonne nuit.

 La jeune femme qui nous guidait fit apparaître dans ses paumes une boule de lumière jaune pour nous éclairer. Cette forme de magie ne me surprenait plus. Avorian l’utilisait fréquemment dans les endroits sombres, comme lors de mon initiation dans la grotte des Feux Sacrés, par exemple.

 Elle nous mena encore plus haut, dans les feuillages, sur un arbre au tronc particulièrement large – on aurait pu aisément y faire tenir une maison. Nous longeâmes son écorce, et découvrîmes une immense ouverture à même le tronc, formant un antre obscur. En approchant, je repérai une palissade, construite à l’intérieur, qui permettait d’entrer dans l’arbre. Au-dessus d’un sol improbable, je discernais d’étranges objets suspendus.

 Nous pénétrâmes en son sein.

Oh, mon Dieu !

 J’en eus le souffle coupé.

 Les yeux écarquillés, j’observais une multitude de cocons blancs, accrochés à des poutres et ouverts sur un côté ; assez larges pour y faire tenir des êtres humains.

Non… ce n’est quand même pas…, me dis-je, presque apeurée.

 Je ne me sentais pas spécialement à l’aise avec les araignées, ni avec les chenilles géantes ! Et vue la taille des cocons, je ne préférais même pas imaginer quel insecte gigantesque avait bien pu les tisser. Hors de question que nous dormions là-dedans !

– Qu’est-ce que c’est ? demandai-je, une pointe d’appréhension dans la voix.

– Nous sommeillons ici, dans les matrices, m’apprit notre hôtesse, hochant lentement la tête.

 Devant mon expression médusée, elle ajouta :

– Nous les avons nous-mêmes tissées avec du fil de soie. C’est très confortable, vous verrez ! Au sein de l’arbre maître, votre sommeil s’en trouvera apaisé.

– Bien, s’il le faut vraiment…, chuchotai-je pour moi-même.

 J’enviais Swèèn qui devait, en ce moment même, tranquillement se reposer sur sa branche, à l’air libre.

 Orialis commençait déjà à s’installer dans l’un des cocons, comme si cela lui était familier. La Moroshiwa repartit dans un bruissement de feuilles. Avorian forma instantanément une boule de lumière dans sa main afin que nous poussions y voir quelque chose.

 Je m’approchai d’un cocon. Ils se situaient tous à environ un mètre du sol, et se présentaient sous une forme ovale, à la verticale, entrouverts en leur milieu. Nous allions donc dormir dans une position fœtale, recroquevillés sur nous-mêmes, et non pas allongés.

 Je grimpai dedans. Cela secoua un peu. Je tentai de m’y installer, mais l’abri de soie tanguait. Je ne me sentais pas du tout à mon aise dans cette drôle de balançoire. Je cherchai ma position, repliant les jambes sous moi, en proie à une forte claustrophobie.

Non mais c’est pire qu’une cabine de bateau en pleine tempête ! maugréai-je.

 Alors que je voulais rejoindre Swèèn, j’entendis des Moroshiwas arriver, puis se coucher dans les autres cocons. Il devait certainement y avoir plusieurs étages au sein du tronc, et peut-être même d’autres arbres avec ce type de couche, étant donné le grand nombre d’habitants de la cité. Au bout d’une bonne demi-heure, quand le silence revint, je sortis de ma « matrice », puis entrepris de chercher Swèèn. Je traversai quelques passerelles en l’appelant doucement, pour ne pas réveiller nos hôtes.

 « Nêryah, je suis sur ta gauche ! » entendis-je chuchoter tout près de moi.

 Je tournai la tête en sa direction, discernai l’éclat de ses yeux gris à la lueur d’Héliaka.

 Depuis le début, Swèèn veillait sur moi, tel un ange gardien.

 Je m’approchai du lion ailé, étendu sur une large branche. Je le câlinai un peu, puis m’installai sur la plateforme la plus proche. Je pris une couverture dans mon sac magique, qui accueillait toutes mes affaires mais restait aussi léger qu’une plume, l’étendis par terre et m’allongeai sur le plancher.

 Comme je le supposais, le Limosien se leva pour me rejoindre et se coucha à mes côtés, m’enveloppant d’une de ses ailes argentées.

 Malgré sa chaleur, je ne parvins pas à m’endormir facilement. Je repensais au miracle accompli sur les terres de mon peuple, et enfin, à Sèvenoir.

 Ce dernier occupa tout mon esprit.

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