Chapitre 65 : Purification

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 Nous empruntâmes plusieurs passerelles au sommet des arbres géants, reliant de larges paliers abritant de splendides balconnières : les Moroshiwas y faisaient pousser des fleurs de toutes les couleurs et de toutes les tailles. Certaines, suspendues sur des branches, poussaient par grappes, de tons rouges et rosés. Nous nous arrêtâmes sur l’une des plateformes fleuries, où tout un groupe de Moroshiwas vinrent à notre rencontre. Ils se placèrent en arc-de-cercle autour de nous. Hommes, femmes, enfants ; chacun possédait sa propre composition végétale sur le crâne. Tous avaient la peau d’un vert prasin et portaient comme vêtement des plantes cousues, tressées, entourant leur taille et la poitrine des femmes.

 Ils nous étudiaient de leur regard jaune-or.

– Comment s’est déroulé votre voyage ? nous demanda l’une d’entre eux.

 Nous nous observâmes, l’air hésitant. Par quoi commencer ? Comment décrire le miracle qui s’était produit à l’arbre sacré des Guéliades ? L’image hallucinatoire du Modrack, puis cette bénédiction… nous nous sentions à la fois stupéfaits, gratifiés de notre succès mais aussi très éprouvés par toutes ces péripéties.

 Swèèn prit la parole en premier, relatant le déroulement de nos aventures.

 Les Moroshiwas demeuraient silencieux, à l’écoute, concentrés sur ses paroles.

– Les fées nous ont parlé de ce que vous avez accompli, commenta celle qui nous avait questionnés.

– Le royaume des Guéliades est donc en train de renaître…, renchérit un adolescent enthousiasmé par notre arrivée parmi eux.

– Les prophéties se réalisent, déclara mystérieusement une Moroshiwa plus âgée. Nous vous rendons grâce pour cet acte magique. Votre enchantement va rendre nos forêts plus sûres.

 Nos hôtes se déplacèrent à l’unisson, en un accord tacite.

Que se passe-t-il ? Ils étaient parfaitement immobiles.

 Un à un, les Moroshiwas vinrent chaleureusement serrer nos mains dans les leurs, et enlacer Swèèn, comme pour montrer leur gratitude. Ils prenaient le temps nécessaire pour chacun d’entre nous, avec des gestes doux, sans empressement. Je n’avais jamais ressenti une telle reconnaissance de la part d’autres individus.

– Ce soir, nous célèbrerons votre acte de noblesse, promis l’un d’eux aux feuilles semblables à celles des noyer sur le crâne. Mais avant, vous devez vous purifier.

– Et Asuna ? s’enquit Avorian, qui ne perdait pas le nord. Comment fait-on pour la retrouver, est-elle repartie depuis longtemps ?

– Seulement depuis deux jours. Elle n’a que peu d’avance sur vous.

– Imaya nous a transmis sa volonté. Rassurez-vous, nous allons prévenir notre Gardienne que vous la recherchez : nous avons la capacité de communiquer par la voie de la pensée. Prenez donc le temps de vous reposer ici cette nuit. Vous pourrez repartir demain.

– Merci infiniment ! leur répondit Orialis.

 Les deux Moroshiwas qui nous avaient trouvés dans la forêt nous guidèrent jusqu’à l’un des bassins. Des membres de leur peuple y trempaient de larges feuilles. Personne ne s’y baignait.

– Vous venez de vous restaurer, nous prendrons un repas ce soir ; mais peut-être avez-vous besoin de nettoyer votre linge et souhaitez-vous vous laver, nous proposa celui au long feuillage sur le crâne.

– Lavez vos affaires ici, puis monter cette passerelle. Elle vous mènera au bain réservé à la toilette, juste au-dessus de vous, nous indiqua son comparse.

 Nous nous agenouillâmes aux côtés de ceux qui astiquaient des plantes, tandis que Swèèn se coucha un peu à l’écart.

 Personne ne paraissait troublé par notre présence. Imperturbables, les Moroshiwas vaquaient à leurs occupations, silencieux, comme si nous faisions partie de leur communauté depuis toujours.

 Devant mon expression hésitante, Orialis me chuchota à l’oreille :

– Les membres de ce peuple communiquent constamment par télépathie ; ils se transmettent toutes les informations vues, entendues, vécues. Ce que nous venons de leur raconter est désormais connu de toute la cité.

 Tout le monde était donc au courant de nos exploits.

 Je déballai mon sac, y retirai mon linge sale pour l’immerger dans l’eau. Ces gestes simples me ramenaient à mon corps, dans un état d’alignement profond, presque méditatif. Je me détendis peu à peu. Le silence qui régnait n’avait rien d’intimidant, bien au contraire. On y ressentait du respect, de l’humilité. Je lisais dans leurs yeux une grande délicatesse qui m’inspirait confiance.

 Je sortis un savon pour frotter mes vêtements. Cette ambiance de plénitude nous incitait naturellement à nettoyer notre linge de façon presque dévotionnelle, comme si nous purifions nos propres émotions.

 Absorbés dans notre tâche, nous remarquâmes à peine qu’une femme Moroshiwa se leva.

– Lorsque vous aurez fini, vous pourrez étendre vos vêtements sur cette corde, dit-elle en désignant une longue liane horizontale accrochée entre deux branchages. En lavant vos tissus, vous venez de dissiper vos maux. Allez maintenant clarifier votre corps dans le bain suivant, selon notre rituel.

 Aucun d’entre nous ne songea à objecter quoi que ce soit. Nous considérions leur hospitalité et ce cérémoniel comme un honneur.

 Une fois le linge propre et étendu, nous traversâmes la prochaine passerelle. Légèrement en pente, elle menait vers une autre terrasse, au fameux bassin réservé aux bains. Je préférai encore une fois ne surtout pas regarder en bas. Nous laissâmes Swèèn, toujours endormi.

 Nous avançâmes jusqu’à cette petite piscine ronde d’une dizaine de mètres de diamètre. Personne ne s’y baignait. Elle devait sans doute nous être réservée. Nous nous dévêtîmes en silence. Je ne me sentis nullement gênée. Mon corps faisait simplement partie de cet ensemble.

 Nous entrâmes dans une eau froide. Terriblement glacée ! Comment les Moroshiwas pouvaient-ils y rester, et même y laver leurs enfants ? Probablement parce qu’ils conciliaient en eux l’espèce humanoïde et le végétal, et qu’ils devaient fréquemment s’humecter pour conserver une bonne santé.

 Nous nous lavâmes en conscience – mais rapidement, car nos corps frémissaient –, concentrés sur nous-mêmes, par respect pour le rituel. Nous nous sentions en osmose avec les arbres majestueux. Leur immensité nous poussait à l’humilité, à l’enracinement, et nous rappelait combien notre cœur battait à l’unisson avec celui de la planète.

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