Chapitre 62 : Baptême de l’air

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 Je m’apprêtais à monter sur le beau Limosien, un peu plus grand qu’un lion terrestre, non sans une pointe d’appréhension. Avorian me tendit notre Pierre de Vie. Je la déposai contre ma poitrine et lui confiai mon sac, de peur qu’il ne tombe lors de notre envol. Je m’accrochai à la crinière de Swèèn, prête à décoller. Il battit majestueusement des ailes, faisant apparaître un énorme nuage de poussière autour de nous. Ses plumes argentées scintillaient, malgré l’absence du soleil.

 Il prit son envol en douceur. Son épaisse fourrure rendait l’assise confortable. Je me mis à crier lorsqu’il accéléra, autant de peur que d’euphorie. Quelle sensation grisante ! Mais… Oh, mon dieu ! Comme c’est haut ! Il s’élevait telle une flèche vers le ciel. Je me cramponnais, des picotements dans le ventre. À cette altitude, Orialis et Avorian ressemblaient à des bambins.

– Ça va ? me lança Swèèn.

– Oui, tout va bien !

 Non, ça n’allait pas du tout. J’avais beau grimper aux arbres avec facilité, je me sentais mal à l’aise, fébrile, avec une terrible sensation de vertige et de déséquilibre intérieur. Je surplombais le vide, littéralement !

 Swèèn perçut ma réticence. Il entama un long vol plané pour avancer, en finesse, droit devant nous. Cette vitesse de croisière me permit de m’habituer progressivement au voyage dans les airs. Au bout d’une bonne quinzaine de minutes, je me sentais enfin libre, légère, avec l’agréable sensation d’une fraîche brise caressant mes joues.

 Je parvins même à observer nos environs, et ne vis pas le moindre signe de danger. Avorian se posta en-dessous de nous, à quelques mètres de l’arbre sacré, Arianna à ses côtés. Orialis s’éloignait d’eux pour se positionner elle-aussi face à l’arbre, mais à l’opposé (vers l’Ouest). Vue de haut, ils formaient maintenant un vaste triangle : mes deux amis étant la base, et l’arbre, son extrémité.

 Swèèn redescendit un peu pour se stabiliser en battant des ailes à la façon d’un colibri, nous plaçant pile au-dessus de ce triangle imaginaire : un emplacement stratégique pour diffuser au mieux notre magie, selon le plan d’Arianna.

– On va opérer d’ici, me prévint-il.

 Je sortis la Pierre de sa cachette, et même s’il n’avançait guère, le fait de lâcher la crinière du lion ailé me donna encore plus le vertige. Je devais pourtant libérer mes mains, sans quoi, impossible de déclencher le pouvoir de la Pierre. Comme le répétait Avorian lors de ses instructions, pour exercer la magie, nous avions besoin de nos deux paumes, de leurs polarités distinctes (yin et yang, dirait-on sur Terre).

 Comme s’il devinait mon appréhension, Swèèn se mit à me parler avec douceur :

– Ne t’inquiète pas, tu ne tomberas pas, Nêryah. Replie un peu tes jambes le long de mes ailes, ainsi, tu auras plus d’équilibre.

 En effet, le Limosien avait raison : j’étais bien plus à l’aise positionnée ainsi, serrant fermement ses flancs avec mes genoux. J’arrivais même à sentir les battements de son cœur entre mes cuisses. Je pus prendre facilement la Pierre dans mes mains, et me concentrai sur le souhait qui m’importait le plus : redonner vie à nos terres dévastées ; et rendre ainsi Avorian heureux. Le voir sourire, libéré du poids de son passé, délivré de sa souffrance.

 Je ressentis une chaleur intense dans ma poitrine. La Pierre se mit à rayonner d’un éclat nacré. Le halo commença à se propager dans le ciel. Arianna se posta à quelques mètres de nous, dans les airs. Un large rayon aux reflets multicolores jaillit de son petit corps de fée, pour s’en aller atteindre la Pierre. L’impact me surpris, faisant trembler notre joyau. Je faillis le lâcher, mais me repris instantanément.

 Swèèn mêla son pouvoir argenté aux mien : sa magie ainsi que celle de la fée alimentaient la Pierre des Guéliades. Grâce à nos forces conjuguées, un faisceau irisé en sortit, et descendit en flèche vers le sol. Avorian l’intercepta dans ses paumes, puis le répandit partout autour de lui, en un cercle de plus en plus large. Il décrivait de grands mouvements avec ses bras, comme pour étendre la lumière, le plus loin possible. Malgré la distance qui nous séparait, je vis les antennes d’Orialis scintiller. Elle aussi parvenait à canaliser le pouvoir de la Pierre. C’était magique ! Elle porta ses deux mains au niveau de la tête, et une lueur dorée jaillit de ses antennes. Ces dernières semblaient recueillir notre magie, pour la disperser ensuite sur les terres. Grâce à nos amis, la lumière percuta enfin l’arbre sacré. Notre totem se mit à luire d’un éclat vert sinople, couleur propre au pouvoir de guérison. Chacun de mes compagnons avait sa particularité, sa force, et contribuait à la résurrection de notre royaume.

 Même de haut, je pouvoir apercevoir de nombreux bourgeons naissants, touches colorées dans ce paysage désolé. Notre immense banian diffusa à son tour son propre éclat, d’un blanc immaculé, loin derrière lui. Il projetait des vagues concentriques, s’étirant lentement vers l’horizon, englobant tout l’espace.

 Swèèn gardait ses ailes en mouvement, nous maintenant à la verticale de ce merveilleux spectacle. Je pus ainsi observer, d’en haut, cette magnifique renaissance. Bientôt, notre nimbe gigantesque atteignit la forêt de Lillubia, puis un territoire si vaste que je ne pouvais plus en distinguer la fin. Le pouvoir de la Pierre s’expansait de plus en plus, continuellement nourri par notre magie. Toutes nos lumières aux couleurs chatoyantes se mélangeaient, produisant un véritable arc-en-ciel, tellement immense qu’il devint un océan, avalant les terres. Je regardais partout autour de moi et constatai avec allégresse que cette onde, aux milles teintes, s’étendait à perte de vue.

 Soudain, ma vision se troubla. Des images défilèrent devant mes yeux, comme une mémoire du passé. Je fermai les paupières et reconnus la forêt de Lillubia, au temps où elle resplendissait encore. Je voyais des fées, des oiseaux, la nature verdoyante, toute fleurie ; le chemin tapissé d’une sorte de trèfle, de mousse et de fleurs. J’avançais sur une magnifique allée de végétaux menant à l’arbre sacré, merveilleusement éclatant, aux branchages fournis, ses feuilles d’un vert tendre. Un peu plus loin, je découvris un royaume tiré tout droit d’un conte de fée. La bâtisse entièrement blanche semblait ouverte sur le panorama avec ses nombreuses terrasses. La toiture arrondie en dôme rappelait les palais orientaux. Sur l’un des balcons, une femme incroyablement belle observait ce paysage idyllique. La couleur de ses cheveux, d’un bleu saphir, provoqua une sorte de décharge électrique en moi et me fit revenir à la réalité.

La statue !

 La scène devint floue et les images virevoltèrent à toute vitesse.

 La vision s’arrêta brusquement.

 Je rouvris les yeux.

 En bas, la lumière magique commençait à disparaître, petit à petit. Un phénomène surprenant était en train de se produire. Je voulais en être sûre…

– Pouvez-vous redescendre un peu, Swèèn ?

– Avec plaisir ! Et je t’en prie, cesse de me vouvoyer !

 Je remis la Pierre dans mon cache-cœur et m’agrippai à la crinière du Limosien. Il entama sa descente, stagna à environ deux mètres du sol... En effet, je ne me trompais pas : en-dessous de nous, les arbres et la verdure reprenaient vie, comme dans ma vision. C’était fabuleux. Les troncs retrouvaient leur écorce brune, les feuilles se teintaient d’un vert tendre et les fleurs commençaient à éclore, comme en un début de printemps. La nature stoppa sa croissance et resta ainsi à l’état de bourgeon : nos terres désormais redevenues fertiles, le temps allait faire son œuvre.

 Mission accomplie !

 Les créatures cachées dans les racines aux petits yeux jaunes et rouges avaient disparu, comme balayées par notre sort.

 Une lumière intense m’éblouit. Je levai les yeux, cherchant son origine du regard… Les nuages s’écartaient pour laisser place à un ciel bleu, inondé d’un soleil radieux.

 « Waouh ! » m’écriai-je, le cœur en joie.

 Orialis ouvrait les bras vers le firmament en tournoyant sur elle-même, totalement ravie de pouvoir enfin goûter aux rayons du soleil.

 Swèèn se posa sur un sol tapissé de verdure et de fleurs. Je n’en revenais pas ! Nous avions réussi à conjurer le sort ! Le souvenir de ce même paysage quelques heures auparavant, désertique, sordide, n’était plus qu’un mauvais rêve. Il semblait n’avoir jamais existé.

 Je descendis du Limosien, caressant son doux pelage argenté.

– Merci, Swèèn.

 Avorian s’approcha de moi, accompagné d’Arianna, et me serra si fort contre lui que j’en eus le souffle coupé. Des larmes libératrices coulaient le long de ses joues.

– C’est un miracle ! s’exclama-t-il, le visage rayonnant.

 Le voir si heureux me comblait. Je me sentais apaisée, allégée d’un poids sur mes épaules. À mon tour, je l’entourai de mes bras. Orialis, Swèèn et Arianna se mêlèrent à notre chaleureuse embrassade.

– Alors, Nêryah, ça fait quoi de s’envoler sur un Limosien ? me lança Orialis, le regard taquin.

– C’est vraiment gé-nial !

 Mes yeux pétillaient de bonheur.

– Tu es aussi légère qu’une plume ! plaisanta Swèèn.

– Je suis fière de vous. Vous avez tous été parfaits ! nous complimenta Arianna.

– Quelle bénédiction ! répétait sans cesse Avorian.

 Nous prîmes une petite pause, mangeant quelques provisions et buvant le peu d’eau qu’il nous restait. Swèèn partit en reconnaissance, espérant trouver des fées pour leur annoncer la bonne nouvelle. Arianna prendrait le relai par la suite ; elle enverrait des émissaires aux quatre coins de Lillubia pour faire revenir les fées et les animaux sur leurs terres d’origines.

 J’admirais leur façon de prendre les choses en mains. Ils ne négligeaient aucun détail.

– J’ai eu une vision…, confiai-je. Des images du royaume des Guéliades avant sa destruction. J’ai vu la nature verdoyante, un palais magnifique et… une femme d’une beauté saisissante, aux cheveux bleus. Exactement comme celle que j’ai vue dans l’église. Ce n’est pas un hasard !

– L’arbre vient de te transmettre ses mémoires, supposa le Limosien.

 Avorian me considéra d’un air circonspect, en silence. Cela devait certainement lui rappeler des souvenirs. Son regard s’assombrit un instant.

– Tu aurais donc vu notre précédente Gardienne, celle qui fut à l’origine de la construction de cette église, en l’honneur des Terriens ? me rappela-t-il.

– Oui, j’ai l’impression que c’était elle. Je vais vraiment finir par croire qu’elle faisait partie de ma famille !

– C’est fort probable, appuya Avorian. L’arbre sacré t’a donné ces mémoires pour une bonne raison.

 Je le dévisageai l’espace d’une minute, puis jugeai bon de m’abstenir de tout commentaire.

 Je succédais à cette Gardienne mystérieuse, sans même connaître la nature de ma nouvelle fonction. Et elle n’était plus là pour me transmettre son savoir.

 Arianna s’entretenait en aparté avec Orialis. J’entendis des bribes de leur conversation :

–… tu as ma parole, Orialis, mais je maintiens que tu devrais en parler.

 Notre amie nous cachait-elle quelque chose ? Elle ne souhaitait manifestement pas que nous écoutions cette conversation. Je pus seulement entendre de sa bouche les mots « trop risqué », puis « merci d’avoir parlé à mon peuple. Pourriez-vous prévenir Nayan ? ».

 Avorian les observait aussi du coin de l’œil.

 Lorsque nous étions emprisonnés par les Métharciens, Orialis nous avait raconté qu’elle devait rejoindre les Ewaliens pour se rendre ensemble au Royaume de Cristal, avec leurs Pierre respectives. Sa capture avait changé leurs plans. Lorsque Arianna nous avait libérés, Orialis lui avait demandé de prévenir sa famille qu’elle était saine et sauve, et surtout, d’alerter la Gardienne à propos de l’embuscade. Peut-être évoquaient-elles ce sujet ?

 Quelques heures plus tard, Swèèn revint enfin. Il avait rencontré des fées, et ces dernières allaient prévenir leurs congénères. Les enchanteresses reviendraient bientôt sur leurs terres. Cette nouvelle nous réjouit.

 Nous décidâmes de faire halte ici, et de passer la nuit à côté de l’arbre sacré.

 Le soleil déclinait. La végétation ne donnant pas encore de fruits, nous nous contentâmes de nos maigres provisions. Malheureusement, nous n’avions presque plus d’eau, et Swèèn n’avait pas trouvé de source.

 Je réalisais que, dans quelques années, cet endroit serait fleuri, habitable, et que la vie y abonderait. Pour une fois, j’étais vraiment fière de ce que nous venions d’accomplir. La magie n’était pas seulement destructrice. Elle pouvait réellement guérir !

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