Chapitre 58 : Voyage en terres désolées

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 À notre grand soulagement, nous progressions sur un sol enfin stable, et tout à fait praticable. Le paysage changea brusquement. Les rares plantes qui persistaient çà et là paraissaient desséchées. La verdure disparaissait à mesure de notre avancée.

  • La cité des Moroshiwas est-elle loin d’ici ? questionnai-je. J’espère que leur Gardienne y sera encore à notre arrivée.

 Orialis allait me répondre, mais Avorian pris la parole en premier :

  • Nous devons traverser cette contrée, atteindre une nouvelle forêt, et leur domaine se trouve au Nord-Est de celle-ci.
  • Nous sommes en train de prendre un chemin plus long ! observa-t-elle, fronçant les sourcils.

 La Noyrocienne posa ses mains sur ses hanches et planta son regard gris-jaune droit dans celui d’Avorian.

  • Fais-moi confiance. Il faut passer par ici, répondit-il d’une voix posée.

 Orialis pencha la tête, interrogative, puis obtempéra.

 Nous débouchâmes sur une terre craquelée, presque grisâtre. Le bruit du vent cessa brusquement lorsque le soleil atteignit son zénith. Dans cet horizon désertique, les quelques arbres qui subsistaient se coloraient d’un noir macabre, comme brûlés ; leurs branches, entièrement nues et sans feuillage, témoignaient d’un sinistre évènement. Comme si un gigantesque incendie avait ravagé la végétation, désormais vide de toute vie. Un silence inhabituel régnait.

 Le ciel se couvrait d’épais nuages, si bien qu’on ne distinguait plus le soleil, pas même un seul de ses rayons, au grand regret d’Orialis. Je m’inquiétais une fois de plus pour elle. Une mystérieuse nappe de brouillard vint s’ajouter à cette atmosphère lugubre.

 Soudain, j’aperçus des petits yeux rouges et jaunes, cachés dans les racines des arbres décimés. Je ne préférais pas vérifier à quelles créatures ils pouvaient bien appartenir.

  • Qu’est-ce que c’est que ça ? fit Orialis d’une voix tremblante en les désignant.
  • Des esprits déchus, emprisonnés dans l’ombre… à jamais, répondit Avorian. Tant que l’on ne s’approche pas d’eux, on est tranquille.
  • Très rassurant…, lâchai-je. Ils nous épient ! Est-ce encore l’une des manifestations des pensées négatives des Terriens ?

 Avorian acquiesça d’un air sombre, le regard dans le vague.

 Nous progressions prudemment dans cet endroit brumeux, nous rapetissant le plus possible pour tenter de passer inaperçus. Je percevais des chuchotements en une langue inconnue, comme une sorte d’incantation dirigée contre nous. Ces sons inquiétants provenaient des créatures tapies dans les racines.

 Orialis ne cessait de regarder autour d’elle, anxieuse. Elle s’accrocha à mon bras. L’air se fit à la fois humide et pesant. Une intuition tenace me soufflait que nous allions être attaqués, d’un moment à l’autre. Je me mis à trembler, prise d’une frayeur incontrôlable. Mon amie, collée contre moi, ressentit mes spasmes. Elle me caressa doucement le dos pour m’apaiser. Je l’en remerciai intérieurement et m’efforçai de discipliner mon souffle. Ma respiration ralentit enfin pour se calmer.

 Je vérifiai une énième fois que la fleur d’Arianna et la Pierre de Vie se trouvaient bien dans les plis de ma tunique, cachées au niveau de ma poitrine.

 Nous marchions au milieu d’une sorte d’allée, bordée par les arbres d’ébènes, s’alignant de chaque côté à la façon d’une armée. Cette vision morbide se dressait à perte de vue. Je notai qu’Avorian savait parfaitement où il allait. Mais il gardait ses sourcils froncés, comme s’il redoutait quelque chose.

 J’avais l’impression de me trouver dans un dédale sans fin, sans issue. Les sombres créatures nichées dans les racines calcinées continuaient à nous épier, sans relâche. Elles ne bougeaient pourtant pas d’un pouce.

 Les nuages gris occultaient toujours les rayons du soleil. J’en avais presque oublié leur chaleur bienfaisante. Je lisais les craintes d’Orialis dans ses beaux yeux gris-jaunes. Combien de temps allait-elle pouvoir tenir sans cette ressource si précieuse ?

 J’avançais tête baissée, redoutant une embuscade. Ma main serra le bras de la Noyrocienne, toujours agrippée à moi. Sa peau ordinairement jade prenait une teinte cireuse, et ses antennes perdaient de leur dorure. Je détestais l’idée de la savoir en danger.

 Après une courte pause, nous reprîmes la marche, sans échanger un mot.

  • Avançons plus vite, recommandai-je.

Avorian tourna nonchalamment la tête vers moi, le visage miné, sans presser le pas pour autant. Il ne fallait pas se laisser abattre. Nous devions nous ressaisir.

  • J’ai l’impression que l’on m’a vidée de toutes mes forces, et surtout, de ma joie. Je ne sens même plus mes antennes ! Impossible de capter les astinas, ici. Nêryah a raison, quittons cet endroit au plus vite !

 Un peu plus loin, nous découvrîmes un arbre trônant au beau milieu de la voie principale. À part sa hauteur, surprenante, il ressemblait aux autres avec son tronc noir, ses branches sans feuillage. Ses multiples racines enchevêtrées attirèrent mon attention. En regardant plus attentivement, je découvris qu’il était constitué d’innombrables petits troncs, exactement comme un banian. Je m’approchai, observant de nombreuses racines aériennes, s’imbriquant sur le tronc principal. Elles couvraient sa surface pour rejoindre la terre en de petites tiges, se déployant sur une large zone.

 S’il n’avait pas été calciné et dépourvu de feuilles, cet arbre aurait été splendide. Pourtant, je sentis une force terrifiante en émaner. Au fur et à mesure que nous progressions, je remarquais autour de lui une sorte de halo, couleur prune, dessinant le pourtour de chacun de ses troncs.

 Orialis broyait littéralement mon bras.

  • Avorian, ce n’est quand même pas…, gémit-elle d’une petite voix tremblante.

 Avorian hocha lentement la tête, confirmant sa pensée.

  • Nous ne pourrons jamais passer ! C’est de la folie ! protesta la Noyrocienne d’un son étranglé.
  • Nous devons nous rendre ici.
  • Je ne comprends pas. C’est de loin le chemin le plus périlleux pour rejoindre le Royaume de Cristal, et pas le plus court non plus ! s’énerva-t-elle. Ce n’est certainement pas un hasard. Pourquoi ne pas nous avoir prévenues ?

 Le mage leva les yeux au ciel. Il s’arrêta brusquement et finit par répondre sans même se retourner :

  • Parce que j’aimerais sauver cet arbre.
  • Comment voulez-vous sauver un arbre complètement carbonisé ? intervins-je. Et allez-vous m’expliquer ce qui se passe, à la fin ? Pourquoi y a-t-il une aura violette autour de lui ?
  • Cet arbre était très important pour nous, m’annonça Avorian d’un ton mystérieux. La bataille qui extermina notre espèce s’est déroulée ici même, Nêryah.

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